Hier soir, je cra­quais, j’ai regar­dé « Rea­dy Player 1″, de Ste­ven Spiel­berg (2018). Je n’ai pas rete­nu grand chose, si ce n’est la qua­li­té gra­phique. Par contre, une petite pépite pour les fans de thé­ra­pies manuelles ! C’est ici : alors que la voix en anglais parle de « phy­si­cal the­ra­py » (terme anglais pour kiné), le sous-titrage fran­çais indique « ostéo » ! J’ai écla­té de rire.

Ça m’a fait pen­ser à cet article que nous avions four­bi il y a deux ans sur l’embrouille kiné / ostéo (ça avait bien secoué dans les chau­mières).   Mais il est main­te­nant ven­du plus de 30 balles ! ici alors moi je le donne. Ci-des­sous.

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Les kinés-ostéos, cen­taures de la san­té. Kiné­si­thé­ra­pie, la revue 2018- Vol. 18 – N° 198 – p. 55–56

Si la mytho­lo­gie gre­co-romaine abonde d’êtres fan­tas­tiques, notre sys­tème de san­té pos­sède lui aus­si ses cen­taures. Tel Chi­ron et le Mino­taure, un type de pro­fes­sion­nel de san­té pos­sède un sta­tut hybride : le kiné-ostéo­pathe.

Où le clas­ser ? Le mas­so-kiné­si­thé­ra­peute (MK) « exclu­sif » est un pro­fes­sion­nel de san­té dont le diplôme déli­vré par un minis­tère est natio­nal, qui répond à un Code de déon­to­lo­gie, et se sou­met à une struc­ture ordi­nale, le CNOMK, qui rend des avis et des recom­man­da­tions.
L’os­téo, lui, dût attendre 2002 pour une recon­nais­sance de son titre, et 2007 pour les textes le ren­dant effec­tif. Il est pro­fes­sion­nel de la san­té, mais non « pro­fes­sion­nel de san­té », au sens du Code de la san­té publique. Il n’a pas de Code de déon­to­lo­gie, ni d’Ordre, et reçoit des diplômes pri­vés déli­vrés par son école de for­ma­tion. Son modèle éco­no­mique n’est pas non plus le même : si la grande majo­ri­té des kinés héri­tiers du modèle de pro­tec­tion sociale de l’a­près-guerre sont conven­tion­nés avec l’As­su­rance mala­die ou inter­viennent dans des éta­blis­se­ments, les ostéo­pathes, eux, exercent exclu­si­ve­ment en libé­ral, c’est-à-dire qu’ils sont en libre entre­prise, indé­pen­dants de l’É­tat, et leurs actes ne sont pas pris en charge par la Sécu. Cela n’empêche pas cer­taines assu­rances com­plé­men­taires de san­té d’in­té­grer une par­tie des soins ostéo­pa­thiques dans leur panier de rem­bour­se­ment.
Le mode de recours est d’ailleurs très dif­fé­rent : hors thé­ra­peu­tique, on peut consul­ter un kiné sans pres­crip­tion médi­cale, mais dès que thé­ra­peu­tique, le par­cours de san­té est clas­sique et la pres­crip­tion d’un méde­cin est obli­ga­toire. On va par contre chez l’os­téo sans pas­ser par la case méde­cin.
Si l’os­téo n’est pas dans le par­cours de soin conven­tion­nel, peut être que, avant-garde pro­met­teuse, ses pra­tiques se jus­ti­fient par les résul­tats ? Aus­si sur­pre­nant que cela puisse paraître, c’est très incer­tain. Certes, la kiné­si­thé­ra­pie, créée pour res­tau­rer rapi­de­ment du sol­dat durant la Grande Guerre est dis­pa­rate, avec pour soins prin­ci­paux la mobi­li­sa­tion, le mas­sage et la gym­nas­tique médi­cale, for­mant un ensemble hété­ro­clite de tech­niques dont cer­taines ne sont pas démon­trées comme effi­caces. Elle tente néan­moins de se construire selon un modèle bio-psy­cho-social, s’en­seigne dans des écoles conven­tion­nées avec des uni­ver­si­tés, et tente d’é­tayer ses pra­tiques par des preuves – on attend d’ailleurs impa­tiem­ment la créa­tion d’une sec­tion spé­ci­fique au Conseil natio­nal des uni­ver­si­tés. L’os­téo­pa­thie, elle, com­prend essen­tiel­le­ment trois cou­rants (crâ­nien, vis­cé­ral et struc­tu­rel), mais tous ont en com­mun l’in­di­gence de leurs concepts théo­riques, des tech­niques sou­vent sans effi­ca­ci­té spé­ci­fique démon­trée, et comme ori­gine une révé­la­tion divine pour du fon­da­teur de l’os­téo­pa­thie, le spi­rite Andrew T. Still, un matin de juin en 1874. Elle s’en­seigne dans des écoles toutes pri­vées, et oné­reuses.

Pour­quoi confond-on alors les deux ? Pro­ba­ble­ment parce que kinés et ostéos uti­lisent tous les deux la main comme prin­ci­pal outil thé­ra­peu­tique. Peuit être aus­si parce que nombre des pro­blèmes de san­té que prennent en charge les uns, tels que le mal de dos, sont éga­le­ment pris en charge par les autres. Enfin, au-delà de l’u­ti­li­sa­tion de la main, c’est une bonne par­tie du réper­toire tech­nique des mobi­li­sa­tions que kinés et ostéos ont en com­mun.
Par des­sus le mar­ché, la majo­ri­té des gens ne dis­tingue pas un pro­fes­sio­nel de san­té d’un autre pra­ti­cien de la san­té. Selon les textes, l’os­téo­pathe « [remé­die] à des troubles fonc­tion­nels du corps humain » tan­dis que le mas­so-kiné­si­thé­ra­peute se pré­oc­cupe du diag­nos­tic et du trai­te­ment « des alté­ra­tions des capa­ci­tés fonc­tion­nelles ». Bien­heu­reux qui ver­ra la dif­fé­rence.

Que faire avec les cen­taures kinés ostéo­pathes, alors ? Plus qu’une ambi­gui­té, c’est un non-sens.
Si la per­sonne exerce la kiné, elle est tenue d’être ins­crite à l’Ordre. Aus­si contrai­gnante que puisse paraître l’adhé­sion à un tel orga­nisme, elle enjoint à res­pec­ter les avis ren­dus, ain­si que le Code de Déon­to­lo­gie qui, selon l’ar­ticle R. 4321–65, impose de fon­der ses pra­tiques sur les don­nées actuelles des connais­sances scien­ti­fiques. Les champs spé­ci­fiques de l’os­téo­pa­thie crâ­nienne et vis­cé­rale, dépour­vus de fon­de­ments scien­ti­fiques, ne devraient donc en prin­cipe pas être uti­li­sés par un kiné pro­fes­sion­nel, fusse-t’il ostéo­pathe. Que reste-t’il à l’os­téo­pathe qui som­meille en lui, sinon l’os­téo­pa­thie struc­tu­relle ? Et a for­tio­ri, que pour­rait faire un ostéo­pathe struc­tu­rel que ne pour­rait pas faire un kiné­si­thé­ra­peute ? Après exa­men, rien. Nous avons pour­tant fouillé tous les recoins tech­niques de ces dis­ci­plines : les actes auto­ri­sés aux kinés recouvrent inté­gra­le­ment ceux de l’os­téo­pa­thie struc­tu­relle, et vont bien au-delà.

Le cen­taure se retrouve alors soit à faire de l’os­téo, dans la déné­ga­tion com­plète de sa déon­to­lo­gie ; soit de la kiné, et dans ce cas son sta­tut d’os­téo ne lui sert qu’à des fins publi­ci­taires… donc com­mer­ciales (ce qui est inter­dit par la déon­to­lo­gie de la pro­fes­sion). Et, para­doxe, vous ne pour­rez aller voir ce pro­fes­sion­nel que sur pres­crip­tion quand il a sa cas­quette de kiné, et tout à fait libre­ment le len­de­main pour les mêmes actes (sou­vent ven­dus plus chers) s’il a revê­tu son habit d’os­téo.

Les cen­taures kinés-ostéos sou­lèvent un autre pro­blème, bien plus fon­da­men­tal. Dans un contexte de rabo­tage régu­lier de l’hé­ri­tage de la Sécu des ori­gines, nous assis­tons désem­pa­rés à une aug­men­ta­tion de l’offre thé­ra­peu­tique hors du par­cours de soins clas­sique pris en charge par l’As­su­rance mala­die. C’est une forme dis­crète de pri­va­ti­sa­tion de notre sys­tème de san­té, jouant sur la mise en concur­rence de pro­fes­sion­nels de san­té scien­ti­fi­que­ment for­més dans des éta­blis­se­ments essen­tiel­le­ment à but non lucra­tif, et des pro­fes­sio­nels libé­raux de droit pri­vé fai­sant fi des don­nées actuelles de la science et s’as­seyant cor­dia­le­ment sur le modèle col­lec­tif de la pro­tec­tion sociale. Si la san­té est un dédale, et le bien public le fil d’A­riane, alors le des­tin des éven­tuels Mino­taures devrait, comme dans la mytho­lo­gie, être irré­mé­dia­ble­ment scel­lé.

Nico­las Pin­sault, Richard Mon­voi­sin, Nel­ly Dar­bois, Albin Guillaud
Liens d’intérêts : NP ND AG sont mas­seurs-kiné­si­thé­ra­peutes, et NP est élu de l’Ordre des mas­seur-kiné­si­thé­ra­peutes.

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