La médecine et ses « alternatives » – Quelques outils d’autodéfense intellectuelle pour militant·es

Ce texte a d’a­bord été dif­fu­sé fin 2012, sur un blog de Média­part, puis en octobre 2013 dans la revue La Tra­verse (N°3), édi­tée par les Ren­sei­gne­ments Géné­reux, et enfin, héber­gé sur cortecs.org. On m’a tou­jours dit qu’il était facile à lire même pour des gens qui consomment des « alter­na­tives thé­ra­peu­tiques », alors le revoi­là. Help your­self.

Je vais par­tir de la ques­tion sui­vante : quelles sont les rai­sons qui font que nous-mêmes, et nos proches, dont la san­té est essen­tielle, nous détour­nons du sys­tème de soin clas­sique pour recou­rir à des thé­ra­pies dites alter­na­tives, quitte par­fois à ce que l’efficacité du soin ne soit pas au ren­dez-vous ?

La médecine scientifique : hégémonie et gémonies

La méde­cine est un ensemble de tech­niques uti­li­sées pour gué­rir un mal-être ou une patho­lo­gie par­ti­cu­lière, ou pour pré­ve­nir leur appa­ri­tion. L’objectif pre­mier du méde­cin est de mettre au point des méthodes effi­caces, c’est-à-dire des tech­niques qui, appli­quées, per­mettent d’obtenir plus de gué­ri­sons qu’on n’en obtien­drait sans rien faire. Pour cela, il lui est néces­saire d’étudier lon­gue­ment la phy­sio­lo­gie et la psy­cho­lo­gie de l’humain, et cela pose à mes yeux au moins cinq pro­blèmes poli­tiques majeurs à regar­der de près.
Le pre­mier pro­blème vient direc­te­ment de ces longues études : ayant sui­vi un long cur­sus, le tou­bib jouit d’un sta­tut d’élite, supé­rieur aux phar­ma­ciens, maïeu­ti­ciens (les « sage-femmes »), infir­miers, aide-soi­gnants, et s’en sert sou­vent. Les méde­cins ont sou­vent cette morgue aga­çante de ceux qui, comme les avo­cats ou les gara­gistes, nous placent dans une situa­tion de dépen­dance tech­nique – à la dif­fé­rence qu’il n’y a pas d’exercice illé­gal de la loi ou de la méca­nique. Comme il y a par contre un exer­cice illé­gal de la méde­cine, que c’est la loi qui tranche entre ce qui est de la « bonne » méde­cine et de la « mau­vaise », et que de fait il n’y a pas de pro­ces­sus démo­cra­tique consul­ta­tif sur les lois qui fixent le cur­seur, cela donne l’impression vague d’un corps « offi­ciel » s’étant octroyé une hégé­mo­nie sur la san­té, sur notre san­té. Il n’est donc pas éton­nant que des mili­tants poli­tiques méfiants envers des experts pro­cla­més par l’état et sem­blant s’approprier une ques­tion qui nous appar­tient – le rap­port à notre corps – dénoncent le sta­tut man­da­ri­nal du méde­cin, et contestent son auto­ri­té, qui va par­fois jusqu’à prendre des déci­sions à l’insu du patient, ou l’incorporer dans une étude sans le lui dire. Par­tant du prin­cipe que chacun.e est libre de dis­po­ser de son propre corps, il n’est pas illo­gique de contes­ter les méde­cins qui doutent de la san­té men­tale et font la morale à un.e trans, ou à une femme sou­hai­tant avor­ter, qui font la leçon aux toxi­co­manes ou n’octroient pas aux per­sonnes en souf­france le droit de mou­rir quand bon leur semble.
En revanche se pose­ra alors la ques­tion, par exemple, de notre posi­tion­ne­ment par rap­port au Témoin de Jého­vah (TJ) qui refu­se­ra une trans­fu­sion san­guine car per­çue comme contraire à ses prin­cipes reli­gieux. J’ai envie de dire que si les risques encou­rus sont clai­re­ment expo­sés au malade, la déci­sion ultime lui appar­tient, mais le pro­blème se déplace si ce sont les parents TJ qui réclament que leur enfant TJ ne soit pas trans­fu­sé. Je laisse cette ques­tion en sus­pens pour nos longues soi­rées d’hiver.
Le deuxième pro­blème est la ques­tion de l’efficacité. Devant un tel sta­tut d’autorité, le patient a une attente de toute puis­sance, et s’attend à 100% de gué­ri­son. Or il n’existe pas de méthode effi­cace à 100%. Tout au plus peut-on nous dire que dans l’état où nous sommes, à l’instant t, la pro­ba­bi­li­té que telle inter­ven­tion nous sorte de la mala­die est de tant, sur la base de toute la lit­té­ra­ture scien­ti­fique sur le sujet. Contes­ter le méde­cin parce qu’il est auto­ri­taire est un point, le contes­ter parce que 100% des gens ne gué­rissent pas ce qui prou­ve­rait le nau­frage de la méde­cine scien­ti­fique est une erreur.
Le troi­sième pro­blème est plus sub­til, car il entraîne dans des che­mins méta­phy­siques. Géné­ra­le­ment, le patient gra­ve­ment atteint cherche plus qu’une cause phy­sique à sa mala­die : il cherche une « rai­son », un pour­quoi. Pour­quoi moi, qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour méri­ter ça, etc.  Aus­si com­pré­hen­sible soit-elle, cette ques­tion est du même genre que celle sur le sens de la vie, ou sur « pour­quoi moi, je suis dans le corps-là, main­te­nant, et où vais-je aller après ma mort ? ». La poser à un méde­cin est un peu la même chose que deman­der le sens de notre exis­tence à notre employeur, ou au chauf­feur du bus. Là où le malade demande pour­quoi, le méde­cin ne peut répondre que com­ment ; quand la per­sonne cherche un « sens », le méde­cin ne peut que don­ner des « rai­sons ». C’est assez insa­tis­fai­sant, bien sûr. Dire à quelqu’un ayant déve­lop­pé une mala­die que c’est nor­mal, qu’il est la per­sonne sur 100 pré­vue par la théo­rie, est aus­si dur que d’expliquer à un autre qui a gagné au loto que cela n’a rien à voir avec la chance. Il était pré­vi­sible que le gros lot / le can­cer tombe sur quelqu’un ; main­te­nant, que ce soit vous, moi ou un autre est un hasard de tirage au sort par­mi des popu­la­tions-cible (celles qui jouent pour le Loto, celles qui cumulent sus­cep­ti­bi­li­tés géné­tiques et com­por­te­ment ou contexte à risque pour les can­cers)1.
J’ai ten­dance à pen­ser que cette recherche d’un sens caché est un mélange entre une morale reli­gieuse qui nous a mar­te­lé que tous les épi­sodes qui nous arrivent sont le fait de la volon­té d’un Dieu, et une occul­ta­tion per­ma­nente de la mort en France (hor­mis pour les chry­san­thèmes de la Tous­saint) : on fait un peu comme si on ne mou­rait jamais, on nous épargne la vue de nos proches défunts pen­dant toute notre jeu­nesse, et on aborde rare­ment sans prendre un ton solen­nel la manière dont on aime­rait mou­rir. Même aujourd’hui par­ler de ses propres obsèques est un tabou fort. Alors quand le méde­cin annonce une mort pos­sible ou pro­bable, le cer­veau ne peut absor­ber la nou­velle : d’abord il rechigne, puis tente de s’accrocher à des ques­tions supé­rieures, des ques­tions de sens aux­quelles le méde­cin ou le scien­ti­fique ne peuvent hélas abso­lu­ment rien répondre. Autant d’interrogations qui font par contre la for­tune des prêtres au che­vet des mori­bonds ter­ro­ri­sés, la for­tune de Mère Tere­sa qui bap­ti­sait contre leur gré de futurs défunts2, et des tech­niques alter­na­tives type Bio­lo­gie totaleMéde­cine nou­velle de Hamer, Dia­né­tique ou Psy­cho­gé­néa­lo­gie qui vont four­nir un choix de « rai­sons » sédui­santes à la mala­die  (selon nos goûts, un conflit interne,  un Dirk Hamer Syn­drome par filia­tion, un engramme mal réglé ou un fan­tôme héri­té d’autres géné­ra­tions, et trans­mis à notre insu3).
Je crains qu’il n’y ait fina­le­ment que deux pos­si­bi­li­tés pour trou­ver le « sens » de la vie – et celui de la mort à plus forte rai­son : soit au rayon sur­ge­lé des prêtres, des imams, ou des phi­lo­sophes à la mode, qui construisent des réponses toutes faites et peu auto­no­mi­santes ; soit dans l’activisme per­son­nel, pour construire un sens de vie poli­tique, ici-bas, sans attendre un quel­conque au-delà chan­tant. J’y revien­drai dans la conclu­sion
Le qua­trième pro­blème est la manne finan­cière que repré­sente le méde­cin : pres­crip­teur, il fait qu’il le veuille ou non les beaux et les mau­vais jours des médi­ca­ments et des équi­pe­ments coû­teux. Pas éton­nant donc que les indus­triels déve­loppent des poli­tiques mar­ke­ting très agres­sives, déve­lop­pant des gammes de séduc­tion aux­quelles il est fran­che­ment dif­fi­cile de résis­ter, allant de cadeaux sédi­tieux à des finan­ce­ments de col­loques scien­ti­fiques de grand inté­rêt, – col­loques qui n’auraient d’ailleurs géné­ra­le­ment pas pu être finan­cés autre­ment. Les mili­tants poli­tiques, là encore, y voient à rai­son un ava­tar du capi­ta­lisme indus­triel et se demandent par­fois dans quelle mesure le méde­cin n’est pas pris dans un conflit d’intérêt avec une indus­trie lorsqu’il pres­crit, lorsqu’il cherche, lorsqu’il se fait enva­hir par des visi­teurs médi­caux, quand il siège dans des com­mis­sions d’autorisation de mise sur le mar­ché.
Enfin, le cin­quième pro­blème est celui du soin. La san­té était l’objet d’un ser­vice public qui est déman­te­lé len­te­ment, en mille mor­ceaux, pour diverses rai­sons pre­nant toutes leur source dans l’ultralibéralisme éco­no­mique dont l’Accord Géné­ral sur le Com­merce des Ser­vices, annexe des accords consti­tu­tifs de l’Organisation Mon­diale du Com­merce est le prin­ci­pal burin. On retrouve là un conflit clas­sique dans les dis­cus­sions anti-domi­na­tion : pas­ser par un ser­vice public géré par l’État est une forme de sou­mis­sion, mais fina­le­ment bien moindre que de pas­ser par des solu­tions de libre concur­rence, les cli­niques pri­vées par exemple, qui créent des accès au soin à plu­sieurs vitesses se résu­mant ain­si : aux plus for­tu­nés les meilleurs soins, et que les autres fassent la queue. Quant à ceux qui sont gra­ve­ment malades, non sol­vables, ou dont les soins ne rap­portent rien, eh bien… qu’ils aillent se faire voir chez les Grecs. Chom­sky a popu­la­ri­sé un slo­gan du Movi­men­to dos Tra­bal­ha­dores Sem Ter­ra, les Fer­miers Bré­si­liens Sans-terre : « étendre la sur­face de la cage avant de la cas­ser. ». L’État est une cage, certes, mais en dehors de la cage il y a des fauves qui sont les grandes com­pa­gnies pri­vées et, d’une cer­taine façon, la cage nous pro­tège des fauves. Il faut donc étendre les bar­reaux de la cage, mais ne pas la reti­rer tout de suite au risque de se faire cro­quer.
C’est ain­si que de fil (à recoudre) en aiguille (de seringue) les hôpi­taux publics accueillent une majo­ri­té de gens, la moins for­tu­née, avec des moyens et du per­son­nel se rédui­sant au jour le jour. Et qui dit moins de moyens et d’accueil dit déper­son­na­li­sa­tion du soin, stress, condi­tions de tra­vail pénibles, rythmes infer­naux et donc prise en charge médiocre, sinon indé­cente comme dans les ser­vices d’Urgence.
Donc, pour un public gran­dis­sant, la méde­cine scien­ti­fique est qua­li­fiée d’« offi­cielle », cumule auto­ri­ta­risme, non-réponse aux ques­tions méta­phy­siques, col­lu­sion avec les industriel.les, prise en charge froide, pres­sée et défaillante, tout ceci pour des résul­tats qui ne sont « même pas » de 100% et des prises de risques par­fois cachées (comme dans les affaires récentes du Media­tor, ou du Vioxx). Et je ne parle même pas du fonc­tion­ne­ment hos­pi­ta­lier très hié­rar­chi­sé, ou du refus du choix des actes les moins ren­tables. Il est temps de créer des alter­na­tives, c’est évident.

Réappropriation, à quel prix ?

… c’est évident. Les mots d’ordre intui­tifs sont donc : réap­pro­prions-nous notre corps, soi­gnons-nous nous-même, expro­prions le corps médi­cal de ses droits comme on expro­prie les riches pro­prié­taires de leurs lati­fun­dio, et ne dépen­dons plus des méde­cines qui, comme chan­tait Renaud, « est une putain, son maque­reau c’est le phar­ma­cien ». À ces slo­gans, même les man­chots signe­raient. Pour­tant…
Si se réap­pro­prier notre corps signi­fie l’écouter plus, et sen­tir les débuts de lom­bal­gie, pré­ve­nir les contextes aller­giques ou veiller à son som­meil, pas de pro­blème. Si cela signi­fie par contre pré­tendre tout sen­tir et tout savoir sur notre corps par simple « écoute de soi », c’est un leurre. Il est dif­fi­cile de sen­tir une appen­di­cite secré­ter son pus à l’avance, il est mal­ai­sé de dis­tin­guer une migraine d’une tumeur au cer­veau, l’apparition d’un dia­bète ne se détecte pas par intros­pec­tion et on ne connait pas d’intuition mys­tique qui per­mette de sen­tir si une tâche ou un kyste sont bénins ou malins. Soi­gnons-nous nous-même ? Sauf à se trom­per de plante comme Chris­to­pher McCand­less dans le film Into the Wild4 cela mar­che­ra entre huit et neuf fois sur dix, puisque huit à neuf patho­lo­gies humaines sur dix dis­pa­raissent spon­ta­né­ment. Pour les autres cas, il fau­dra recom­men­cer 2000 ans de bota­nique pous­sive, de phar­ma­co­lo­gie et de galé­nique labo­rieuse pour obte­nir un remède effi­cace. Enfin, ne dépen­dons plus des méde­cins, d’accord, mais entre nous, êtes-vous près à confier une opé­ra­tion de la cor­née ou des dents de sagesse à n’importe quel qui­dam venu ? Pas moi.
Se pas­ser des méde­cins est pos­sible. Soit on sait ce qui relève de la gué­ri­son spon­ta­née et de la patho­lo­gie bénigne, et on court chez le tou­bib pour les autres cas. Soit il faut étu­dier la méde­cine. C’est pos­sible, mais il faut entre 7 et 10 ans, pas­ser le concours d’entrée et lire l’anglais. Je connais des mili­tants qui ont déci­dé de se for­mer soli­de­ment en éco­no­mie pour contrer le dogme domi­nant, d’autres qui ont déci­dé de se for­mer pour culti­ver la terre afin de ne plus dépendre des grands céréa­liers et des serres maraî­chères escla­va­gistes de Mur­cia, au sud de l’Espagne. Je connais des militant.es de l’action directe qui sont deve­nus avocat.es pour la cause. En méde­cine, je ne connais pas grand monde qui a fait le choix de faire Méde­cine pour spé­ci­fi­que­ment se réap­pro­prier sa san­té. Pour expli­quer ça, je fais une hypo­thèse : il y a une telle mul­ti­pli­ci­té de thé­ra­pies, méde­cines alter­na­tives, douces ou com­plé­men­taires, qui se déve­loppent et qui pro­posent de presque tout gué­rir en 3 mois de stage, 3 semaines de for­ma­tion, et un livre du fon­da­teur que per­sonne n’a envie de consa­crer au moins un dixième de sa vie entou­ré de cara­bins braillards5.

L’arbre des possibles

Ima­gi­nons que je veuille ache­ter un slip qui ne soit pas fabri­qué par un pri­son­nier chi­nois. Je vais fouiller, refouiller, jusqu’à ce que je trouve un slip fabri­qué dans des condi­tions décentes par un tra­vailleur épa­noui. Mais à la fin, je veux quand même un slip, c’est-à-dire un truc qui tient au cul tout seul, qui laisse pas­ser les deux jambes, que je peux enle­ver faci­le­ment et qui ne gratte pas. Si le seul slip-non-fait-par-un-déte­nu-chi­nois est une vague boule de tis­su écru sans élas­tique, je n’ai plus que trois solu­tions : la pre­mière, retour­ner vers le slip-fait-par-un-déte­nu-chi­nois (de dépit). La deuxième, tis­ser moi-même mon slip (auto­no­mie accrue, mais il faut que j’apprenne). La troi­sième, renon­cer pure­ment et sim­ple­ment au slip.
Reve­nons à nos bou­tons. Si je veux un soin qui se passe d’un méde­cin auto­ri­taire et de la phar­ma­co­lo­gie agres­sive, je vais fouiller, refouiller jusqu’à ce que je trouve un méde­cin non auto­ri­taire qui garan­tit son indé­pen­dance vis-à-vis des indus­triels. À la fin, je veux quand même un soin effi­cace, c’est-à-dire le soin qui me garan­tit le maxi­mum de chances de gué­rir – et s’il en est deux qui pro­posent la même garan­tie, je choi­si­rai celui qui me convient le mieux. Si le seul soin-sans-méde­cin-auto­ri­taire-ni-phar­ma­co­lo­gie-agres­sive est une obs­cure tech­nique de prière indo­né­sienne fai­sant appel au dieu Cha­cal par inges­tion de l’hallucinogène aya­huas­ca dans une yourte de suda­tion, je n’ai plus que trois solu­tions : la pre­mière, retour­ner vers le soin-avec-méde­cin-auto­ri­taire-et-phar­ma­co­lo­gie-agres­sive (de dépit). La deuxième, apprendre moi-même à faire un soin à effi­ca­ci­té maxi­mum (auto­no­mie accrue, mais pour le cas sur 10 non bénin, il faut que je fasse Méde­cine). La troi­sième, renon­cer pure­ment et sim­ple­ment au soin, avec les risques que cela com­porte.
Encart
Effet pla­ce­bo, effi­ca­ci­té réelle, patho­lo­gie spon­ta­né­ment réso­lu­tive et méde­cines alter­na­tives : quelques notions de base pour l’honnête militant·e alternatif/ve
On peut semble-t-il faire remon­ter à quelques dizaines de siècles le constat sui­vant : un patient qui a confiance en son thé­ra­peute aura de meilleurs résul­tats que… s’il n’a pas confiance. Il faut bien com­prendre qu’il ne s’agit géné­ra­le­ment pas de meilleures « gué­ri­sons » : on ne gué­rit hélas pas vrai­ment plus. Par contre, on le vit mieux. Le patient aura ain­si une meilleure appré­cia­tion de son état, vivra mieux son mal-être, ses dou­leurs et les éva­lue­ra comme moins pire après la visite, indé­pen­dam­ment de l’acte qui lui est pro­di­gué, que ce soit une injec­tion, un mas­sage, une dis­cus­sion intros­pec­tive ou un com­pri­mé.
C’est ain­si qu’est né l’effet pla­ce­bo, du latin je plai­rai – qui vient de Pla­ce­bo domi­no, « je plai­rai au Sei­gneur » 6 – qui est l’écart posi­tif, entre le résul­tat thé­ra­peu­tique d’un soin et son effi­ca­ci­té réelle ; en gros, le « bonus en plus » de l’efficacité réelle du soin. Ce bonus est un mélange d’auto-suggestion et de sécré­tion de sub­stances par notre cer­veau, les endor­phines, sti­mu­lées par la confiance et qui baissent la dou­leur res­sen­tie. La grosse sur­prise est que tout acte thé­ra­peu­tique effi­cace ou non entraîne un effet pla­ce­bo, effet d’autant plus impor­tant que la patho­lo­gie est psy­cho­so­ma­tique, ou dépen­dante de l’état psy­cho­lo­gique du patient. En clair, il y a effet pla­ce­bo que le soin soit effi­cace ou non.
Un cer­tain nombre de méde­cins mal­gré eux ont com­pris cela : lorsqu’ils ne savaient pas vrai­ment que faire pour un patient, ils lui don­naient des sub­stances « vides », des pla­ce­bos. On dit que c’est dans son Dic­tion­naire Médi­cal de 1811 que le méde­cin Robert Hoo­per nom­ma pour la pre­mière fois pla­ce­bo la « dica­tion des­ti­née plus à plaire au patient qu’à être effi­cace ». À la même époque le méde­cin Jean-Nico­las Cor­vi­sart uti­li­sait avec suc­cès des boules de mie de pain pour l’entourage de Napo­léon.
Ain­si a‑t-on cer­né pro­gres­si­ve­ment les diverses facettes du pla­ce­bo, que la psy­cho­lo­gie appelle les effets contex­tuels : le prix éle­vé d’une consul­ta­tion, un diplôme ron­flant, un thé­ra­peute à la mode et une longue queue devant le cabi­net jouent aus­si sur l’évaluation de notre mieux-être consé­cu­tif au soin. Idem pour les médi­ca­ments, dont la forme, la cou­leur et le prix entraînent un effet pla­ce­bo. Deux com­pri­més pla­ce­bo valent mieux qu’un seul et les gros com­pri­més font plus de bien que les petits. Même le nom « scien­ti­fique » agit : la mie de pain de Cor­vi­sart sédui­sit seule­ment sous le nom de Mica pan­is. Main­te­nant ce sont Via­gra (que les publi­ci­taires tirèrent de viril et Nia­ga­ra) ou Seres­ta (séré­ni­té et sta­bi­li­té), mais aus­si Medor­rhi­num (pus uré­tral de blen­nor­ra­gie), Per­tus­si­num (cra­chat de coque­lu­cheux) ou Oscil­lo­coc­ci­num (auto­ly­sat de foie et de cœur de canard de bar­ba­rie) qui jouent sur le latin pour ampli­fier leur effet.
Le méde­cin Richard Asher poin­ta aus­si ce para­doxe qui a gar­dé son nom : plus un thé­ra­peute est auto­ri­taire et per­sua­dé d’avoir rai­son, plus le patient éva­lue comme valide le soin reçu 7. Au contraire, un thé­ra­peute qui doute, ou une thé­ra­pie détes­tée par le patient entraî­ne­ra un effet pla­ce­bo néga­tif qu’on appelle alors noce­bo (je nui­rai).
Pla­ce­bo = cerise, effi­ca­ci­té spé­ci­fique = gâteau
Pour savoir si un acte médi­cal, soin, mani­pu­la­tion ou médi­ca­ment a un effet réel sans les effets contex­tuels (les méde­cins disent une effi­ca­ci­té « spé­ci­fique ») il a fal­lu faire des tests en simple aveugle.
Ima­gi­nons que nous vou­lions tes­ter une pilule : il nous faut un groupe – les méde­cins disent une cohorte – de patients consen­tants tous avec le même pro­blème que la pilule pré­tend arran­ger ou gué­rir. On tire au sort la moi­tié qui prend la vraie pilule, et la moi­tié qui pren­dra un pla­ce­bo de la pilule (même forme, même goût mais qui ne contient rien). Ain­si les patients ne savent pas s’ils reçoivent le médi­ca­ment ou son pla­ce­bo. La dif­fé­rence d’amélioration entre les deux groupes don­ne­ra l’efficacité spé­ci­fique de la pilule, et l’amélioration du groupe pla­ce­bo ren­sei­gne­ra sur l’ampleur de l’effet pla­ce­bo déclen­ché.
Bien enten­du, ce n’est pas tou­jours pos­sible de faire un test en simple aveugle. Avec l’acupuncture par exemple, c’est fai­sable, car on peut faire un pla­ce­bo d’acupuncture en uti­li­sant des aiguilles retrac­tables qui donnent l’illusion d’être plan­tées mais qui ne le sont pas. Par contre, il est très dif­fi­cile d’évaluer ain­si l’intérêt spé­ci­fique d’une tha­las­so­thé­ra­pie par exemple, car com­ment faire un pla­ce­bo de tha­las­so­thé­ra­pie ?
Tou­te­fois, le simple aveugle n’est pas suf­fi­sant. C’est une mésa­ven­ture qu’on prête à Ste­wart Wolf, vers 1940, qui fit avan­cer encore d’un cran l’évaluation. On raconte que Wolf reçut un médi­ca­ment nou­veau qu’il tes­ta sur ses patients, les­quels lui en dirent immé­dia­te­ment le plus grand bien.  Conscient de la pos­si­bi­li­té d’un effet pla­ce­bo, il deman­da au labo­ra­toire un pla­ce­bo de ce médi­ca­ment, et le don­na en cachette à ses patients qui illi­co remar­quèrent la perte d’efficacité. Wolf s’apprêtait à conclure que le pro­duit était excellent, avec une effi­ca­ci­té spé­ci­fique énorme… lorsque le labo l’informa que les médi­ca­ments envoyés étaient tous des pla­ce­bos depuis le début.
Des indices non ver­baux, des mimiques, des com­por­te­ments à peine per­cep­tibles avaient pro­ba­ble­ment ren­sei­gné les malades sur l’efficacité que Wolf atten­dait. Wolf créait ain­si sans le vou­loir une sorte de pré­dic­tion auto-réa­li­sa­trice. On com­prit donc qu’évaluer un pro­duit néces­si­tait que le patient ne sache pas ce qu’il reçoit, et qu’en outre le thé­ra­peute ne sache pas ce qu’il donne.
Ce fut la nais­sance du double aveugle, appe­lé par­fois double insu, condi­tion sine qua none pour prou­ver l’efficacité d’une tech­nique. Simple à mettre en place, on peut uti­li­ser le double aveugle aus­si bien pour tes­ter des thé­ra­pies que pour tes­ter par exemple notre capa­ci­té à recon­naître un vin rosé d’un rouge, une bière blonde d’une brune, dif­fé­rentes sortes de fro­mages, etc.
En résu­mé, on parle d’étude en « ouvert » (open desi­gn) quand le méde­cin et le patient connaissent la nature du trai­te­ment ; de simple aveugle ou simple insu (simple blind) lorsque le méde­cin connaît la nature du trai­te­ment, non le patient. Notons que les néces­si­tés régle­men­taires et éthiques de l’information de patients font que le simple insu est en pra­tique impos­sible. Et enfin, on dira étude en double aveugle (double blind) lorsque ni le patient, ni le méde­cin inves­ti­ga­teur ne connaissent la nature réelle du trai­te­ment. Le terme « triple aveugle » est par­fois uti­li­sé : il désigne un essai dans lequel même la per­sonne qui dépouille la sta­tis­tique des résul­tats ne connaît la nature du trai­te­ment.
Pla­ce­bo déme­su­ré ?

On entend sou­vent que l’effet pla­ce­bo est énorme, et par exemple que les can­cers et autres patho­lo­gies graves peuvent se résor­ber par la simple volon­té du malade. Ce n’est mal­heu­reu­se­ment pas le cas (et c’est en plus culpa­bi­li­sant pour le malade qui ne gué­rit pas). L’effet pla­ce­bo est lar­ge­ment sur­es­ti­mé. Voi­ci trois des nom­breuses rai­sons.

  • D’abord, comme je l’ai écrit plus haut, une majo­ri­té des affec­tions dis­pa­raissent spon­ta­né­ment, quoi qu’on y fasse. Soigne ton rhume, dit le pro­verbe, il dure­ra sept jours. Ne le soigne pas, il dure­ra une semaine. On fait une erreur de cau­sa­li­té, et on prête ain­si à l’effet pla­ce­bo ce qui est l’œuvre du temps.
  • La deuxième rai­son porte un nom bar­bare : la régres­sion à la moyenne8. Un patient vient sou­vent voir le méde­cin quand il est dans le pic de la souf­france. Si on vient prendre une pilule au moment d’un pic, il est très pro­bable que le mieux soit dû non à la pilule mais à la redes­cente natu­relle vers la posi­tion moyenne.
  • Une troi­sième rai­son est appe­lée effet Haw­thorne et mérite un détour his­to­riqueEntre 1924 et 1932, le psy­cho­logue Elton Mayo condui­sit une suite d’essais dans les usines de Haw­thorne de la Wes­tern Elec­tric Com­pa­ny, aux États-Unis qui devaient mon­trer si des modi­fi­ca­tions simples des condi­tions de tra­vail comme l’éclairage pou­vaient avoir des effets sur la pro­duc­ti­vi­té des ouvriers. À sa grande sur­prise, la pro­duc­ti­vi­té a aug­men­té qu’on aug­mente, ou qu’on dimi­nue la lumière, et même lorsque les ampoules étaient rem­pla­cées par de nou­velles de même puis­sance. Ce n’étaient cepen­dant pas les condi­tions exté­rieures qui étaient déci­sives pour les résul­tats, mais la par­ti­ci­pa­tion à l’étude en soi, et l’attention accrue des sujets sur l’impression que quelque chose s’était pas­sé. L’effet Haw­thorne pré­voit donc que des sujets qui se savent inclus dans une étude ont ten­dance à être plus moti­vés et répondre un peu ce qu’ils pré­sument qu’on attend d’eux9.

Il y a encore d’autres rai­sons, plus tech­niques, que je n’aborde pas ici (mais que vous pou­vez retrou­ver à cette page).

Les médecines alternatives sont-elles des médecines, et sont-elles alternatives ?

Voi­ci donc la ques­tion qui fâche, et il y a tant de théo­ries dif­fé­rentes que c’est dif­fi­cile de répondre en vrac. Je ne vais prendre que quatre des exemples prin­ci­paux en France : l’homéopathie, l’acupuncture, les élixirs flo­raux de Bach et la natu­ro­pa­thie. Je pré­cise d’emblée que ce que je vais écrire n’est pas une opi­nion, mais le fruit d’une étude appro­fon­die, et que j’ai moi-même long­temps été per­sua­dé de l’exact contraire. Et comme nous sommes contre le prêt-à-pen­ser, j’encourage les lec­teurs à véri­fier tout ce que je raconte s’ils ont le moindre doute.

L’homéopathie

Les fon­de­ments de l’homéopathie, posés par Samuel Hah­ne­mann en 1796, sont au nombre de quatre (la patho­gé­né­sie, les hautes dilu­tions, la suc­cus­sion et l’individualisation, cf. encart). On sait désor­mais que les trois pre­miers sont soit démon­trés faux, soit affir­més sans preuve. Seul le qua­trième a un réel inté­rêt, celui d’individualiser, de don­ner la sen­sa­tion au patient d’être pris dans toute sa per­sonne dans un laps de temps plus long qu’une majo­ri­té de méde­cins non-homéo­pathes – et l’on fera le lien avec les notions d’effets contex­tuels abor­dés plus haut. Chose para­doxale, le médi­ca­ment homéo­pa­thique le plus ven­du est un médi­ca­ment non indi­vi­dua­li­sé, l’Oscillococcinum. Toutes les études en double aveugle montrent toutes le même résul­tat : l’homéopathie est un bon géné­ra­teur d’effet pla­ce­bo. Son effi­ca­ci­té spé­ci­fique, elle, est nulle. On pour­rait alors se deman­der com­ment est don­née l’Autorisation de Mise sur le Mar­ché (AMM) de l’homéopathie, puisque dans l’AMM, il faut prou­ver l’efficacité spé­ci­fique de la sub­stance. La réponse est vrai­ment étrange : les médi­ca­ments homéo­pa­thiques sont les seuls médi­ca­ments dis­pen­sés de faire la preuve de leur effi­ca­ci­té. Ils jouissent de condi­tions d’AMM allé­gées, sorte de passe-droit que gui­gne­raient volon­tiers tous les autres élé­ments de la phar­ma­co­pée. Il y a beau­coup d’articles dis­po­nibles pour entrer dans le détail de ces fon­de­ments de l’homéopathie. Voi­ci un bref résu­mé.
  • Patho­gé­né­sie. Hah­ne­mann est par­ti du prin­cipe qu’on doit soi­gner le mal par le mal, et a posé la règle sui­vante : si un poi­son crée des dégâts chez un sujet sain, on doit pou­voir l’utiliser pour gué­rir ces mêmes dégâts. Mais afin de ne plus avoir le « poi­son », mais seule­ment son mes­sage, il faut le diluer suf­fi­sam­ment, puis le dyna­mi­ser (cf. plus loin). Pre­nons un exemple : si le café main­tient éveillé un sujet sain, alors selon Hah­ne­mann du café hau­te­ment dilué et dyna­mi­sé (médi­ca­ment homéo­pa­thique Cof­fea cru­da) entrai­ne­ra le som­meil chez une per­sonne insom­niaque. Hah­ne­mann a ain­si posé des cen­taines de poi­sons, qui vont deMephi­tis puto­rius (sécré­tion de la glande anale du putois) à Ton­silli­num (extraits d’abcès d’amygdales) – et qui bat en brèche l’idée répan­due que l’homéopathie est une méde­cine à base de plantes. Cette règle de patho­gé­né­sie sur la base des poi­sons est désor­mais aban­don­née en méde­cine, car elle ne fonc­tionne pas et il n’y a aucun indice sus­pec­tant que ça puisse fonc­tion­ner. Chose étrange, l’homéopathie d’aujourd’hui n’est plus indexée sur les patho­gé­né­sies du fon­da­teur.

Atten­tion, le méca­nisme vac­ci­nal n’est pas le même : alors que Hah­ne­mann veut soi­gner le mal par la sub­stance hau­te­ment diluée et dyna­mi­sée qui à l’origine pou­vait créer le mal chez un sujet sain, le vac­cin « pré­vient » une mala­die en pré­pa­rant le corps à la sub­stance qui le ren­dra malade, et cela avec des doses impor­tantes. Là, quel que soit son point de vue moral des­sus, la tech­nique fonc­tionne, et le méca­nisme phy­sio­lo­gique est lar­ge­ment décrit depuis plus d’un siècle.

  • Très hautes dilu­tions. La sub­stance de départ est diluée dans 99 fois son volume de sol­vant (l’eau en géné­ral, par­fois l’alcool) pour obte­nir 1 CH, ou Cen­té­si­male Hah­ne­ma­nienne. CH2 revient à prendre une goutte de CH1, et redi­luer dans 99 gouttes de sol­vant (donc un volume de sub­stance, pour 10000 volumes de sol­vants, etc.) A par­tir de CH12, il n’y a pra­ti­que­ment plus aucune chance de trou­ver la molé­cule de départ, et chaque CH en plus divise cette chance par 100. À 5 CH, l’équivalence de dilu­tion est un fond de bière (1 cl) dans 40 pis­cines olym­piques. À 12 CH, c’est la même goutte de bière dans tous les océans du monde. Les plus curieux auront remar­qué qu’un autre type de dilu­tion est uti­li­sé entre autres pour l’Oscil­lo­coc­ci­num dilué à la 200e K. La tech­nique K du nom de son inven­teur l’homéopathe Semen Kor­sa­kov revient à rin­cer 200 fois un réci­pient avec de l’eau et en secouant très for­te­ment à chaque rin­çage, ce qui est une tech­nique de dilu­tion au bas mot hasardeuse.Devant de telles tech­niques, la seule solu­tion fut d’invoquer l’idée que même en l’absence de sub­stance, un mes­sage se répand dans le sol­vant qui en garde une « mémoire ». C’est ain­si que naquit l’histoire de la « mémoire de l’eau », née d’une publi­ca­tion dans Nature en 1989 de résul­tats que l’on a démon­trés depuis comme frau­du­leux. Ceci dit, rien pour l’instant ne vient à l’appui d’une telle « mémoire », mais qui sait ? Peut-être un jour la science mon­tre­ra-t-elle son exis­tence. En atten­dant, cette hypo­thèse n’est pas néces­saire car l’efficacité rela­tive de l’homéopathie ne dépasse pas les effets contex­tuels pla­ce­bo.
  • La suc­cus­sion. Voyant qu’en diluant ses poi­sons, il diluait éga­le­ment les prin­cipes actifs, Hah­ne­mann eut l’intuition de secouer le mélange pour le « dyna­mi­ser » et retrou­ver ain­si le « mes­sage » de départ. Pour l’instant, il n’existe aucun élé­ment à l’appui de l’idée que secouer une solu­tion dans laquelle trop peu de sub­stances actives sont pré­sentes réveille­rait et sti­mu­le­rait une acti­vi­té. Pour ima­ger un peu, c’est comme si, secouant un extrait de pas­tis dilué à un point où il n’y a plus les molé­cules du pas­tis, on retrou­vait du pas­tis.

L’efficacité thé­ra­peu­tique repose sur la confiance que les patients lui vouent cou­plée aux patho­lo­gies spon­ta­né­ment réso­lu­tives et aux régres­sions à la moyenne expliquent son suc­cès. Les mêmes effets contex­tuels sont obser­vés chez les nour­ris­sons. Quant aux ani­maux, idem (c’est mon­tré depuis 1999 par McMil­lian) avec un para­mètre en plus : non seule­ment les ani­maux sont sen­sibles aux effets contex­tuels – atten­tion accrue, visites plus nom­breuses, caresses – mais en outre le mieux-être est éva­lué par le pro­prié­taire, non par l’animal lui-même. Et il est rare que le pro­prié­taire ne sache pas quels sont les résul­tats atten­dus, ce qui est une belle brèche dans le double aveugle.

Les fleurs de Bach

Les élixirs flo­raux ont une théo­rie for­te­ment mys­tique, non basée sur des éva­lua­tions réelles mais sur l’intuition et la « révé­la­tion » du fon­da­teur, le très pieux Edward Bach. Les rares études déve­lop­pées, que j’ai toutes lues avec atten­tion 10, ont mon­tré que ces élixirs ont sen­si­ble­ment la même effi­ca­ci­té propre que l’homéopathie, avec ceci que les symp­tômes que les fleurs se pro­posent de soi­gner sont très sub­jec­tifs (red chest­nut pour lut­ter contre la ten­dance mère-poule par exemple, sweet chest­nut pour le « sen­ti­ment d’être au bord du gouffre » ou le célèbre rescue, ou remède de secours pour toute situa­tion de stress).

L’acupuncture

L’acupuncture est un peu dif­fé­rente. Même si la théo­rie est un vrai bri­co­lage, que les cartes de points sont un tel bazar qu’il a fal­lu ré-har­mo­ni­ser toutes les cartes dis­po­nibles, et que les sup­ports éner­gé­tiques pré­ten­dus n’ont jamais été iso­lés ou mis en évi­dence, on s’est ren­du compte chez l’humain comme chez les grands mam­mi­fères que le fait de piquer la peau a un inté­rêt. En double aveugle, les résul­tats sont sen­si­ble­ment les mêmes chez les acupuncté.es que chez cell.eux qui sont piqués hors point méri­dien ; idem pour ceux chez qui on a sim­ple­ment don­né l’impression de plan­ter une aiguille (rétrac­table), ce qui laisse pen­ser que c’est moins l’acupuncture et sa théo­rie que l’aiguille seule qui exerce un effet inté­res­sant. On a éga­le­ment remar­qué que l’acupuncture marche d’autant mieux que les thé­ra­peutes sont aimables et gentil.les. On dit aus­si – mais je n’ai pas trou­vé de source – que la tech­nique marche encore mieux quand il.les sont typé asia­tique, si pos­sible chi­nois. On entend par­fois dire que « tout de même, si les Chi­nois s’en servent depuis des mil­lé­naires, c’est qu’il y a une rai­son ». Non seule­ment on peut se ser­vir des mil­lé­naires de choses inef­fi­caces (comme les lave­ments ou les ven­touses en France), mais on se sert aus­si de l’effet pla­ce­bo depuis des mil­lé­naires. À titre d’anecdote, il est sti­mu­lant d’apprendre que l’acupuncture avait été for­te­ment délais­sée en Chine fin XIXe, consi­dé­rée comme la thé­ra­pie du pauvre, et il a fal­lu attendre un coup de bluff scien­ti­fi­co-poli­tique de Mao envers les États-Unis en 1971 pour relan­cer la mode hors-Chine 11.
La natu­ro­pa­thie2
C’est un domaine très touf­fu, puisqu’il mélange des tech­niques à fort mys­ti­cisme, des pro­cé­dés pseu­dos­cien­ti­fiques, à une par­tie phy­to­thé­ra­pie, à vel­léi­té scien­ti­fique, cer­taines plantes pou­vant avoir une cer­taine effi­ca­ci­té rela­tive (même l’efficacité de nous expé­dier en aller simple pour l’au-delà, comme la bel­la­done ou la digi­tale). La natu­ro­pa­thie repose tou­te­fois sur une pré­misse fausse : que tous les remèdes humains sont dans la nature, ce qui lais­se­rait pen­ser que la Nature a été créée pour l’Humain et son uti­li­sa­tion, ava­tar de la bon­té de Dame Nature et de la force cura­tive vitale van­tée au Moyen-âge. Ceci dit, il est des plantes pos­sé­dant des prin­cipes actifs, mais noyées dans un amas d’affirmations non démon­trées dans presque tous les bou­quins de bota­nique popu­laire. On lit par exemple que la tisane de tilleul fait dor­mir, alors que la même tisane sans le tilleul assou­pit dans les mêmes pro­por­tions… ce qui per­met de se pas­ser de tilleul, et de ne gar­der que l’essentiel : l’eau chaude. En outre il faut d’une part jau­ger le béné­fice contre les effets secon­daires – car tout prin­cipe actif a des effets secon­daires pos­sibles ; mais aus­si éva­luer la dose néces­saire, car s’il s’agit de man­ger plu­sieurs kilos de cer­feuil pour avoir sa dose de vita­mine C, il devient vite néces­saire de com­pac­ter la part inté­res­sante dans un petit gra­nu­lé et c’est… la nais­sance du médi­ca­ment, avec les dérives com­mer­ciales que l’on connaît.

Alors ?

Moi qui conteste le sys­tème de san­té, l’autoritarisme médi­cal, les indus­tries phar­ma­ceu­tiques et leur main­mise, je fais un constat assez per­tur­bant.
Les thé­ra­pies alter­na­tives n’offrent pas une alter­na­tive éco­no­mique.
Si j’excepte quelques recettes mises en open-source (dont l’efficacité n’est pas tou­jours au ren­dez-vous) je ne vois qu’une série d’initiatives mar­chandes pri­vées. Le mar­ché des méde­cines alter­na­tives est exem­plaire de capi­ta­lisme, depuis la supré­ma­tie mono­po­lis­tique de l’entreprise Boi­ron qui a tout rache­té, aux entre­prises flo­ris­santes d’élixirs flo­raux comme Nelson’s ou Cen­ter Bach qui se font une guerre com­mer­ciale à coup de pro­cès ; des salons du bien-être à celui de la détox aux gad­gets dépas­sant plu­sieurs cen­taines d’euros pré­sen­tés dans des foires hau­te­ment com­mer­ciales.
Les thé­ra­pies alter­na­tives n’offrent pas une alter­na­tive poli­tique.
J’y vois au contraire une pul­vé­ri­sa­tion et une dépo­li­ti­sa­tion du mal-être. Alors que beau­coup de souf­france pro­vient des alié­na­tions clas­siques, patro­nat et subor­di­na­tion, sexisme, dis­cri­mi­na­tion et souf­france au tra­vail, les thé­ra­pies alter­na­tives pro­posent à leurs clients en souf­france des solu­tions…. indi­vi­duelles. Vous souf­frez de ne pas pou­voir dire fuck à votre patron ? Ne lisez sur­tout pas Tho­reau, Bakou­nine, ou Sou­mis­sion à l’autorité de Mil­gram, mais pre­nez une gélule d’oligoéléments. Oh, vous ne pour­rez tou­jours pas dire fuck au boss, mais au moins vous vous sen­ti­rez mieux. Vous avez un fort ins­tinct mater­nel ? Ne lisez sur­tout pas Simone de Beau­voir ou Chris­tine Del­phy, pre­nez l’élixir Red Chest­nut. Vous, jeune étu­diant, vous stres­sez à l’école ? N’allez pas dis­cu­ter avec Cathe­rine Baker et par­ler d’insoumission à l’école obli­ga­toire, pre­nez des extraits de pépins de pam­ple­mousse et des mas­sages éner­gé­tiques.
Les thé­ra­pies alter­na­tives n’offrent pas une alter­na­tive à la sou­mis­sion à l’autorité.
Je n’aborde pas le sujet des pères fon­da­teurs de la plu­part des méde­cines douces, qui lorsqu’on les lit dans le texte, nous trans­portent plus du côté au mieux de l’écologisme de droite et de l’illumination à la Swe­den­borg, au pire vers les thèses de sou­mis­sion aux esprit des Grands Maîtres de l’Anthroposophie, et aux thèses astro­lo­go-racistes d’un Rudolf Stei­ner 12. Plus pro­saï­que­ment, il n’y a pas grande dif­fé­rence en terme de sou­mis­sion à l’autorité entre quelqu’un qui dépend d’un anxio­ly­tique et quelqu’autre qui dépend d’une caisse pleine d’homéopathie. J’ai des amis tout contents de ne plus aller chez le méde­cin, mais qui voient leur ostéo­pathe chaque semaine, l’étiopathe et le dié­té­ti­cien tous les mois, et qui télé­phonent régu­liè­re­ment à leur micro-kiné et leur bar­reur de feu. La réap­pro­pria­tion de notre propre san­té se refait confis­quer. Quitte à uti­li­ser un pla­ce­bo, je ne vois pas en quoi il est libé­ra­teur d’aller l’acheter à une mul­ti­na­tio­nale dont les patrons et l’actionnaire prin­ci­pal sont dans les 200 plus grandes for­tunes fran­çaises.
Alors ? Si on ajoute que les thé­ra­pies alter­na­tives n’offrent pas une alter­na­tive à l’efficacité, c’est-à-dire que l’efficacité réelle des thé­ra­pies est lar­ge­ment moindre que les thé­ra­pies scien­ti­fiques, je ne per­çois plus du tout l’intérêt de départ. Et moi qui sou­haite voir mes com­pa­gnon-nes poli­tiques en pleine forme, je suis inquiet.

Que faire ?

Voi­ci ce que pour ma part j’ai déci­dé de faire, et qui est acces­sible à pra­ti­que­ment tout le monde.
D’un côté : j’ai déci­dé de quit­ter les méde­cins qui me prennent 5 minutes entre deux portes, et qui accueillent des visi­teurs médi­caux des indus­tries phar­ma­ceu­tiques. J’essaie de savoir s’ils lisent la seule presse médi­cale indé­pen­dante, la revue Pres­crire, plu­tôt que les bro­chures des grands groupes indus­triels. J’exige qu’ils soient membres du For­min­dep, asso­cia­tion qui milite « pour une for­ma­tion médi­cale indé­pen­dante au ser­vice des seuls pro­fes­sion­nels de san­té et des patients » 13, et je les titille sur leurs conflits d’intérêts.
D’un autre, j’ai appris à aller cher­cher par moi-même les études faites en double-aveugle sur les pro­duits qu’on me donne (cher­cher le nom de la molé­cule de départ et le mot-clé « double blind » sur un moteur de recherche médi­cal comme www.pubmed.com, avec quelqu’un qui lit l’anglais). J’ai éga­le­ment appris à plon­ger dans les textes d’origine des fon­da­teurs (Hah­ne­mann, Bach, Stei­ner, Nozier, Von Pec­ze­ly, Freud etc.) dont les textes sont aus­si dis­po­nibles que très rare­ment lus.
D’un autre côté encore, je milite pour de réels biens publics de san­té, avec accès incon­di­tion­nel, per­son­nel suf­fi­sant, gra­tui­té des soins pour le maxi­mum de gens, et indé­pen­dance de l’information médi­cale face aux lob­bying indus­triel. Il s’agit d’un com­bat impor­tant car ces biens publics sont dis­lo­qués, mor­ce­lés par le gou­ver­ne­ment fran­çais et les direc­tives euro­péennes for­te­ment libé­rales. Le fait que les hôpi­taux ferment des lits, fonc­tionnent à flux ten­du de per­son­nel, ou acceptent des queues aux urgences n’est pas le fruit du hasard, mais d’une mar­chan­di­sa­tion du soin contre laquelle il faut se battre et dont les pre­mières vic­times sont les pauvres qui ne peuvent se payer des soins pri­vés. Cer­taines opé­ra­tions sont deve­nues plus ren­tables que d’autres, les mutuelles se trans­forment en assu­rances sous nos yeux, et une cer­taine morale s’y ins­tille, vis-à-vis des toxi­co­manes, des autistes et de leurs parents, des femmes qui avortent, ou des tran­si­den­ti­tés3 qui sont méju­gées.
Enfin, et c’est peut être le plus sub­ver­sif, j’ai appris les méca­nismes du pla­ce­bo et à jouer avec. Je fabrique mes pla­ce­bos, je fais des tisanes de sor­cières avec plein de trucs dedans, et pour 8 à 9 patho­lo­gies sur dix, j’utilise la méthode la plus « natu­relle » qui soit : j’attends et je glande. Et si par hasard nous contrac­tons une patho­lo­gie lourde, il nous faut deman­der, exi­ger même, toutes les solu­tions pos­sibles, leur taux d’efficacité, leurs effets col­la­té­raux, quitte à se faire accom­pa­gner si les termes tech­niques nous com­plexent. Car c’est seule­ment ain­si que nous pour­rons faire le meilleur choix, et l’imposer : le nôtre, quel qu’il soit. Car il sera fait en toute connais­sance de cause. Le méde­cin ne sera plus que l’exécutant de notre choix éclai­ré, et les opi­nions, croyances et res­sen­tis de cha­cun auront leur place et seront un élé­ment de ce choix. Je hasarde donc un vœu : qu’on prenne l’efficacité de la méde­cine scien­ti­fique, et la dou­ceur de la prise en charge des tech­niques douces, et qu’on créé une troi­sième voie, effi­cace et douce, mais aus­si vrai­ment alter­na­tive : celle du com­bat pour des ser­vices publics de san­té effi­caces, éga­li­taires, mutua­listes, patients, et déli­vrant une infor­ma­tion fiable, contrô­lable et indé­pen­dante des indus­tries.

Richard Mon­voi­sin

Notes

  • 1. Voir Effet pan­gloss, les dan­gers des rai­son­ne­ments à reboursLa Tra­verse 2.
  • 2. Je n’utilise pas par hasard Mère Tere­sa, qui en plus d’être bap­ti­seuse de mori­bonds, était inté­griste conser­va­trice et anti-avor­te­ment comme l’a mon­tré Chris­to­pher Hit­chens dans Le mythe de mère Tere­sa ou com­ment deve­nir une sainte de son vivant grâce à un excellent plan média, Dagor­no (1996) et dans Mère Tere­sa, une sain­te­té média­tiqueLe Monde Diplo­ma­tique (novembre 1996).
  • 3. Un exemple tout à fait épou­van­table sur la Bio­lo­gie totale est don­né dans On a tué ma mère – Face aux char­la­tans de la san­té, par Natha­lie de Reuck et Phi­lippe Dutilleul, Buchet Chas­tel (2010).
  • 4. Il semble que la ver­sion du film de Sean Penn soit un peu arran­gée et que McCand­less soit plus pro­ba­ble­ment mort d’une com­bi­nai­son de sous-nutri­tion et du Mal du Cari­bou – hyper­con­som­ma­tion qua­si-exclu­sive de pro­téines ani­males, appe­lée aus­si rabbit star­va­tion.
  • 5. Le cara­bin, sur­nom de l’étudiant en méde­cine, est un terme qui dési­gnait ceux qui enfouis­saient les morts pen­dant les grandes pestes de la fin du Moyen-Âge.
  • 6. C’est le pre­mier ver­set de la Vul­gate, la Bible ver­sion latine, uti­li­sé au V° siècle dans la litur­gie lors de l’Office des morts
  • 7. Richard Asher en par­lait dans son recueil d’articles non tra­duit Tal­king Sense, Pit­man Medi­cal (1972). À titre d’anecdote, Asher dénon­çait la lit­té­ra­ture scien­ti­fique incrus­tée de « foul-2-mots-6-byl‑1,1‑compréhensibles-2-tout-1-chakin » (allotov-words-2-obscure-4-any‑1,2‑succidin-understanding-them) et par­lait des 7 péchés capi­taux du méde­cin : l’obscurité, la cruau­té, les mau­vaises manières, la sur-spé­cia­li­sa­tion, l’amour du rare, la stu­pi­di­té com­mune et la paresse (dans The Lan­cet, 27 août 1949, pages 358–60).
  • 8. Autre anec­dote : on doit ce biais, cette « regres­sion to the mean », à Fran­cis Gal­ton, grand savant mais éga­le­ment tra­gique fon­da­teur de l’eugénisme, et inven­teur de la sys­té­ma­tique des empreintes digi­tales.
  • 9. Elton Mayo, Haw­thorne and the Wes­tern Elec­tric Com­pa­nyThe Social Pro­blems of an Indus­trial Civi­li­sa­tion, Rout­ledge (1949). Cela rejoint ce que les ensei­gnants appellent par­fois l’effet Pyg­ma­lion, sorte de pro­phé­tie auto­réa­li­sa­trice qui consiste à influen­cer l’évolution d’un élève en émet­tant une hypo­thèse sur son deve­nir sco­laire. Mais si l’effet Haw­thorne est consi­dé­ré comme cer­tain, l’effet pyg­ma­lion a semble-t-il été sur­es­ti­mé.
  • 10. J’ai recen­sé tout cela dans Les fleurs de Bach, Enquête au pays des élixirs, Book-i-book.com (2008).
  • 11. L’opération de l’appendicite « sous acu­punc­ture » du jour­na­liste James Res­ton à Pékin lors du voyage du pré­sident Nixon, et racon­tée par ses soins dans le New York Times du 26 juillet 1971 fit grand bruit. Mais l’histoire est embel­lie, puisqu’il semble que Res­ton eut une anes­thé­sie et des soins post-opé­ra­toires clas­siques aux­quels fut adjointe de l’acupuncture.
  • 12. À pro­pos de Stei­ner, je ne parle pas direc­te­ment des écoles Wal­dorf, de l’agriculture bio­dy­na­mique, des pro­duits Wele­da ou du mou­ve­ment Cam­phill, mais du père fon­da­teur lui-même, Rudolf Stei­ner, dont il faut lire les textes pour se rendre compte qu’on n’est pas du tout dans l’alternative pro­gres­siste, mais plus volon­tiers dans le natu­ra­lisme chré­tien d’extrême-droite. Cela vaut le détour de lire par exemple R. Stei­ner, Cours aux agri­cul­teurs, Nova­lis (2003).
  • 13. Asso­cia­tion For­min­dep www.formindep.org

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