Si j’avais un peu tiqué en lisant un article du Monde (18 juillet 2022) intitulé « Brins de sapins dans les Vosges », ce n’était pas à propos du guide de sylvothérapie Eric Brisbare, fort attendrissant à fouler pieds nus la sphaigne de la tourbière (moi aussi j’aime bien faire ça).
Mais à propos d’Anne-Lise Carlo, l’envoyée spéciale du Monde qui, contrairement à la sphaigne, ne s’était pas trop trop foulée, nous offrant beaucoup d’affirmations sans preuves et un lexique digne des prospectus du bout de caisse d’un magasin bio. Un exemple qui mettra les thermodynamicien·nes en PLS : « Le fait d’être pieds nus, en contact avec les racines de l’arbre, intensifie cet échange d’énergie*. (…) Le sapin contre lequel nous nous reposons a des vertus* tonifiantes* et énergisantes*, même en hiver ». J’ai mis une astérisque devant chaque concept spumeux. Dans son Master 2, Lætitia Guillaume avait travaillé (ici) sur les vertus alléguées de la « respiration sylvique » ou « syntonisation », pour « accorder ses fréquences » avec un arbre haut et en pleine santé, faire disparaître « des douleurs, du stress, des chagrins, des colères ». Après une balade en forêt en « éveillant les sens en pleine conscience », on termine par un câlin aux arbres, geste devant permettre d’en « absorber l’énergie positive ». Lætitia pointait déjà le caractère faussement ancestral de la méthode, ce que n’a pas vu la journaliste, qui nous assène magnifique « argument du vieux pot » comme je n’en avais pas vu depuis longtemps.
« Shinrin-yoku » (bain de forêt) […] fait référence à une tradition nipponne séculaire, reconnue officiellement comme une thérapie par le Japon depuis 1982 ».
Généralement, quand j’entends « officiellement reconnu », mes antennes se dressent : de quel office parle-t-on ? J’ai fait traduire quelques pages techniques en japonais, et je ne trouve ni tradition, ni reconnaissance par quelque « office » que ce soit. De ce que j’ai compris, c’est dans la volonté politique de faire replanter des forêts qu’a été créé de toute pièce le concept en 1982 par l’Agence forestière japonaise. Donc (sauf erreur), cette thérapie, peu importe ses vertus alléguées, n’est ni traditionnelle, ni séculaire, ni officiellement reconnue. D’ailleurs le serait-elle, que ça ne serait pas un argument de validité. Mais faisons encore quelques pas ensemble, dans la forêt.
Même quand je m’empiffre avec un sandwich, j’évite de manger la cellophane. Quand vous dégustez des frites, vous ne mâchez pas le papier alu. Or dans certaines thérapeutiques, l’emballage est si bien fait qu’il est plus appétissant que le repas. C’est finalement la définition des produits dérivés, type Disney®, ou le moindre objet en plastique miteux floqué avec Olaf, la moindre bouse inutile au logo de Star Wars suscite les convoitises de nos consommateurs en culotte courte. Pourquoi devoir avaler l’emballage yoga pseudo-hindouiste avec Omomomom et sari à l’épaule, quand ce qui « marche », c’est la gymnastique ? Pourquoi avaler les théories zarbis de de sophrologie d’A. Caycédo, alors que c’est la relaxation qui est utile ? Pourquoi se fader l’étiologie sexuelles des névroses de Freud, alors que le seul truc qui a une utilité dans le freudisme, c’est la parole libérée ? Certain·es journalistes parle de carpaccio : dire « tomates tranchées finement » fait moins classe que carpaccio de tomates, et pourtant c’est pareil (1). Dans le cas de la sylvothérapie, c’est sensiblement pareil.
Et là vous allez sûrement me dire : mais c’est quand même sympa de marcher en forêt. Oui.
Et ça a même des vertus ! Voila comment Grégory Meyer (enseignant-chercheur en physiologie cardiovasculaire de l’Université d’Avignon) me résume un article de Jin et al. publié récemment.
Depuis quelques années, plusieurs études ont montré un impact positif d’un cadre vie proche de la nature en comparaison à un milieu urbain (Mitchell et Popham 2008). Une hypothèse soulevée serait l’impact de la composés organiques volatiles émis par la végétation (Yeager et al. 2020). Une étude récente s’est intéressée aux effets d’un ses composés, l’α‑pinène et de ses métabolites (produits de sa dégradation par l’organisme) sur la fonction vasculaire(Jin et al. 2023). Certaines de ses métabolites étaient retrouvés dans l’urine de souris exposées à ces α‑pinènes laissant penser que la molécule ou certains de ses métabolites sont susceptibles de se retrouver dans notre sang. Plus surprenant encore, la molécule mère comme les métabolites semblent pouvoir moduler notre fonction vasculaire de façon positive. Une limite tout de même reste la dose circulante qui est estimée en fonction d’un modèle d’exposition continu sur des souris, et les doses utilisés au cours des expérimentations restent dans la tranche haute des concentrations observées suite à cette exposition. Une petite pierre à l’édifice qui pourrait permettre de penser que l’exposition à la végétation a des bienfaits qui ne sont pas que liés à des facteurs sociaux et/ou environnementaux. L’idée c est que les populations/classes sociales qui sont le plus souvent en forêt ou dans la nature sont les classes les plus aisées et généralement avec des niveaux d’éducation les plus élevées. En ce qui concerne les pathologies cardiovasculaire (a minima), ce sont donc des populations avec une alimentation plus saine, une pratique de l’activité physique plus importante, moins de temps de sédentarité. etc… Tous ces facteurs pourraient à eux seuls expliquer que les sujets qui vont plus fréquemment se promener dans la nature ont généralement une meilleure santé cardiovasculaire. L’idée développée ici est que ces composés volatiles « pourraient avoir » (je mets quand même de grosses pincettes, nous sommes sur une étude chez des souris exposés directement au composé) un réel effet propre.
Attention cependant avant d’aller faire un câlin à un arbre, il semblerait que les concentrations d’α‑pinène soient les plus importantes quand il fait le plus chaud et donc en milieu de journée et pendant les saisons les plus chaudes (Zannoni et al. 2020 ; Tripathi et Sahu 2020). De plus, aucune preuve ne semble défendre l’idée que d’aller faire un câlin à l’arbre soit nécessaire pour profiter de cet effet. En outre, des recherches récentes révèlent que le simple contact avec les plantes peut déclencher en elles des réactions similaires à un stress. En effet plusieurs études récentes s’intéressent à la réponse des plantes lorsqu’on les touche, lorsqu’on les coupe, créant des formes de communication interne passant dans leur propre organisme, ou communicant des informations type « douleur/danger » avec les plantes voisines, des choses à l’image de ça :
Il n’est pas impossible que toucher les plantes pourrait engendrer des réponses de stress ou de futures adaptations. Finalement nos organismes, plantes, animaux, champignons au moins, passent leur temps à être « stressés » et à s’adapter en répondant au mieux au prochain stress (jusqu’à ce que le stress soit trop important et qu’on ne s’adapte plus…). J’utilise le mot stress de manière très large.de ces végétaux (Wu et al. 2020 ; Xu et al. 2019). En clair, il faudrait toujours penser à demander leur consentement avant de les toucher !
- Mitchell, Richard, et Frank Popham. 2008. « Effect of Exposure to Natural Environment on Health Inequalities : An Observational Population Study ». Lancet (London, England) 372 (9650): 1655‑60. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(08)61689‑X.
- Yeager, Ray, Daniel W. Riggs, Natasha DeJarnett, Shweta Srivastava, Pawel Lorkiewicz, Zhengzhi Xie, Tatiana Krivokhizhina, et al. 2020. « Association between Residential Greenness and Exposure to Volatile Organic Compounds ». The Science of the Total Environment 707 (mars): 135435. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2019.135435.
- Jin, L., Z. Xie, P. Lorkiewicz, S. Srivastava, A. Bhatnagar, et D. J. Conklin. 2023. « Endothelial-Dependent Relaxation of α‑Pinene and Two Metabolites, Myrtenol and Verbenol, in Isolated Murine Blood Vessels ». American Journal of Physiology. Heart and Circulatory Physiology 325 (6): H1446‑60. https://doi.org/10.1152/ajpheart.00380.2023. On vous la met ici.
- Zannoni, Nora, Denis Leppla, Pedro Ivo Lembo Silveira de Assis, Thorsten Hoffmann, Marta Sá, Alessandro Araújo, et Jonathan Williams. 2020. « Surprising Chiral Composition Changes over the Amazon Rainforest with Height, Time and Season ». Communications Earth & Environment 1 (1): 1‑11. https://doi.org/10.1038/s43247-020‑0007‑9.
- Tripathi, Nidhi, et Lokesh Kumar Sahu. 2020. « Emissions and atmospheric concentrations of α‑pinene at an urban site of India : Role of changes in meteorology ». Chemosphere 256 (octobre): 127071. https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2020.127071.
- Wu, Qingqing, Yue Li, Mohan Lyu, Yiwen Luo, Hui Shi, et Shangwei Zhong. 2020. « Touch-induced seedling morphological changes are determined by ethylene-regulated pectin degradation ». Science Advances 6 (48): eabc9294. https://doi.org/10.1126/sciadv.abc9294.
- Xu, Yue, Oliver Berkowitz, Reena Narsai, Inge De Clercq, Michelle Hooi, Vincent Bulone, Frank Van Breusegem, James Whelan, et Yan Wang. 2019. « Mitochondrial Function Modulates Touch Signalling in Arabidopsis Thaliana ». The Plant Journal 97 (4): 623‑45. https://doi.org/10.1111/tpj.14183.
Il faut aller marcher en forêt pour se ressourcer (si possible en-dehors des incendies, sinon il faudra appeler le barreur de feu). Mais si se ressourcer, c’est bien, vérifier ses sources c’est pas mal non plus. Et inutile de manger l’emballage en carton. Comme l’écrit GIPI dans sa BD « Vois comme ton ombre s’allonge » (p. 103) : « vous avez oublié combien peut être cruelle la peau des arbres ».
(1) « A l’origine, au Harry’s bar de Venise, le carpaccio remplaçait à l’italienne le steak tartare que réclamaient les clients : il s’agit d’un filet de bœuf cru tranché en lamelles très fines qui, de rouge, devient brun sous l’effet oxydant du citron. Il prend alors cette teinte distinctive du peintre Victor Carpaccio (1450–1525) d’où son nom. Par suite, les restaurateurs qui voulaient faire « joli » détournèrent le terme pour l’appliquer au saumon cru, puis à tout ce qui se coupe se tranche. Champignons, courgettes, tomates, foie gras, etc. » ( L)
Addendum : au moment de clore ces lignes, dans le Canard enchaîné du jour (24/01/2024) :
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