Deux années vécues en Guinée Conakry ne me permettent pas de me prétendre expert, pas même de la région où je vivais… Pas même du quartier où j’étais, moi, un « blanc aux yeux grands ouverts mais qui ne voit rien ». Par contre, ça m’a donné des grilles de lecture, et depuis lors je me tiens informé de la géopolitique locale un minimum. Ça me permet de comprendre des choses qui devraient faire pâlir d’envie les gens férus de complot.
Donc ceci est un appel ! En effet, pourquoi aller regarder Hold-up, mille-feuille argumentatif tellement tellement suintant que j’ai dû faire un break au bout de 45 minutes pour me débarbouiller ? De vraies manipulations, il y en a, et pas besoin d’aller à Washington chercher un Deepstate, le state tout court suffit.
Donc, toi mon ami·e, si tu cherches à jouer dans la cour des lanceurs d’alerte, écoute ça.
Chaque jour, le café que je bois, le chocolat que tu manges vient essentiellement d’un pays, la Côte d’Ivoire. Je passe sur les détails et manœuvres qui ont fait de cet état une sorte de gouvernorat de la France, je t’évite le détail des stratégies de nos présidents successifs pour asseoir au trône ivoirien le meilleur client, cette fois, en 2020, c’était la fin de règne pour Alassane Ouattara. Mais son successeur désigné, Amadou Gon Coulibaly, meurt d’un arrêt cardo-respiratoire en juin. Alors Ouattara décide dans un élan prophétique de sauver son pays, cela d’autant plus promptement que candidate son ancien ennemi juré, l’ancien président Gbagbo, qui rôde toujours à l’affût. Seulement cela voudrait dire rempiler pour un troisième mandat, contre la constitution qui n’en prévoit que deux. Alors ? On s’arrange pour que des régions entières n’aient pas accès aux bureau de vote, on alimente un sordide début de guerre civile, puis on se présente en sauveur et le 31 octobre dernier, on annonce le début de son troisième mandat, avec un score que même le coréen du Nord Kim Jong-un jalouse : 94,27 % des voix.
Pourquoi notre Macron, si prompt à porter la démocratie dans la plaie, ne s’en émeut pas ? Si j’en crois mes lectures, c’est qu’il a gravement besoin de la base française d’Abidjan, plate-forme logistique de l’opération Barkhane. Alors il se tait. Et si vous n’avez pas suivi, 1,2 milliards de nos impôts sont partis dans cette opération militaire cette année, je l’ai déjà raconté ici. L’objectif de Barkhane ? Pacifier le Mali et lui donner une démocratie. Bon, une barkhane, c’est une dune en forme de croissant, qui avance dans le sens du vent à une vitesseavec Q : flux volumique de sable par unité de longueur, h : hauteur de la dune, et v : vitesse de déplacement de la dune. Mais l’opération Barkhane, elle, avance moins vite, ça fait sept ans que ça dure et que la France s’inquiète surtout de pacifier ses intérêts nucléaires sur place. Au final, la situation est encore pire que quand elle est arrivée (ce que démontre bien Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans le livre Une guerre perdue, j’en ai déjà causé, je radote) – le dernier soubresaut, bien sanglant, étant un coup d’état militaire destituant Ibrahim Boubacar Keïta, le président élu, fin août dernier.
Abidjan, Bamako, Conakry : le triangle des Bermudes de la démocratie
Quant à la pauvre Guinée, encore plus mal lotie que les autres, elle n’intéresse plus guère la France. Quand j’y habitais, Alpha Condé était un opposant politique, en prison dans des conditions atroces. Maintenant, après deux mandats comme président, celui qui se voyait en Mandela, et que Tiken Jah Fakoly soutenait en chanson se transforme en Mugabe. Il s’est présenté fin octobre pour un troisième mandat, anticonstitutionnel lui aussi, ce qui a déclenché des violences qui ensanglantent encore Conakry à l’heure où j’écris ces lignes.
Qui conteste ce rapt démocratique ? La France ? Non, pas vraiment. Depuis que le projet d’exploitation du fer du Mont Nimba est arrêté, et que Australiens, Chinois et Russes se partagent ce qu’il reste, comme la Bauxite, la France s’en tamponne le coquillard. Tout comme on s’en cogne de l’Éthiopie, où ça part en cacahuète, de la Centrafrique, du Nigéria. En fait, l’Afrique n’intéresse que les entreprises un peu vautour, qui fondent sur les pays pour leur faire signer à la va-vite des PPP, partenariats public-privé, dont le beurre partira dans des poches bien blanches, et dont les Africains seront éternellement la dupe (voir l’article du Monde diplomatique, nov. 2020).
Les choses s’arrangeront-elles là-bas ?
Un jour j’étais assis sur un tas de briques avec un vieux, on mâchait un ningi-mabase, une branche qui nettoie les dents (je crois que c’est Salvadora persica). Le vieux m’a
dit : « toi tu aimerais changer les choses pour nous ? Eh bien rentre chez toi, alors , parce que c’est là-bas que ça se décide ».
Alors je suis rentré. Ou peut-être faudrait-il se contenter, comme nous y invitait le romancier Ahmadou Kourouma, d’attendre le vote des bêtes sauvages ?
Cela me rappelle mes propres expériences de toubabou circonspect au Burkina Faso : il y avait ce quartier, Ouaga 2000, que le « state » avait lancé avec la construction de 100 palaces présidentiels, qui sont restés vides de nombreuses années. Je m’y baladais en scooter, chaque maison était vide, avec un gardien payé à surveiller devant chacune d’elle. Entre ça, l’entretien d’embauche d’une amie auquel j’ai dû assister, parce qu’avoir un « nassara » (blanc ou roi blanc je ne sais plus ce que ça signifie en moré), permettait d’être bien positionné pour avoir le job, entre les enterrements de trois jours à manger des côtes de chien et la messe de l’ascension de 5h (qui ressemblait plus à une rave party), ou les cérémonies animistes qu’on m’a interdit de voir, sinon l’esprit allait me dépecer, j’ai énormément appris également sur l’humain !
Merci Raph. Je crois que l’humanitariat, c’est le sanglot de l’homme blanc, étouffé à moindre coût
Merci de ce partage d’une réflexion au combien importante… surtout pas les temps qui courent
Rectif au par ô