Pauvre homme atteint de pel­lagre

Dans la revue Espèces n°43 (en kiosques) j’ai décou­vert l’o­ri­gine de la pel­lagre – de pelle agra, peau aigre. L’ap­pa­ri­tion de cette mala­die, qui entraîne des lésions de la peau et une atteinte grave du sys­tème ner­veux, est conco­mi­tante de l’ar­ri­vée du maïs en Europe, et est deve­nue endé­mique du Nord de l’I­ta­lie.

Or bizar­re­ment, les « Amé­rin­diens » consom­ma­teurs de maïs ne déve­lop­paient pas, eux, la mala­die. Le secret se logeait dans la tor­tilla : en fai­sant bouillir le maïs dans une eau addi­tion­née de chaux, la nix­ta­ma­li­sa­tion (de « next­li », cendres, et « tamal­li », farine de maïs mou­lu), ils détrui­saient par alca­ni­sa­tion l’an­ti­nia­cine, sub­stance ren­dant inuti­li­sable la nian­cine, ou vita­mine B3 (ancien­ne­ment appe­lée vita­mine PP, ou Pela­gra Pre­ven­tive).

Cécile Bre­ton, la rédac’­chef d’Es­pèces, en cause dans La méthode scien­ti­fique du 4 mars, ici.

Voi­ci le pas­sage dans l’é­mis­sion :

et son pas­sage spé­ci­fique sur la pel­lagre.

J’ai fouillé un peu l’his­toire.

Jojo, t'as pas bientôt fini de tester des trucs sur moi ?

Jojo, t’as pas bien­tôt fini de tes­ter des trucs sur moi ? (Mary Far­rar Gold­ber­ger)

Joseph Goldberger

Joseph Gold­ber­ger

C’est Casi­mir Funk, l’inventeur du mot vita­mine, qui part sur la bonne piste, mais l’es­sen­tiel est le fait de l’opiniâtreté d’un tou­bib, Joseph Gold­ber­ger qui avait l’in­tui­tion d’une carence. Carence, mais en quoi ? Mis­sion­né par le U.S. Public Health Ser­vice, Gold­ber­ger avait remar­qué que le per­son­nel de ser­vice des hôpi­taux et des orphe­li­nats affec­tés par la pel­lagre ne contrac­tait pas la mala­die. Alors il com­men­ça à tes­ter, en chan­geant les habi­tudes ali­men­taires dans deux orphe­li­nats puis dans un asile d’a­lié­nés. Puis, accro­chez-vous : il ten­ta l’in­verse : induire la pel­lagre. Les com­mis­sions éthiques n’é­tant pas ce qu’elles sont deve­nues, il pro­cé­da sur une dou­zaine de pri­son­niers volon­taires, et prou­va qu’en les astrei­gnant à un régime caren­cé pen­dant plu­sieurs mois, ils cho­paient bien la pel­lagre. En 1916, pour clouer le bec de ceux qui per­sis­taient dans l’i­dée d’une infec­tion, il orga­ni­sa une expé­rience avec plu­sieurs volon­taires… dont sa femme Mary ! Tou·tes devaient ingé­rer quo­ti­dien­ne­ment des cap­sules conte­nant des excré­ments et des croûtes de per­sonnes malades de la pel­lagre. Il alla même jus­qu’à injec­ter, plu­sieurs fois, du sang « pel­la­grique » à 16 per­sonnes, dont lui-même, son assis­tant, et encore sa femme, qui était quand même patiente. S’ils en furent quitte pour une bonne chiasse, ils ne contrac­tèrent pas la mala­die. Et Gold­ber­ger avait rai­son. Mais le pauvre ne fut guère sui­vi et, empor­té par un can­cer en 1929, ne sau­ra jamais que c’est le manque de nia­cine qui était en cause – ce que mon­tre­ra un cer­tain Elveh­jem en 1937. Et c’est Car­pen­ter qui démon­tra en 1951 que la bio­dis­po­ni­bi­li­té de la nia­cine conte­nue dans le maïs pou­vait être obte­nue par une cuis­son dans un milieu très alca­lin, type pH 11). Je trouve cette his­toire tou­chante.

Album « Tor­tillas pour les Dal­ton »

 

2 réponses

  1. Crise en Thème dit :

    Petit hors sujet mais quand même en lien avec cet épi­sode de « La méthode scien­ti­fique » du 4 mars dans lequel est « dénon­cé » le manque, pour ne pas dire l’ab­sence, de cou­ver­ture média­tique sur le conte­nu du second volet du der­nier rap­port du GIEC.

    L’é­pi­sode de « La méthode scien­ti­fique » du 28 février est jus­te­ment consa­cré aux grandes lignes de ce second volet.

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