Les discussions vont bon train ces derniers temps pour savoir quels sont les droits que l’on doit conférer aux animaux non humains, aux robots, aux éventuels extraterrestres et parfois même, si si, je vous jure, aux migrants et aux Roms. Ils ne savent plus quoi inventer. Mais bien rares sont ceux qui abordent le droit des végétaux, à part pour se moquer des égalitaristes du droit animal en mimant le fameux cri de la carotte1.
Il y a pourtant des dizaines de milliers de « types » d’arbres, avec des ports différents, regroupant des milliers d’espèces allant du rachitique prunus derrière chez vous au majestueux marronnier du Parc Mistral. Les Humains décrètent qu’untel, très imposant comme le séquoia Général Shermann aux États-Unis, mérite le respect. Que tel autre, moche mais très vieux, mérite révérence. C’est parfois leur solitude qui émeut : ainsi l’acacia du Ténéré, au Niger, seul arbre à 150 km à la ronde, flingué en 1973 par un conducteur libyen bourré. Ou le chêne de Venon, bien de chez nous, qui frime sur sa bosse en début de
Belledonne, et dans lequel personne n’a foncé pour l’instant. À partir de quand donner des droits à des essences végétales qui n’ont pas de conscience à proprement parler, et encore moins de devoirs ? Cette question peut vous passer au dessus de la canopée, n’empêche : nous le faisons déjà. Arbres remarquables, arbres protégés, et même parcs protégés, sont autant de façons de donner des droits à nos camarades ligneux, au nom d’un certain patrimoine, naturel, culturel ou symbolique. Même si les parcs ou réserves servent souvent de green washing pour pouvoir bousiller tout ce qui est autour.
La question à 1000 francs : qui décide que tel arbre mérite protection ?
Encart spécial Grenoblô Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. Proverbe de Center Parcs
Il y a environ 150 ans, sont nées à Grenoble les fameuses « manifestations écologistes qui foirent ». 1877 : Mairie – arbres : 1–0 1888 : Mairie – arbres : 2–0 1900 : Mairie – arbres : 3–0 À croire que les luttes de ce type sont vouées à finir dans la pétafine 2. Alors vite Marty, comme dans Retour vers le futur, montons dans la DeLorean, et allons voir si le XXIème siècle c’est mieux.
Alors oui, Grenoble a inventé en quelque sorte les manifs écolos foireuses. Et les pouvoirs publics s’imposent comme il y a 150 ans. Car le problème est là : certains arrachages pourraient être rationnellement justifiés. Ce qui agace, c’est que la populace, sûrement trop ivrogne, crasseuse et sans dents, ne soit pas digne, ni en 1877, ni en 2020, d’être consultée. |
Renseignements pris, les rares luttes écologistes qui ont fonctionné de par le monde possédaient au moins l’un des deux ingrédients suivants :
- soit s’est imposé un système de consultation référendaire sur des choix de ce genre à l’échelle locale.
- soit a été défendu un droit au sens pénal du terme, même pour des « choses » qui n’ont pas la capacité de plaider.
Un exemple, avec un Goliath de taille : dans les années 1960, la société Walt Disney projeta d’installer une station de sports d’hiver dans une vallée de Californie du Sud, nommée Mineral King et célèbre pour ses séquoias. Le Sierra Club, association de protection de la nature engagea une action en justice contre le projet, mais la Cour d’appel de Californie la rejeta au motif que l’asso n’avait pas d’intérêt propre à agir : elle ne pouvait pas parler de préjudice personnel. Alors Christopher Stone le juriste, défendit l’idée suivante : pourquoi ne peut-on pas plaider la cause des séquoias ? Pourquoi, ne pas ouvrir les tribunaux états-uniens aux « rivières, aux lacs, aux estuaires, aux plages, aux crêtes montagneuses, aux bosquets d’arbres, aux marais et même à l’air » ? Si le Sierra club finit bien par perdre, l’article ébranla bien des juges, et l’affaire retarda tant les travaux que Disney dut abandonner.
Depuis, les cas s’amoncellent. En 2008, l’Équateur a fait expressément de la nature un sujet de droit dans sa constitution, ce qui permet à l’État d’aller en justice pour défendre un écosystème (c’est arrivé parait-il 25 fois en dix ans). En 2010, la Bolivie a adopté une loi sur les « droits » de la Terre-Mère. En 2017, la Nouvelle-Zélande reconnaît la personnalité juridique du fleuve Whanganui sur demande des Mahoris, pour que cesse l’exploitation du cours d’eau. Même année, la Haute Cour de l’État de l’Uttarakhand, en Inde, a décrété un statut de personne morale au Gange et à la Yamuna. Aux États-Unis, dans l’Ohio, les gens de Toledo ont voté (suite à un ras-le-bol des pollutions) pour que l’un des grands lacs, le lac Erié devienne lui aussi une entité juridique, et puisse donc être défendu comme tel devant la justice. Cela aboutira-t’il ? Possible. À Curridaba, en périphérie de San José, capitale du Costa Rica, parait que les arbres, les plantes et les insectes pollinisateurs comme les abeilles et les papillons ont désormais depuis 2020 le statut de citoyens. Afin de leur donner le droit de vote ? Évidemment non. Il s’agit de contraindre la ville de s’adapter à son environnement naturel, et non pas à l’environnement de s’adapter à la ville.
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