
« Pour deux raisons : premièrement car l’enseignement et le développement de l’esprit critique sont deux sujets qui me passionne et deuxièmement car c’est pour moi un axe majeur dans l’enseignement que je mène et que je compte mener à l’avenir. C’est un domaine sur lequel les élèves (en tout cas les miens) sont très peu formés malgré le besoin de tri d’informations dû aux réseaux sociaux. La sortie du pseudo documentaire Hold Up a été pour moi un élément majeur en ce début d’année, les élèves ne savants pas quoi en penser malgré les extraits qui ont pu leur être présenté sur les réseaux sociaux !C’est en plus un sujet qui permet d’illustrer facilement l’utilité des mathématiques et d’expliquer pourquoi il est important d’avoir de bonnes bases en mathématiques, peu importe le domaine dans lequel on se dirige ».
Fin mai, le jury de l’INSPE a passablement étrillé le travail. Pour des raisons recevables, et d’autres non.
Oui, le mémoire manque un peu de contenu théorique et d’exemples de cours ayant été conduits sur le même sujet dans le passé.
Oui, les mesures d’impacts étaient un peu trop hétérogènes et pas assez bien menées.
Oui, dans l’absolu, Sacha aurait dû exposer les élèves à du contenu objet de critique post-séance pour voir s’ils et elles étaient plus « critiques » qu’avant. Mais je suis bien placé pour le savoir (cf. nos recherches sur le raisonnement panglossien avec Margaux Manka et Philippe Dessus) : faire des recherches de ce type est infiniment long, nécessite des échelles de mesure de la pensée critique qui sont imparfaites, parfois non traduites. C’est un travail de chercheur de science de l’éducation ou de psycho difficilement accessible à un mémoire de professeur de collège-lycée stagiaire.
Mais un membre du jury lui aurait signifié « On ne développe l’esprit critique des élèves en distillant le doute mais en étayant des raisonnements par des preuves scientifiques et en s’assurant qu’elles sont bien perçues et maîtrisées des élèves », ce qui n’est ni vrai ni faux, ni fait ni à faire. L’un·e des membres du jury aurait eu vraiment peur que les élèves remettent en question les notions qu’on leur apprend, et par extension remettent en question aussi l’autorité et la place des profs. Cet argument, absolument réactionnaire, m’a à moi-même déjà été objecté lors de diverses conférences à des inspecteurs pédagogiques régionaux (spéciale dédicace à Stanislas Antczak, agrégé de physique, qui a vécu une scène désagréable de ce type avec moi vers 2008). Ce raisonnement fonctionne par plurium affirmatum. Il prend pour supports trois prémisses qui sont loin d’être acquises :
- que les élèves ne peuvent pas faire la différence entre un doute unilatéral et un doute méthodique ;
- que les élèves confondent le fondé d’un savoir et le fondé d’une situation d’interaction sociale comme l’enseignement ;
- que l’autorité et la place des profs doit être inébranlable.
« J’ai au cours de l’année, demandé plusieurs fois un retour critique de la part des élèves à travers les délégués à propos du cours de mathématiques, ça c’est toujours très bien passé et mon autorité n’a aucunement été perturbée, bien au contraire, la relation de confiance tissée avec les élèves m’a valu des remerciements de la part des élèves en conseil de classe et de la part de parents d’élèves. »
De fait, Sacha m’a raconté que le jury avait trouvé assez « déplacé » le fait de demander aux élèves si la séance leur avait plu.
Certes, le mot « plu » n’est pas clair (on peut plaire et être incompétent, être compétent et ne pas plaire, et 50 nuances de gris), mais en quoi est-ce déplacé de redonner non pas un pouvoir, mais un tout petit levier de rétroaction aux élèves ? En gros, c’est avoir manqué l’étape Célestin Freinet, celle de Paolo Freire, et celle de Francisco Ferrer, etc. Si vous cherchez à en savoir plus, je vous renvoie à ce travail collectif que nous avions fait au CORTECS en 2017 et qui s’appelait Petite bibliographie – audiographie sur l’éducation, la pédagogie et toutes ces sortes de choses. Servez-vous.
Peu importe les défauts du mémoire, Sacha essuie un peu les plâtres d’une institution devenue rigide, où les initiatives avant-gardistes pullulent mais doivent se battre dans un cadre aussi mobile que l’Ever Given dans le canal de Suez.
« J’aimerais faire une thèse sur l’enseignement de l’esprit critique en mathématiques dans le secondaire. C’est un objectif de travail uniquement, enseigner au lycée me convient tout à fait et je ne souhaite pas enseigner à la fac. Faire de la recherche n’est pas mon premier objectif, si l’occasion se présentait peut-être en ferais-je dans un futur. Faire mon mémoire a été un véritable plaisir, je suis plutôt quelqu’un de bien organisé et d’efficace dans le travail, faire cette thèse à côté de mon boulot ne me fais pas peur. (attention Sacha : les maisons de repos sont pleines de thésard·es a harassé·es et en souffrance -> il faut laisser traîner ses oreilles près du Podcast Thésard·es par exemple) Je n’ai d’ailleurs pas besoin de financement, je voudrais faire ma thèse en même temps que mon travail (donc thèse en 6 ans au lieu de 3) pour pouvoir faire des expérimentations dans mes classes et dans celles de mes collègues. L’avantage des mathématiques c’est que niveau matériel d’expérimentation, nous ne coûtons pas très cher et le coût de ce que je pourrais faire sera très largement couvert par le budget du labo de maths ».
Je vais indiquer ici de manière concise ce que je réponds aux nombreuses demandes d’encadrement de thèse en lien avec la pensée critique.
- S’infliger une thèse mérite un objectif académique derrière, sinon à quoi bon ? Même pour les encadrant·es, dont la seule « monnaie » qui les fait surnager dans l’institution est le nombre de publications qui sortent de ladite thèse.
- Sans financement, c’est un sacerdoce (et la souffrance, hors religion monothéiste, n’est pas rédemptrice).
- On peut se greffer à des laboratoires de recherche sans être docteur·e, comme collaborateur/rice.
En attendant, Sacha, je pense que tu mérites attention, encouragements. Je sais qu’un membre du jury a qualifié la réflexion de fond de mon mémoire de « peu heureuse », et je pense qu’il fait erreur. Je te suggère fortement de prendre langue avec le CORTECS dans sa branche « enseignement secondaire », avec l’ami Denis Caroti qui s’y connaît autant en pensée critique qu’en plâtres essuyés. Sa devise est restée « Je pense, donc j’essuie ».
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