Tribune. La crise sanitaire qui frappe aujourd’hui agit comme un révélateur de violences, d’inégalités et d’injustices, à bien des égards. Les obligations nouvelles imposées par le gouvernement pour contenir l’épidémie exacerbent la fragilité des personnes en situation administrative précaire et les exposent bien davantage aux risques de contagion, sans qu’ils puissent compter sur un recours aux soins tel que nous, citoyen·nes régulier·es, en disposons. Cette période de confinement renouvelle à plus fortes raisons l’exigence de garantir l’égalité de traitement de toutes et de tous comme le plein exercice des droits fondamentaux.
Le refus de stabiliser leur présence sur le territoire provoque en chaîne leur appauvrissement en les privant de subvenir eux-mêmes à leurs besoins en travaillant ; leur existence dans un habitat ultra précaire, voire à la rue ; leur état de santé détérioré de ce fait (les personnes exilées arrivent généralement sur le territoire en bonne santé et leur état de santé se dégrade en France) ; leur accès restreint aux soins ; leur non-recours aux quelques droits dont ils et elles pourraient disposer, par manque d’information et d’accompagnement ; la répression du fait de la pénalisation de plus en plus grave de la migration…
Assumons-nous d’exposer à de tels risques des personnes dont la précarité est le seul résultat de l’administration ? En pleine épidémie, ces personnes n’ont pas un égal accès à la santé. L’accès à l’aide médicale d’Etat (AME), pour les personnes sans papiers, et à la protection universelle de maladie (Puma), pour les personnes en demande d’asile, a été réduit par des décrets publiés en décembre, imposant un délai de carence supplémentaire de trois mois.
Quand elles disposent de cet accès à la santé, elles ne sont prises en charge que par les services d’urgence des hôpitaux publics et peuvent rarement se tourner vers la médecine de ville, pesant sur un service public hospitalier déjà restreint par les choix politiques néolibéraux et surchargés par l’épidémie en cours. Le plus souvent, elles ne recourent pas aux soins, par peur ou par manque de connaissance de leurs droits. Ces personnes venues chercher un refuge en France voient donc leur accès à la santé réduit, en dépit des éventuels traumatismes vécus et urgences à traiter.
Pas d’accès au logement
Comment se confiner quand on vit à la rue ? Comment se protéger de la contagion et protéger les autres quand on est logé dans des hébergements collectifs où les sanitaires sont insuffisants ou lointains ou sans entretien ? Les conditions dans les structures d’hébergement, en dortoir collectif le plus souvent, ne permettent pas de respecter la pratique des « mesures barrières » et compte tenu du manque de personnel dans la gestion de ces lieux, les conditions d’un accompagnement social minimum ne sont plus remplies. Nous voulons rappeler qu’une forte proportion de personnes en situation administrative précaire n’est pas accueillie par les structures d’hébergement existant (centres d’hébergement d’urgence, foyers de travailleurs migrants, centres d’accueil pour mineur·es isolé·es, le dispositif pour demandeur·ses d’asile, hôtels) puisque les places restent insuffisantes, et doit trouver des solutions encore plus précaires dans des squats ou des camps pour échapper à la rue. Les problèmes d’hygiène et d’accès à l’information peuvent y être encore plus aigus.
En période de confinement, ces personnes n’ont pas accès à une alimentation correcte et aux produits d’hygiène. Le manque d’autonomie du fait d’une situation administrative instable voire irrégulière conduit à la précarité financière et oblige à dépendre des services sociaux largement sous-dimensionnés et saturés. La période actuelle entraîne une raréfaction des maraudes et des distributions alimentaires, ce qui ne suffit pas à répondre aux besoins des personnes.
Le confinement donne également lieu à des situations où les personnes peuvent être empêchées de sortir de leurs campements pour accéder aux distributions alimentaires et aux points d’eau encore disponibles. Dans ces circonstances, les personnes étrangères enfermées, isolées, celles qui vivent à la rue, celles regroupées dans des squats, qui ont besoin d’aide sociale pour une partie de leurs besoins fondamentaux subissent la double peine : des conditions de vie indignes et la crainte d’être encore plus vulnérabilisé.es par un recours aux droits sociaux devenu difficile.
En période de confinement, ces personnes n’ont pas accès aux ressources informelles qui leur permettaient de vivre. Les mesures de restriction ne donnent plus l’occasion de compter sur leur propre capacité à se procurer les revenus nécessaires à leur survie et celle de leur famille car elles n’ont pas accès au droit de travailler. Quand elles étaient employées de manière non déclarée, le confinement a mis un terme à leur emploi, les privant de ressources, sans possibilité de déclarer cette perte pour espérer une compensation de l’État.
Gel des demandes de titres de séjour
Enfin, la fermeture des administrations et des associations a conduit à geler les procédures d’examen de demande de titres de séjour et à ralentir l’accès aux droits sociaux. La prolongation de trois mois de tous les titres de séjour en cours de validité ne suffit pas à protéger les personnes concernées contre la perte de leur droit au travail et de leurs droits sociaux. L’impossibilité d’accéder à leur courrier pour les personnes qui dépendent de domiciliations associatives bloque un certain nombre de démarches administratives et sociales (tels que l’accès à l’AME par exemple).
Pour les personnes venues demander l’asile en France, elles devraient attendre la réouverture des préfectures pour introduire leur demande : cela signifie pour elles de n’avoir aucune existence légale, aucun droit ouvert, jusque-là. Il en va de même pour les centres de rétention administrative (CRA) et les zones d’attente où des personnes étrangères sont parquées : dans ces lieux, ni leurs droits ni les réglementations sanitaires ne sont respectés, créant pour elles des conditions discriminatoires et mortifères. Nous réclamons leur fermeture. Les décisions du gouvernement pour lutter contre la propagation du virus ont des conséquences délétères pour ces personnes rendues invisibles et oubliées.
Pour toutes ces raisons, cette épidémie ne fait qu’accentuer des hypocrisies qui perdurent. D’une part, les décisions administratives fabriquent des situations irrégulières et précaires empêchant leur autonomie. D’autre part, l’incohérence et le désengagement régulier des pouvoirs publics conduit à une gestion par l’urgence, forcément plus coûteuse. Pourtant, un changement de perspective est possible : la délivrance de titres de séjours pérennes pour permettre à chacune et chacun de participer et contribuer à la vie sociale, politique et économique.
Pour être égales et égaux face à la lutte contre l’épidémie, pour sortir de la honte d’être collectivement responsables de leur misère, il faut des papiers pour tous et toutes ! Personne n’est illégal ! Ouvrons d’autres possibles pour bâtir une société plus juste ! Pour nous faire entendre encore plus, nous vous invitons à partager les autres initiatives qui circulent et appellent à des droits au séjour pérennes.
Premiers signataires :
Michel Agier anthropologue, EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), Karen Akoka maîtresse de conférences en science politique, université de Nanterre, Etienne Balibar philosophe, Ludivine Bantigny historienne, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Rouen-Normandie, François Gemenne chercheur, Université de Liège, Carolina Kobelinsky chargée de recherche au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative CNRS, Smaïn Laacher sociologue, Université de Strasbourg, Michaël Neuman Fondation MSF, Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (Crash), Isabelle Saint-Saëns militante associative, Françoise Vergès politologue, féministe antiraciste décoloniale, Sophie Wahnich directrice de recherche CNRS, Aides, Anvita (Association nationale des villes et territoires accueillants), CSP (Coordination des sans-papiers 75, 95, 59, 93), Fasti (Fédération des associations de solidarité avec tous les immigré·es), FUIQP (Front uni des immigrations et des quartiers populaires), Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s), Roya Citoyenne, Survie, Tous migrants/Refuges solidaires, accueil d’urgence à la frontière franco-italienne, Briançon, Union syndicale Solidaires…
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