Voi­ci les grandes lignes de ce que j’ai appris grâce au super livre de Jeanne Guien « Une his­toire des pro­duits mens­truels », aux édi­tions diver­gences https://www.editionsdivergences.com/livre/une-histoire-des-produits-menstruels (2023).

Proc­ter & Gamble (Always, Gil­lette, Head&Shoulders, Tam­pax, etc.) cham­pions de la pol­lu­tion de cours d’eau due à leurs usines (entre autres du fait de la recherche d’une blan­cheur tou­jours plus blanche de leurs tam­pons), se débrouillent ben aus­si dans l’intimidation des acti­vistes qui les dénoncent (p 85). Et pour par­faire le tout, lorsque leurs pro­duits sont reti­rés parce que dan­ge­reux (comme pour les ser­viettes Always au poly­éthy­lène), on les retrouve… ven­dues au Kenya !

De même, ils ont été très forts pour cacher les effets délé­tères de leurs pro­duits, comme en 1980 le cas du tam­pon « Rely » au car­boxy­mé­thyl­cel­lu­lose et mousse de poly­uré­thane qui a déclen­ché un fléau de « syn­dromes du choc toxique » lié au sta­phy­lo­coque doré, fai­sant un cer­tain nombre de mortes.

Les pro­duits mens­truels sont pour la plu­part du temps taxés assez fort, non clas­sés pro­duits de 1ère néces­si­té. En France, les sodas et le cho­co­lat béné­fi­cient d’une TVA de 5,5 %, et les pro­duits mens­truels 19,6 % jusqu’en 2016 (5,5 % main­te­nant je crois). En France on a 20 ans de retard sur le Kenya, et quelques années de retard sur le Rwan­da, qui ont détaxé ces pro­duits, de même que l’Irlande). Au Cana­da, jusqu’en 2015, les gâteaux de mariage et les cerises pour cock­tail étaient détaxés, pas les pro­duits mens­truels. (pp75-76)

Les bro­chures de Kim­ber­ly-Clark concer­nant les ser­viettes Kotex ont été un cham­pion­nat de pro­pos moi­sis :

- du genre « Kotex pro­tège les nerfs » (p 56).

- inter­dic­tion de se bai­gner pen­dant ses règles, car dan­ger de choc ou d’infection ; puis, ok dan­ger de choc mais uni­que­ment si l’eau est froide ; puis un pro­blème pure­ment moral, comme un manque de « consi­dé­ra­tion pour les autres ». Jouer au ten­nis était accep­table pen­dant les règles, mais uni­que­ment des doubles mixtes, parce que dans ce cas « le gar­çon s’attend de toute façon à four­nir le plus d’efforts » (bro­chure de 1944)

Si cette image vous fait peur, c’est que quelque chose ne va pas.

Le pre­mier tam­pon ou appa­reil cata­mé­nial qui eut un grand suc­cès fut bre­ve­té en 1931 par un ostéo­pathe (!), Earle Haas, et conçu en une seule taille car selon sa propre expé­rience les vagins étaient sem­blables : il en « avait une idée » car il en « avait vu une putain de quan­ti­té » (com­ment, on ne sait pas) (pp 107–8). Ils furent tes­tés par… sa femme, bon­jour les essais cli­niques ! Il ven­dit son bre­vet 32000 dol­lars à Ger­trude S. Ten­drich, qui fon­da Tam­pax sales Corp.

Il y a avait un cer­tain nombre de cri­tiques, sur le fait de devoir tou­cher son vagin, avec un objet vague­ment phal­lique, et qui pou­vait (!) déflo­rer l’hymen de la « jeune vierge ». Deux tou­bibs dirent un article en 1943 dénon­çant le fait que « le tam­pon engendre une conscience et une mani­pu­la­tion indue du pel­vis, ris­quant d’éveiller l’érotisme et d’entraîner la mas­tur­ba­tion » (on applau­dit bien fort J. Mil­ton Sin­gle­ton & Her­bert F. Vanor­den, “Vagi­nal Tam­pons in Mens­trual Hygiene,” Wes­tern Jour­nal of Sur­ge­ry, Obs­te­trics, and Gyne­co­lo­gy, n°51, p 149).

Je ne connais­sais pas le mar­ché des applis mens­truelles, qui si je com­prends bien entraînent plus de pro­blèmes qu’elles n’en résolvent, créent des formes de pré­dic­tions auto-réa­li­sa­trices en envoyant des conseils au jour le jour dignes des horo­scopes, tout en siphon­nant les don­nées (en 2019, 22 des 36 applis par­ta­geaient leurs don­nées avec Face­book, que l’appli Face­book soit ouverte ou pas). Pour mémoire au Nebras­ka l’an der­nier des conver­sa­tions entre une mère et sa fille enceinte sou­hai­tant avor­ter après 20 semaines, donc illé­ga­le­ment, ont été don­nées par Facebook/Meta à la police.

Swati Bedekar

Swa­ti Bede­kar

Aru­na­cha­lam Muru­ga­nan­tham a inven­té des machines per­met­tant de pro­duire et com­pac­ter de la cel­lu­lose, de l’enrober de tex­tile et de la dés­in­fec­ter à bas coût, et a choi­si de les dif­fu­ser selon un modèle éco­no­mique visant l’autogestion par les usa­gères. Il vend ces machines à des groupes for­més à les uti­li­ser (en moins d’une heure) et ce sont elles qui choi­sissent de les dis­tri­buer par la vente ou le troc, sou le nom qu’elles sou­haitent pour de l’argent ou pas et sans pub télé­vi­sées. Le hic c’est que son his­toire a été nar­rée comme « un avant-gar­diste cou­ra­geux et pas­sion­né de science, tan­dis que les femmes qui l’entourent appa­raissent crain­tives, enfer­mées dans la honte et la super­sti­tion oubliant que c’est une femme, Swa­ti Bede­kar, qui a modi­fié le modèle et l’a ren­du ergo­no­mique – joli cas d’ef­fet Matil­da (pp 67–68).

Bien qu’ayant étu­dié la méthode contra­cep­tive (mau­vaise) dite Knaus-Ogi­no pour un bou­quin, je ne savais pas que suite à son auto­ri­sa­tion par le pape Pie XII, on lui avait don­né le sur­nom très poé­tique de « rou­lette du Vati­can » 🙂 J’aime bien.

J’ai décou­vert ce texte de 1979 de Glo­ria Stei­nem « if Men Could Mens­truate » (je vous le mets ici https://xyonline.net/sites/xyonline.net/files/2020–05/Steinem%2C%20If%20men%20could%20menstruate.pdf). De même j’ai décou­vert le Free Blee­ding Move­ment.

J’étais éton­né de ne pas voir un petit cha­pitre sur les coupes mens­truelles, mais c’est juste pour trou­ver quelque chose à redire dans ce livre fan­tas­tique.

Jeanne Guien dénonce très bien le fem­ver­ti­sing, le fémi­nisme de mar­ché, ou empo­wer­ti­sing. Pages 283–4 elle écrit :

« J’entends sou­vent des acti­vistes citer cette phrase prê­tée à Gand­hi : « D’abord ils nous ignorent, ensuite ils se moquent de nous, ensuite ils nous com­battent, et à la fin on gagne ». Je dirais pour ma part qu’ils nous ignorent, ils se moquent de nous, ils nous com­battent, et à la fin ils nous récu­pèrent. ».

Jeanne Guien

Jeanne Guien, pho­to de Louis Ver­meire

Mer­ci Madame Guien.

Note : dans le titre, c’est un jeu de mot avec le mot assez rare « cata­mé­nial », qui a trait aux mens­trua­tions. Ça ne fait rire que moi, mais c’est déjà ça de pris sur la vie.

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