Par­tout dans le monde, ici aux Pays-Bas, des popu­la­tions inquiètes mani­festent contre l’a­vè­ne­ment de la 5G. | Rem­ko de Waal / ANP / AFP

J’ai répon­du à Laure Dasi­nieres* pour un article de Slate** sur la peur de la 5G. C’est là, et ça sera repro­duit des­sous plus tard.

* Laure D, je lui dit mer­ci : j’ai eu peut être 500 inter­ac­tions jour­na­lis­tiques, celle-ci fut l’une des plus repo­santes, pré­cises, effi­caces.

** Slate, c’est Jean-Marie Colom­ba­ni (les des trois décor­ti­qués dans le livre La face cachée du Monde, de Pierre Péan et Phi­lippe Cohen, 2003), ce sont aus­si les inves­tis­se­ments des hol­dings luxem­bour­geoises de Ben­ja­min de Roth­schild. Ras­su­rez-vous, je ne touche pas un sou de Slate.


Tentons de comprendre les gens qui ont peur de la 5G

La technologie engendre de nombreuses théories pseudo-médicales et complotistes.

Aujourd’­hui, en pleine crise sani­taire, la 5G, cin­quième géné­ra­tion des stan­dards pour la télé­pho­nie mobile cris­tal­lise les craintes : ici, elle tue­rait des pigeons, là, elle indui­rait des tumeurs céré­brales ou des lésions de l’ADN mais, sur­tout, elle serait res­pon­sable de la pan­dé­mie de Covid-19. À ce titre, on a vu fleu­rir des cartes de cor­ré­la­tion entre pro­pa­ga­tion du virus et déploie­ment de la 5G.

Rien ne semble à ce jour jus­ti­fier de telles rumeurs à maintes reprises démon­tées par les confrères et consœurs spé­cia­listes en véri­fi­ca­tion de l’in­for­ma­tion.

En lieu et place de l’ha­bi­tuel debunk, essayons la com­pré­hen­sion, voire l’empathie afin de com­prendre com­ment peuvent se déve­lop­per des croyances autour d’une tech­no­lo­gie qui n’est pas si nou­velle que ça.

Rap­pe­lons à ce pro­pos que l’Au­to­ri­té de régu­la­tion des com­mu­ni­ca­tions élec­tro­niques et des postes (Arcep) a auto­ri­sé, à titre expé­ri­men­tal, le déploie­ment en France de la tech­no­lo­gie 5G, qui exploite des fré­quences com­prises entre 3,4 GHz et autour de 26 GHz. Ces ondes, déjà mises à pro­fit dans les liai­sons satel­li­taires par exemple, ne dif­fèrent pas fon­da­men­ta­le­ment des ondes de télé­com­mu­ni­ca­tion déjà exis­tantes.

Une communication inadéquate

« Comme toutes les pré­cé­dentes géné­ra­tions de télé­pho­nie mobile, on a pré­sen­té la 5G comme quelque chose de très dis­rup­tif. Les com­mu­ni­ca­tions com­mer­ciales en font trop et sont tout autant dans la pen­sée magique que la pen­sée com­plo­tiste, déplore Gilles Bré­gant, direc­teur de l’AN­FR (Agence natio­nale des fré­quences). Pour­tant, pour nous, la 5G n’est pas une révo­lu­tion, c’est une évo­lu­tion, elle res­semble beau­coup à la 4G. »

Pour ce spé­cia­liste de la radio­fré­quence, la com­mu­ni­ca­tion entre­prise par les indus­triels de la télé­pho­nie est un fac­teur de craintes, voire un sillon dans lequel peuvent s’en­gouf­frer les théo­ries les plus baroques. Ce phé­no­mène est ren­for­cé par le fait que non seule­ment la « plu­part des gens n’ont pas la gram­maire néces­saire pour com­prendre les der­nières inno­va­tions tech­no­lo­giques en matière de télé­pho­nie mobile », mais éga­le­ment parce qu’au­jourd’­hui, mis à part un débit plus rapide, il est dif­fi­cile pour le grand public de com­prendre ce que la 5G peut appor­ter.

Enfin, Gilles Bré­gant recon­naît que si la 5G –du moins en France– exploi­te­ra des fré­quences connues, les études manquent encore sur les ondes mil­li­mé­triques uti­li­sées aux États-Unis, d’où pro­viennent un cer­tain nombre de théo­ries du com­plot.

Sources philosophico-ésotériques

À l’o­ri­gine de la théo­rie créant un lien de cau­sa­li­té entre 5G et Covid-19, un homme, le Dr. Tho­mas Cowan, ex-vice-pré­sident de la Phy­si­cians Asso­cia­tion for Anthro­po­so­phic Medi­cine. Rap­pe­lons que l’anthro­po­so­phie est un mou­ve­ment éso­té­rique d’ins­pi­ra­tion chré­tienne, ini­tié au début du XXe siècle par l’oc­cul­tiste autri­chien Rudolf Stei­ner.

Dans une vidéo mise en ligne sur You­Tube et Face­book en mars (et dont la ver­sion ori­gi­nale a depuis été reti­rée), il pré­tend que non seule­ment les virus n’existent pas, mais aus­si que chaque pan­dé­mie des 150 der­nières années est appa­rue avec un nou­veau pro­grès dans l’élec­tri­fi­ca­tion de la pla­nète.

Dans l’an­thro­po­so­phie, il y a trois forces du mal : Luci­fer, lié à l’élec­tri­ci­té, Ahri­man, lié au magné­tisme et Soradt, lié à la radio­ac­ti­vi­té.
Gré­goire Per­ra, ex-anthro­po­sophe et ex-pro­fes­seur en école Stei­ner-Wal­dorf

La grippe dite espa­gnole aurait émer­gé avec l’ex­pan­sion des ondes radio ; celle de la fin de la Seconde Guerre mon­diale avec l’in­tro­duc­tion des radars ; le Covid-19 avec la 5G. Cowan asso­cie à ce titre le fait que des tests 5G aient été effec­tués à Wuhan, pre­mier foyer de la pan­dé­mie – oubliant au pas­sage que la 5G avait été aupa­ra­vant éten­due à la Corée du Sud et tes­tée dans soixante-dix-neuf autres villes de Chine.

Pour Gré­goire Per­ra, ex-anthro­po­sophe et ex-pro­fes­seur en école Stei­ner-Wal­dorf, tout cela est extrê­me­ment cohé­rent avec la phi­lo­so­phie anthro­po­sophe. « D’une manière géné­rale, l’an­thro­po­so­phie est contre la tech­no­lo­gie. Stei­ner vou­lait que la tech­no­lo­gie dis­pa­raisse pour être soit rem­pla­cée par une tech­no­lo­gie “éthé­rique”, avec des moteurs qui marchent à la mora­li­té, soit tota­le­ment abo­lie », explique-t-il.

« Dans l’an­thro­po­so­phie, il y a trois forces du mal : Luci­fer, lié à l’élec­tri­ci­té, Ahri­man, lié au magné­tisme et Soradt, lié à la radio­ac­ti­vi­té, expose Gré­goire Per­ra. En somme, tout ce qui est rayon­ne­ment est désap­prou­vé par les anthro­po­sophes. Pour eux, chaque fois que l’on dort, le moi et le corps astral s’é­chappent du corps phy­sique et du corps éthé­rique et vont se dis­soudre, s’é­va­po­rer dans le cos­mos. Ils s’é­lar­gissent au-des­sus de la terre pour aller rejoindre les dif­fé­rentes sphères astrales comme on le fera com­plè­te­ment lors de notre mort. […] Mais si l’on ren­contre des satel­lites durant cette phase d’é­lar­gis­se­ment, cela fait des trous dans notre corps astral. Pour cer­tains anthro­po­sophes, les satel­lites empêchent de dor­mir : si l’on a un mau­vais som­meil, c’est à cause des satel­lites. »

Il suf­fit ensuite d’une crise sani­taire sans pré­cé­dent, par­ti­cu­liè­re­ment anxio­gène et qui nous force à accep­ter l’im­pré­vi­sible, le tout asso­cié à une com­mu­ni­ca­tion gou­ver­ne­men­tale incer­taine sinon régu­liè­re­ment empê­trée dans les contra­dic­tions, pour que ce type de théo­ries s’é­tende à une plus large popu­la­tion que celle de son public ini­tial.

L’in­gré­dient prin­ci­pal de ces “théo­ries”, ce n’est pas l’ob­jet. C’est la colère poli­tique, ados­sée à un manque de connais­sances fré­quent.

Richard Mon­voi­sin, didac­ti­cien des sciences à l’U­ni­ver­si­té Gre­noble-Alpes

« En situa­tion de crise, per­son­nelle ou col­lec­tive, on cherche un sens, une expli­ca­tion, simple et uni­la­té­rale si pos­sible », avance Richard Mon­voi­sin, didac­ti­cien des sciences à l’U­ni­ver­si­té Gre­noble-Alpes, spé­cia­liste de l’é­tude des théo­ries contro­ver­sées.

Les stigmates de la colère

Pour Richard Mon­voi­sin, le fleu­ris­se­ment de théo­ries, ou plus pré­ci­sé­ment de thèses com­plo­tistes, est une com­bi­nai­son de colère et de mécon­nais­sance. « L’in­gré­dient prin­ci­pal de ces “théo­ries” (qui n’en sont pas, il faut le dire, puis­qu’elles sont auto-immunes à la cri­tique), ce n’est pas l’ob­jet. C’est la colère poli­tique, ados­sée à un manque de connais­sances fré­quent. Colère poli­tique car défiance envers les ins­ti­tu­tions, les jour­na­listes, le pou­voir –et à rai­son à mon avis. Méfiance envers les offices gou­ver­ne­men­taux de san­té du fait des trop nom­breux conflits d’in­té­rêts, etc. »

« Plus la connais­sance du sujet est nébu­leuse, pour­suit-il, plus on rai­sonne comme suit : on trouve un cou­pable idéal (ici la 5G) puis on col­lecte des mor­ceaux de faits qui vont faire vague­ment tenir debout le com­plot. »

S’il y a de la peur dans tout cela, une peur somme toute légi­time face à ces ondes que l’on ne voit pas, que l’on ne com­prend pas et que l’on a pour­tant dans notre poche par le biais de notre smart­phone, ces thèses révèlent la colère de la popu­la­tion face à la confis­ca­tion de son droit à la parole.

« Tant que des déci­sions impor­tantes, depuis la fer­me­ture des postes jus­qu’aux comp­teurs Lin­ky en pas­sant par la 5G, sont confis­quées au “peuple”, il est pré­vi­sible, nor­mal, et même juste que les gens s’y opposent (même s’ils s’y opposent avec des argu­ments “foi­reux”)», note le cher­cheur.

À cela s’a­joutent de grosses lacunes en épis­té­mo­lo­gie. Dès lors, afin de pré­mu­nir nos socié­tés de telles infor­ma­tions erro­nées, Richard Mon­voi­sin pré­co­nise « la créa­tion de cours d’es­prit cri­tique dès le CM2 ain­si que la créa­tion d’ins­ti­tu­tions de réfé­rence, avec des membres élus, pour dif­fu­ser une infor­ma­tion fiable. Autant dire que ce n’est pas demain la veille. »

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