Sacha Stefanelli Sacha Ste­fa­nel­li.
Lyon­nais.
25 ans.
Lunettes noires amo­vibles.
Pro­fes­seur de mathé­ma­tiques en lycée
Son œuvre  : un mémoire pro­fes­sion­nel, effec­tué à l’INSPE (ex-ESPE, ex-IUFM, ex-école nor­male) de Dijon, sous la direc­tion de Patrick Mignot
Thème : ensei­gne­ment de l’es­prit cri­tique et mathé­ma­tiques
Rien qu’au titre, mon coeur fai­sait des bonds.
Je lui ai deman­dé pour­quoi il avait choi­si ce thème :
« Pour deux rai­sons : pre­miè­re­ment car l’en­sei­gne­ment et le déve­lop­pe­ment de l’es­prit cri­tique sont deux sujets qui me pas­sionne et deuxiè­me­ment car c’est pour moi un axe majeur dans l’en­sei­gne­ment que je mène et que je compte mener à l’a­ve­nir. C’est un domaine sur lequel les élèves (en tout cas les miens) sont très peu for­més mal­gré le besoin de tri d’in­for­ma­tions dû aux réseaux sociaux. La sor­tie du pseu­do docu­men­taire Hold Up a été pour moi un élé­ment majeur en ce début d’an­née, les élèves ne savants pas quoi en pen­ser mal­gré les extraits qui ont pu leur être pré­sen­té sur les réseaux sociaux !
C’est en plus un sujet qui per­met d’illus­trer faci­le­ment l’u­ti­li­té des mathé­ma­tiques et d’ex­pli­quer pour­quoi il est impor­tant d’a­voir de bonnes bases en mathé­ma­tiques, peu importe le domaine dans lequel on se dirige ».
Alors j’ai lu son mémoire, que je vous mets ici à télé­char­ger.

Fin mai, le jury de l’INSPE a pas­sa­ble­ment étrillé le tra­vail. Pour des rai­sons rece­vables, et d’autres non.

Oui, le mémoire manque un peu de conte­nu théo­rique et d’exemples de cours ayant été conduits sur le même sujet dans le pas­sé.

Oui, les mesures d’im­pacts étaient un peu trop hété­ro­gènes et pas assez bien menées.

Oui, dans l’ab­so­lu, Sacha aurait dû expo­ser les élèves à du conte­nu objet de cri­tique post-séance pour voir s’ils et elles étaient plus « cri­tiques » qu’a­vant. Mais je suis bien pla­cé pour le savoir (cf. nos recherches sur le rai­son­ne­ment pan­glos­sien avec Mar­gaux Man­ka et Phi­lippe Des­sus) : faire des recherches de ce type est infi­ni­ment long, néces­site des échelles de mesure de la pen­sée cri­tique qui sont impar­faites, par­fois non tra­duites. C’est un tra­vail de cher­cheur de science de l’é­du­ca­tion ou de psy­cho dif­fi­ci­le­ment acces­sible à un mémoire de pro­fes­seur de col­lège-lycée sta­giaire.

Mais un membre du jury lui aurait signi­fié « On ne déve­loppe l’es­prit cri­tique des élèves en dis­til­lant le doute mais en étayant des rai­son­ne­ments par des preuves scien­ti­fiques et en s’as­su­rant qu’elles sont bien per­çues et maî­tri­sées des élèves », ce qui n’est ni vrai ni faux, ni fait ni à faire. L’un·e des membres du jury aurait eu vrai­ment peur que les élèves remettent en ques­tion les notions qu’on leur apprend, et par exten­sion remettent en ques­tion aus­si l’au­to­ri­té et la place des profs. Cet argu­ment, abso­lu­ment réac­tion­naire, m’a à moi-même déjà été objec­té lors de diverses confé­rences à des ins­pec­teurs péda­go­giques régio­naux (spé­ciale dédi­cace à Sta­nis­las Antc­zak, agré­gé de phy­sique, qui a vécu une scène désa­gréable de ce type avec moi vers 2008). Ce rai­son­ne­ment fonc­tionne par plu­rium affir­ma­tum. Il prend pour sup­ports trois pré­misses qui sont loin d’être acquises :

  • que les élèves ne peuvent pas faire la dif­fé­rence entre un doute uni­la­té­ral et un doute métho­dique ;
  • que les élèves confondent le fon­dé d’un savoir et le fon­dé d’une situa­tion d’in­te­rac­tion sociale comme l’en­sei­gne­ment ;
  • que l’au­to­ri­té et la place des profs doit être inébran­lable.

« J’ai au cours de l’an­née, deman­dé plu­sieurs fois un retour cri­tique de la part des élèves à tra­vers les délé­gués à pro­pos du cours de mathé­ma­tiques, ça c’est tou­jours très bien pas­sé et mon auto­ri­té n’a aucu­ne­ment été per­tur­bée, bien au contraire, la rela­tion de confiance tis­sée avec les élèves m’a valu des remer­cie­ments de la part des élèves en conseil de classe et de la part de parents d’é­lèves. »

De fait, Sacha m’a racon­té que le jury avait trou­vé assez « dépla­cé » le fait de deman­der aux élèves si la séance leur avait plu.

Certes, le mot « plu » n’est pas clair (on peut plaire et être incom­pé­tent, être com­pé­tent et ne pas plaire, et 50 nuances de gris), mais en quoi est-ce dépla­cé de redon­ner non pas un pou­voir, mais un tout petit levier de rétro­ac­tion aux élèves ? En gros, c’est avoir man­qué l’é­tape Céles­tin Frei­net, celle de Pao­lo Freire, et celle de Fran­cis­co Fer­rer, etc. Si vous cher­chez à en savoir plus, je vous ren­voie à ce tra­vail col­lec­tif que nous avions fait au CORTECS en 2017 et qui s’ap­pe­lait Petite biblio­gra­phie – audio­gra­phie sur l’é­du­ca­tion, la péda­go­gie et toutes ces sortes de choses. Ser­vez-vous.

Peu importe les défauts du mémoire, Sacha essuie un peu les plâtres d’une ins­ti­tu­tion deve­nue rigide, où les ini­tia­tives avant-gar­distes pul­lulent mais doivent se battre dans un cadre aus­si mobile que l’Ever Given dans le canal de Suez.

J’ai deman­dé à Sacha quelle suite il veut don­ner à cela.

« J’ai­me­rais faire une thèse sur l’en­sei­gne­ment de l’es­prit cri­tique en mathé­ma­tiques dans le secon­daire. C’est un objec­tif de tra­vail uni­que­ment, ensei­gner au lycée me convient tout à fait et je ne sou­haite pas ensei­gner à la fac. Faire de la recherche n’est pas mon pre­mier objec­tif, si l’oc­ca­sion se pré­sen­tait peut-être en ferais-je dans un futur. Faire mon mémoire a été un véri­table plai­sir, je suis plu­tôt quel­qu’un de bien orga­ni­sé et d’ef­fi­cace dans le tra­vail, faire cette thèse à côté de mon bou­lot ne me fais pas peur. (atten­tion Sacha : les mai­sons de repos sont pleines de thésard·es a harassé·es et en souf­france ->  il faut lais­ser traî­ner ses oreilles près du Pod­cast Thésard·es par exemple) Je n’ai d’ailleurs pas besoin de finan­ce­ment, je vou­drais faire ma thèse en même temps que mon tra­vail (donc thèse en 6 ans au lieu de 3) pour pou­voir faire des expé­ri­men­ta­tions dans mes classes et dans celles de mes col­lègues. L’a­van­tage des mathé­ma­tiques c’est que niveau maté­riel d’ex­pé­ri­men­ta­tion, nous ne coû­tons pas très cher et le coût de ce que je pour­rais faire sera très lar­ge­ment cou­vert par le bud­get du labo de maths ».

Je vais indi­quer ici de manière concise ce que je réponds aux nom­breuses demandes d’en­ca­dre­ment de thèse en lien avec la pen­sée cri­tique.

  • S’in­fli­ger une thèse mérite un objec­tif aca­dé­mique der­rière, sinon à quoi bon ? Même pour les encadrant·es, dont la seule « mon­naie » qui les fait sur­na­ger dans l’ins­ti­tu­tion est le nombre de publi­ca­tions qui sortent de ladite thèse.
  • Sans finan­ce­ment, c’est un sacer­doce (et la souf­france, hors reli­gion mono­théiste, n’est pas rédemp­trice).
  • On peut se gref­fer à des labo­ra­toires de recherche sans être docteur·e, comme collaborateur/rice.

En atten­dant, Sacha, je pense que tu mérites atten­tion, encou­ra­ge­ments. Je sais qu’un membre du jury a qua­li­fié la réflexion de fond de mon mémoire de « peu heu­reuse », et je pense qu’il fait erreur. Je te sug­gère for­te­ment de prendre langue avec le CORTECS dans sa branche « ensei­gne­ment secon­daire », avec l’a­mi Denis Caro­ti qui s’y connaît autant en pen­sée cri­tique qu’en plâtres essuyés. Sa devise est res­tée « Je pense, donc j’es­suie ».

 

 

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