Cours récent sur rai­son­ne­ments & phi­lo morale : j’y aborde des thèmes divers, dont cer­tains sen­sibles, sui­cide, abus, pédo­crim, etc.. Pour la pre­mière fois, des étudiant·es sont venus à la fin me conseiller de faire à l’a­vance des trig­ger war­nings, TW, ou trau­ma­ver­tis­se­ments, des aver­tis­se­ments préa­lables pour évi­ter l’é­mer­gence de sou­ve­nirs trau­ma­tiques.

 

Pre­mière fois ? Pas tout à fait : il y a 10–12 ans, un jeune témoin de Jého­vah (vache­ment cou­ra­geux de venir s’in­fli­ger 24 heures de zété­tique) m’a­vait deman­dé le droit de sor­tir de cours si je mon­trais quelque chose res­sem­blant à du « para­nor­mal ». Or effec­ti­ve­ment, je fai­sais lors d’un cours ce semestre-là la désor­mais fameuse manip du « faux sour­cier ». Alors j’a­vais accep­té, et l’a­vais pré­ve­nu à l’a­vance, puis sur un signe de ma part, il était donc sor­ti. J’é­tais venu le cher­cher dehors à la fin (véri­dique). Et puis il y a deux ans, lisant des textes anciens d’an­thro­po­lo­gie raciste de Julien-Joseph Virey (His­toire natu­relle du genre humain, 1834) qui contiennent ce qu’on appelle le N‑word1, un étu­diant m’a­vait deman­dé de faire gaffe. Et j’a­vais fait gaffe ensuite. Même si le war­ning sur ce mot n’est pas aus­si néces­saire, j’ai l’im­pres­sion, en France qu’en Amé­rique.

 

J’ai eu plai­sir de dis­cu­ter avec ce groupe de ces ques­tions, éclai­rée par les phi­lo­so­phies morales que nous venions d’é­tu­dier som­mai­re­ment ; le tout fut enri­chi par le fait que des étudiant·es en kiné étaient là, qui expli­quaient que leur for­ma­tion, dans laquelle le corps, par­fois dénu­dé, est sou­vent en jeu (style TP mas­sage pel­vien) sou­lève des pro­blèmes du même ordre.

 

Voi­ci mon fatras de ques­tion­ne­ments.

Sachant que tous mes conte­nus touchent aux croyances, je me dis que poten­tiel­le­ment tout pour­rait deman­der un TW selon le vécu des gens. Et je suis pour adou­cir au maxi­mum mes cours. Dois-je anti­ci­per les sujets trau­ma ? Si oui, com­ment ? Dois-je com­po­ser la liste sur la base des retours que j’ai après coup ? (un peu trop tard donc). Dans ce cas, ça peut paraître facile, je prends ce qu’on me dit, et je l’in­tègre pour la fois d’a­près. Or par deux fois, j’ai eu à accom­pa­gner des consé­quences dou­lou­reuses de mes cours que je n’a­vais pas pré­vu : une per­sonne en larmes après cours parce qu’elle venait de com­prendre que sa famille était com­plè­te­ment prise dans une spi­ri­tua­li­té New Age ; une autre parce qu’elle avait com­pris pen­dant mon ensei­gne­ment que son couple était… une esca­lade d’en­ga­ge­ment (ce qui arrive aux meilleur·es d’entre nous).

 

Je réflé­chis­sais avec elleux à savoir : mets-je une limite de fai­sa­bi­li­té ? (car quelques aver­tis­se­ments sont gérables, mais des dizaines, je vois mal com­ment). Et cette limite m’ap­par­tient-elle ? (si pas, à qui appar­tient-elle alors). Si elle relève de l’ap­pré­cia­tion de chacun·e, le carac­tère plus ou moins safe des ensei­gne­ments pour­rait être connu et dis­cu­té. Dois-je le faire très à l’a­vance, afin qu’une per­sonne qui sou­haite sor­tir ne se retrouve pas « affi­chée » devant tout l’am­phi ? Que puis-je répondre si quelqu’un·e récla­mait un TW ou un dis­clai­mer sur un texte athée, sur de la théo­rie de l’é­vo­lu­tion, ou sur la notion de genre (qui pour rap­pel, a déclen­ché des boy­cotts et des pro­tes­ta­tions immenses entre 2010 et 2015 en France) ? Et que doit faire l’ins­ti­tu­tion ? Je prends deux exemples oppo­sés : j’ai cru com­prendre que l’u­ni­ver­si­té de Cali­for­nie à San­ta Bar­ba­ra a adop­té en 2014 une réso­lu­tion en faveur de l’u­ti­li­sa­tion des TW, tan­dis que l’U­ni­ver­si­té de Chi­ca­go pré­vient qu’elle ne pra­tique pas les TW, en rai­son de son appui à la liber­té d’ex­pres­sion.

Enfin, ultime ques­tion : j’ai sur­vo­lé des études mon­trant que les effets des aver­tis­se­ments préa­lables de ce genre étaient… nuls, voire nui­sibles (Pay­ton 2020, Kha­lid 2021, etc.), pou­vant créer une anxié­té plus grande que le pro­blème que ça pré­tend régler. Faut-il donc uti­li­ser cette tech­nique ?

Alors je suis comme Jean Petit qui danse, je suis tiraillé, et je dode­line ma tête pleine d’eau.

Vous’aut”, que faites-vous ? Dans les milieux mili­tants, mais sur­tout, vous “aut” profs, qui plus est du supé­rieur, com­ment vous y pre­nez-vous ?
Mathieu Gagnon

Mathieu Gagnon

Denis Jeffrey

Denis Jef­frey

J’ai écrit ce texte en écou­tant le pod­cast « Pen­sons l’é­du­ca­tion en dia­logue », de Mathieu Gagnon, pro­fes­seur à la Facul­té d’é­du­ca­tion de l’U­ni­ver­si­té de Sher­brooke. Dans son cap­ti­vant épi­sode 9, il inter­roge Denis Jef­frey, pro­fes­seur titu­laire à la Facul­té des sciences de l’é­du­ca­tion de l’U­ni­ver­si­té Laval, sur l’é­thique pro­fes­sion­nelle en édu­ca­tion. C’est très riche (et je découvre que le Qué­bec a des règles éthiques bien par­ti­cu­lières dont je n’a­vais pas pris la mesure).

 

Mathieu est actuel­le­ment à Gre­noble, et je devais enre­gis­trer un épi­sode avec lui, mais je viens de cho­per le covid, ça ne va pas se faire.
À l’ins­tar d’Ur­bain Gran­dier, « j’ai le démon ».

Notes

  1. Le mot nègre.

10 réponses

  1. Crise en Thème dit :

    Je n’ai pas de réponse à ces pro­blé­ma­tiques que vous sou­le­vez. Aus­si ce qui suit n’en­gage que ma mal­adresse et mon manque d’ex­per­tise dans tous les domaines.

    Ce que vous sou­le­vez me fait pen­ser au cours don­né à l’ULB et inti­tu­lé « Déve­lop­per sa pen­sée cri­tique » dans lequel Guy Haar­scher parle de la dis­tinc­tion entre le public volon­taire et le public cap­tif.

    De ce que je pense me sou­ve­nir :

    Un public volon­taire est un public fai­sant le choix suf­fi­sam­ment éclai­ré et mis en condi­tion pour rece­voir une infor­ma­tion.

    Un public cap­tif reçoit l’in­for­ma­tion alors qu’il n’a pas don­né son concen­te­ment pour la rece­voir.

    Une per­sonne assis­tant à l’un de vos cours est (pour moi) un public volon­taire, elle se met déli­bé­ré­ment dans une situa­tion qui pour­rait lui créer de l’in­con­fort. Dans vos cours de 2017, qui sont dis­po­nibles sur YT, vous pré­ve­nez régu­liè­re­ment que les thèmes abor­dés peuvent géné­rer de l’in­con­fort. D’a­près ces vidéos j’ai l’im­pres­sion que vous don­nez beau­coup de clés pour que les per­sonnes fassent le choix éclai­ré de res­ter ou non. Vous pré­ve­nez des thèmes des pro­chains cours d’une semaine à l’autre, vous rap­pe­lez régu­liè­re­ment que ce cours n’est pas obli­ga­toire et que vous ne jugez pas les gens mais leurs idées.

    Pour moi, si vous met­tiez les per­sonnes dans une situa­tion de public cap­tif ça serait, par exemple dans le cas où vous don­ne­riez vos cours sur la voie publique à une heure de pointe.

    J’ai l’im­pres­sion que la plu­part du temps cette dis­tinc­tion de public volon­taire et de public cap­tif fonc­tionne bien. Il y a mal­gré tout des excep­tions mais qui ne sont pas rares.
    Si on prend l’exemple d’un film, bien que nous soyons volon­taire pour le regar­der, il peut arri­ver que nous nous trou­vions cap­tif de cer­taines scènes. Je pense aux gênantes (et sou­vent inutiles) scènes de sexe
    qui quand on est gosse sont d’un incon­fort extrême lorsque les parents sont pré­sents avec nous. Mais aus­si pour cer­taines per­sonnes, de forts sen­ti­ments de la colère ou de la tris­tesse pour l’u­ti­li­sa­tion de sté­réo­types en tout genre, des mino­ri­tés aux rôles sous côtés dans le scé­na­rio, des pra­tiques ali­men­taires, des tor­tures d’êtres humains et non-humains, des dia­bo­li­sa­tions reli­gieuses, etc… C’est éga­le­ment le cas dans le JT de 20h ou sur les réseaux sociaux.

    Je ne sou­haite pas mini­mi­ser la souf­france des per­sonnes qui ont pu être heur­tées par cer­tains de vos conte­nus mais sim­ple­ment rap­pe­ler qu’un monde qui serait en par­faite cohé­rence avec nous même n’existe pas car il ne pour­rait pas être en cohé­rence avec les autres habi­tants de cette pla­nète. Si vos cours sont bles­sants pour cer­taines per­sonnes, alors par­tout ailleurs elles doivent vivre un cal­vaire. Aus­si il fau­drait voir dans le temps si ces cours n’ont pas fini, d’une manière ou d’une autre, par aider ces per­sonnes.

    Écou­ter une per­sonne remettre ques­tion nos croyances c’est tou­jours un peu dou­lou­reux même si j’ai fina­le­ment ado­ré avoir été bous­cu­lé dans tous les sens par ces cours. Cours qui m’ont fait reve­nir de loin. Je ne fais donc pas par­ti de ces per­sonnes qui ont été affec­tées par cer­tains conte­nus de ces cours mais je trouve beau le fait que vous vous posiez ces ques­tions pour elles et pour rendre leur expé­rience de ces cours moins dou­lou­reuse.

    Ah et bon réta­blis­se­ment.

  2. Manu dit :

    Bon­jour Richard,

    Voi­ci le mes­sage que j’a­vais écris sur mes­sen­ger car je ne sou­haite pas for­cé­ment éta­ler cette infor­ma­tion auprès de mes « amis » Face­book qui sont des col­lègues, confrères,.. (même s’il n’y a rien d’ex­cep­tion­nel dans ce que je dis).

    Je suis réfé­rent péda­go­gique à l’é­cole d’er­go­thé­ra­pie de Nan­cy, et j’en­seigne l’a­na­to­mie pal­pa­toire et fonc­tion­nelle auprès des étu­diants de 1ère année, entres autres.

    Concer­nant les TW, et sans pour autant pré­ve­nir les étu­diants juste avant, j’an­nonce en début de cours que j’u­ti­lise un dis­cours non essen­tia­liste dans l’ex­pli­ca­tion de l’a­na­to­mie expli­quant le mou­ve­ment.

    Je ne dis pas par exemple « tel struc­ture sert à tel fonc­tion » mais « l’ar­ran­ge­ment de cette struc­ture est rela­ti­ve­ment plus adap­té à tel fonc­tion ».

    De même, j’ex­plique au pas­sage en quoi cer­taines struc­tures sont des reli­quats moins adap­tés, opti­mi­sés à nos besoins d’hu­mains.

    En effet, plu­sieurs étu­diants affichent une croyance et expriment une convic­tion reli­gieuse.

    C’est pour­quoi je démarre l’an­née avec un dis­clai­mer « je m’ex­pri­me­rais en des termes cor­res­pon­dants aux théo­ries les en cor­ré­la­tions avec les connais­sances scien­ti­fiques. Cepen­dant, je ne sou­haite pas m’op­po­ser à vos convic­tions per­son­nelles. Pre­nez mes expli­ca­tions comme une ver­sion qui me semble la plus pro­bable, et adap­tée à la com­pré­hen­sion ce que vous devez connaître ».

    Idem, petit dis­clai­mer avant de par­ler d’at­ti­rance non hété­ro­sexuelle, qui n’ont aucune rai­son de devoir être consi­dé­ré comme des fonc­tion­ne­ments patho­lo­giques, au sens de la clas­si­fi­ca­tion des troubles que l’on iden­ti­fie en ergo­thé­ra­pie.

    Ça semble etre suf­fi­sant pour être accep­té sans mani­fes­ta­tion d’op­po­si­tion…

    Je me ques­tionne éga­le­ment sur la posi­tion la plus adé­quate : comme toute dis­ci­pline d’en­sei­gne­ment de l’a­na­to­mie sur vivant, les étu­diants sont sujets.
    Les années pas­sant, cela devient un sujet de pré­oc­cu­pa­tion pour moi : ne jamais lais­ser la moindre ambi­guï­té sur la manière dont les étudiant.e.s pour­raient vivre le contacte.
    A ceci se rajoute une angoisse pour les étudiant.e.s dont les croyances reli­gieuses les amènes à cou­vrir leur corps. Les consignes ont tou­jours été de venir avec des vête­ments cours. J’au­to­rise donc ces étudiant.e.s ave­nir avec des vête­ments qui recouvrent le corps, mais très proche de la peau pour en per­ce­voir les reliefs.

    Je ne sais pas si mon com­men­taire est bien res­té dans le sujet mais je me dis, pour­quoi pas vous en faire part

    • Mer­ci beau­coup de vos retours ! C’est riche. Il y a juste un point que je ne traite pas comme vous : au lieu de dire « Cepen­dant, je ne sou­haite pas m’opposer à vos convic­tions per­son­nelles. Pre­nez mes expli­ca­tions comme une ver­sion qui me semble la plus pro­bable, et adap­tée à la com­pré­hen­sion ce que vous devez connaître » » (certes élé­gant, mais épis­té­mo­lo­gi­que­ment… « limite ») j’ex­plique pour­quoi le maté­ria­lisme est néces­saire « en méthode », et que faire entrer une seule croyance sans preuve fait qu’on n’a plus moyen de frei­ner d’autres enti­tés sans preuves – puis­qu’on a bou­sillé le sta­tut de la preuve. Donc ce n’est pas la ver­sion la plus vrai­sem­blable par­mi plein d’autres : c’est cer­tai­ne­ment la seule qui n’a pas besoin de pré­re­quis sans preuve (et c’est ça, la science). Je recom­mande chau­de­ment aux enseignant·es d’ex­pli­quer ça avant que les ques­tions ne pleuvent (je crois que j’en parle ici par ex. https://www.youtube.com/watch?v=W6ITdRjahf0)
      Ami­ca­le­ment

        • Manu dit :

          Un gtand mer­ci pour ce retour Richard.

          Ini­tia­le­ment, je disais un simple « je res­pecte votre droit d’être croyant, mais voi­là ce qu’est le résul­tat des connais­sances à ce jour ».
          Maid elle me donne l’im­pres­sion qu’il s’a­git d’une pure phrase de poli­tesse,

          Pour redon­ner un petit peu de contexte (pas pour excu­ser, mais parce que j’ai un autre objec­tif).

          Depuis peu, la for­ma­tion est sub­ven­tion­né par le conseil régio­nal (3500€/an avant), nous ame­nons des pro­fils plus divers, des pro­fils moins pri­vi­lé­giés.

          Vu que cette inter­ven­tion se fait dès la 1ere semaine de 1ere année, je crois que cette « Confron­ta­tion » (peut être tota­le­ment ima­gi­née de ma part), n’aug­mente un sen­ti­ment de ces étu­diants de ne pas être à leur place.

          J’ai en tête, et une fois que les étu­diants se sentent suf­fi­sam­ment accep­tés avec leur dif­fé­rences, d’a­me­ner au moins une inter­ven­tion d’é­pis­té­mo­lo­gie.

          J’ai d’ailleurs sol­li­ci­té Tho­mas Durand pour cette inter­ven­tion. J’au­rais éga­le­ment pro­po­sé quelque chose de plus simple (j’suis en attente de l’ins­crip­tion au m2 his­toire des sciences, epis­te­mo­lo­gie et logique pour me sen­tir légi­time).

          Mais j’a­voue souf­frir inté­rieu­re­ment lorsque je sors ce dis­cours, et je sais que c’est pro­blé­ma­tique…

          Je vais regar­der ces vidéos !

          Encore mer­ci

          • je vous com­prends. Jus­te­ment, ce que je sug­gère évite toute confron­ta­tion. EN mon­trant qu’on peut être maté­ria­liste ou spi­ri­tua­liste onto­lo­gique, comme on veut, mais le temps de la paillasse et des connais­sances com­munes, on n’a pas le choix de sous­crire à la preuve, cela anti­cipe le pb des croyances avant que ce lui-ci ne se pose. Ca évite beau­coup d’embarras (comme le fait de devoir jus­ti­fier de ne pas ensei­gner le créa­tion­nisme seule­ment au moment où un·e élève pose la ques­tion : j’ai envie de dire, c’est qua­si fou­tu). Vous me direz si cces vidé­so vous aide. En tout cas je com­prends et cau­tionne votre démarche. C’est la même qui fait que j’in­tro­duis en 1ère approx le NOMA de Ste­phen Jay Gould, pas satis­fai­sant, mais péda­go­gi­que­ment valable au début pour ne pas lâcher tout le monde.

  3. Sklaera dit :

    J’ai un peu cogi­té là des­sus après ton post de l’autre jour.
    De ce que j’ai vu les com­men­taires por­taient bcp sur la ques­tion de l’ef­fi­ca­ci­té ou non des TW. Je prends donc ça sous un angle un peu dif­fé­rent en essayant de me pla­cer du point du vue du res­sen­ti de l’étudiant·e.

    Je pense que la ques­tion prin­ci­pale n’est pas de savoir si ça va ou non leur évi­ter d’être confronté·es à des sou­ve­nirs trau­ma­tiques (le fait de nom­mer un TW est déjà en soi une confron­ta­tion), mais plu­tôt quel cadre mettre en place pour que cela se fasse dans les meilleures condi­tions pos­sibles ?

    Je ne sais pas ce tu entends par « adou­cir au maxi­mum les cours », je ne crois pas qu’il soit sou­hai­table d’é­vi­ter cer­tains sujets ou de trop édul­co­rer le conte­nu, même si évi­dem­ment il faut être pré­cau­tion­neux sur la manière de les abor­der (ce que tu fais déjà je pense).

    Je suis plu­tôt dubi­ta­tive sur l’ef­fi­ca­ci­té des TW, et ça me paraît dif­fi­cile d’en faire sys­té­ma­ti­que­ment sans trop inter­rompre le cours. Je ne les inclu­rais pas d’emblée dans le cours mais plu­tôt sur demande, au cas par cas.

    Je ferais quelque chose comme ça :

    1) Com­mu­ni­quer à l’a­vance le plan du cours avec les sujets abor­dés et invi­ter les étu­diants à se signa­ler si un sujet est trop sen­sible pour eux.

    2) Don­ner une défi­ni­tion pré­cise de ce qu’est un TW et cir­cons­crire son usage à des conte­nus pou­vant entraî­ner des symp­tômes de type PTSD ou crise d’an­goisse (on peut choi­sir d’é­lar­gir le péri­mètre mais ça devien­drait vite ingé­rable à mon avis…)
    Par exemple je ne pense pas qu’un·e musulman·e pratiquant·e souf­fri­ra de PTSD après avoir vu une cari­ca­ture de Maho­met même s’il·elle trouve ça cho­quant.
    Et ne pas oublier qu’il s’a­git d’un public volon­taire, et non cap­tif comme ce serait le cas dans l’en­sei­gne­ment secon­daire où les élèves sont obli­gés d’as­sis­ter au cours.

    3) Réflé­chir à la ques­tion de l’a­no­ny­mat (dévoi­ler ses « trig­gers » peut être per­çu comme quelque chose de très intime) > par exemple faire rem­plir un ques­tion­naire ano­nyme ou mettre en place une urne ?

    4) Infor­mer en amont de la pos­si­bi­li­té d’un temps d’é­change après le cours pour ceux qui le sou­haitent, et pré­voir des ressources/interlocuteurs vers qui les orien­ter si besoin de sou­tien psy­cho­lo­gique ou autre (par exemple une asso­cia­tion de sou­tien aux vic­times de dérives sec­taires).

    Même si le TW n’empêche pas réel­le­ment de réveiller des sou­ve­nirs trau­ma­tiques, si des étu­diants le demandent expli­ci­te­ment sur un point pré­cis il me semble impor­tant de res­pec­ter ça. Le seul fait de lais­ser la pos­si­bi­li­té aux étu­diants de signa­ler de poten­tiels sujets sen­sibles en amont du cours et de pro­po­ser un temps d’é­change après peut leur per­mettre de se sen­tir dans un cadre safe, et peut être même de vaincre leur appré­hen­sion d’a­bor­der cer­tains points ?

    Cela me paraît être un bon équi­libre entre des TW sys­té­ma­tiques, et refu­ser d’en faire car ce serait inef­fi­cace. Mais mon point de vue est sans doute biai­sé par le fait que je ne souffre pas de trau­ma­tisme impor­tant, et je sais qu’on est inégaux face à ça.

    Par exemple sur la pédo­cri­mi­na­li­té, bien qu’ayant été moi même vic­time je m’en suis bien sor­tie et je trouve ça plu­tôt récon­for­tant de voir ce sujet abor­dé dans l’en­sei­gne­ment.

    Pour la jeune fille dont la famille était dans la spi­ri­tua­li­té New Age, je com­prends bien que ça ait été dur pour elle, et pas facile pour toi de la voir pleu­rer à la fin du cours. Mais il faut se dire que pas­sé ce moment dif­fi­cile tu lui auras sûre­ment per­mis de s’ex­traire de ces croyances, et donc le béné­fice au long terme est bien supé­rieur au désa­gré­ment cau­sé par cette prise de conscience.

    Moi aus­si j’ai eu des moment d’an­goisse en réa­li­sant les pro­blèmes et les dérives que pou­vaient engen­drer le New Age, et l’emprise que ça avait sur ma mère et ma soeur. Mais je suis quand même très recon­nais­sante à Eli­sa­beth Fey­tit pour ses pod­casts, à JM Abras­sart pour son émis­sion sur le New Age où j’ai décou­vert Sha­dow Ombre (qui m’a beau­coup aidé à com­prendre l’his­toire et les ori­gines de ces croyances), et à toi pour ta pos­ture bien­veillante et nuan­cée (mais je te l’ai déjà dit) et pour tes cours que j’ai com­men­cé à regar­der 🙂

    En tout cas c’est un débat impor­tant, et je pense que la ques­tion des trau­mas et de la san­té men­tale est trop négli­gée dans le cadre sco­laire. Pour cer­taines per­sonnes c’est un réel han­di­cap, et ça méri­te­rait de mettre en place une vraie réflexion sur la manière de les prendre en compte (comme on le fait pour les han­di­cap phy­siques, les troubles dys etc…)

    Idem pour le sujet de l’in­ter­sexua­tion (mer­ci d’en avoir par­lé), c’est aber­rant que ça ne soit pas inclus dans le pro­gramme sco­laire. Enfin ça a peut être évo­lué depuis mais pen­dant ma sco­la­ri­té ça n’a même pas été évo­qué. J’ai décou­vert ça vers mes 18 ans en regar­dant le film XXY de Lucía Puen­zo (2007) > je l’ai revu récem­ment et je recom­mande +++

    Tu feras un retour d’ex­pé­rience sur ce que tu met­tras en place sur les TW ? Je suis sûre que ça inté­res­se­ra plein de gens.

    Mer­ci !

      • Petitpartage dit :

        Hey Richard,

        Je suis une de tes anciennes élèves (2016), qui sou­ris en lisant ces ques­tion­ne­ments.
        Je ne sais pas si cela nour­ri­ra ta réflexion, mais je te fais un petit par­tage de mon expé­rience : ton cours sur, je crois, les méca­nismes de mani­pu­la­tions, a été un pre­mier pas vers la sor­tie d’un déni de viol. Lorsque tu as abor­dé l’es­ca­lade d’en­ga­ge­ment et sur­tout la dis­so­nance cog­ni­tive, c’est cette situa­tion vécue qui a jailli pour m’illus­trer ce concept pen­dant le cours.
        Je savais que j’a­vais vécu ce rap­port, mais c’est comme si il n’é­tait jusque là pas expli­cable, donc pas inté­grable d’une cer­taine façon – com­ment avais-je pu vivre ça, pire, ne pas me défendre, alors que je ne le vou­lais pas ? c’é­tait insen­sé -. Le fait d’a­voir un début d’ex­pli­ca­tion m’a per­mis de le faire entrer dans le domaine du conscient je crois.
        Bon, je t’a­voue, j’ai pas­sé des sales semaines après…
        Quelques années plus tard, c’est la lec­ture de King Kong Théo­rie de V.Despentes qui m’a a nou­veau per­cu­tée… nou­veau pan de com­pré­hen­sion : ce n’é­tait pas que lui et moi dans une rela­tion d’es­ca­lade d’en­ga­ge­ment, c’é­tait aus­si un contexte social de domi­na­tion patriar­cale et de « culture du viol ». Cette fois c’est la colère que j’ai pu accueillir, et j’ai pu nom­mer « viol » ce que j’a­vais vécu sans plus en dou­ter.
        Encore quelques années plus tard, je me suis trou­vée à nou­veau assaillie de ques­tion­ne­ments et d’an­goisses liées à cet évé­ne­ment, et c’est en me ren­sei­gnant sur inter­net sur les thé­ra­pies poten­tielles que je suis tom­bée sur un site spé­cia­li­sé qui expli­quait les méca­nismes neu­ro­bio­lo­giques des trau­ma­tismes et leurs consé­quences sur la vie des vic­times. Cette fois, c’est la souf­france et l’im­pact du trau­ma que j’ai pu regar­der en face et mieux com­prendre, les symp­tômes que j’ai pu iden­ti­fier et relier à cet évé­ne­ment… et aus­si com­ment j’a­vais pu avoir l’im­pres­sion de voir et vivre la scène « en dehors de mon corps »… expé­rience que ma culture scep­tique avait quand même du mal à admettre !;)

        Je ne pense pas que tu aurais pu, d’une manière ou d’une autre m’a­ver­tir de ce qu’au­rait per­mis de révé­ler ton cours. Je l’i­gno­rais moi-même. De même que je ne m’at­ten­dais pas à être autant per­cu­tée par la lec­ture de King Kong, alors que le résu­mé annonce la thé­ma­tique du viol.
        Et je ne regrette pas non plus ces étapes, au com­bien dou­lou­reuses mais au com­bien cru­ciales dans mon par­cours d’in­té­gra­tion de cet évé­ne­ment.
        Je me dis que l’ex­pli­ca­tion « scien­ti­fique » a été le mor­tier pour me ré-assem­bler. Je ne serais pas éton­née que pour d’autres, ce soit un ciment spi­ri­tuel… Dif­fi­cile donc d’é­vi­ter des révé­la­tions ou des effon­dre­ments dans tes cours !

        Sur ce sujet des trau­mas, tu touches mal­gré toi à des vécus très indi­vi­duels, et sur les­quels tu n’as à mon avis pas vrai­ment de prise. La ques­tion que je me pose, c’est « qu’est ce qu’il se passe pour des élèves qui sortent du cours avec un far­deau à demi révé­lé, ou une croyance re-struc­tu­rante fra­gi­li­sée ?», et je trouve très inté­res­sant le com­men­taire de Sklae­ra.
        Je me dis que les choses auraient été dif­fé­rentes pour moi si mes proches avaient pu davan­tage me sou­te­nir, et si ielles ne l’ont pas fait c’est par manque de connais­sances plus que par manque de bien­veillance… Ou encore si j’a­vais pu me diri­ger vers un accom­pa­gne­ment psy­cho­lo­gique pro­fes­sion­nel, mais à l’é­poque j’i­gno­rais en fait ce qu’é­tait un trau­ma­tisme au sens cli­nique du terme, ce que je vivais était des consé­quences, je ne savais pas les iden­ti­fier comme des symp­tômes méri­tant un soin.
        Je me demande si ce serait inté­res­sant d’a­voir un cours « croyances et agres­sions sexuelles », il doit y avoir pas mal de choses à dire ! L’a­na­lyse des don­nées chif­frées et la manière dont on les récolte/analyse, la grosse croyance encore vivante que l’a­gres­seur sexuel c’est l’in­con­nu dans la ruelle sombre et pas le proche, les méca­nismes neu­ro-bio­lo­giques à l’oeuvre pen­dant et après l’acte ou les actes qui per­mettent de com­prendre l’é­tat de sidé­ra­tion, l’in­ca­pa­ci­té à réagir et plus tard la dif­fi­cul­té à poser une ana­lyse cohé­rente de l’é­vé­ne­ment qui a un gros impact sur le pro­ces­sus de recons­truc­tion de soi et le pro­ces­sus juri­dique, c’est quoi les preuves d’une agres­sion sexuelle et qu’est-ce que ça implique d’a­voir à prou­ver et pour­quoi c’est com­pli­qué ?… et mille autres sujets je sup­pose.
        Bon, toi qui vou­lais « adou­cir tes cours au maxi­mum », ce serait un peu l’in­verse car c’est un sujet des plus dif­fi­cile et com­plexe, et qu’il fau­drait lui créer un cadre très adap­té. Mais on a besoin de s’ac­cul­tu­rer à tout ça je crois, les vic­times et poten­tielles futures vic­times, les agresseur.euses et potentiel.les futur.es agresseur.euses, l’en­tou­rage.
        Mon meilleur ami m’a dit : « si tu ne t’es pas défen­due, c’est que tu en avais un peu envie », ma meilleure amie m’a dit « tant que tu ne sau­ras pas dire non, ce genre de truc pour­ra se repro­duire », mon copain de l’é­poque m’a dit « je te connais, quand tu veux tu sais dire non ». Auraient-ielles réagi pareil si ielles avaient com­pris – ou moi – qu’on peut ne pas pou­voir se défendre ?
        Bref, voi­là un long par­tage, je ne sais pas si et com­ment il nour­rit ta réflexion !

        Le type qui m’a agres­sée, et je crois sin­cè­re­ment qu’il n’a­vait aucune inten­tion de mal­veillance car il était vrai­ment per­sua­dé que j’en avais envie – aaah, elle dit non mais elle pense oui, comme c’est éro­tique… – était un ami de deux fois mon âge. Il me fas­ci­nait parce qu’il par­lait de « syn­chro­ni­ci­té de notre ren­contre », j’é­tais flat­tée car il répé­tait sans cesse que j’a­vais « une éner­gie extra­or­di­naire qui irra­diait par­tout », il me fai­sait des grands énon­cés sur les 4 accords Tol­tèques, l’ins­tant pré­sent, le lâcher-prise et que chacun.e fait tou­jours de son mieux…
        Quand j’ai com­men­cé à m’in­ter­ro­ger sur « cette nuit où c’est arri­vé », je lui ai par­ta­gé mes ques­tion­ne­ments. Sa réponse : « on ne peut pas regar­der l’ins­tant pré­sent d’hier avec les yeux de l’ins­tant pré­sent d’au­jourd’­hui… ». Déve­lop­pe­ment per­son­nel, quand tu nous tiens…
        Je lui ai écrit plus récem­ment, après avoir long­temps cou­pé les ponts, pour lui faire le récit de ce que j’a­vais vécu, moi, ces der­nières années… et lui deman­der, un peu au culot, si il serait ok de m’ai­der à finan­cer une thé­ra­pie si un jour j’en res­sen­tais le besoin. Comme un acte de res­tau­ra­tion, et de légi­ti­ma­tion puisque je n’ai jamais fait appel à la jus­tice. Aus­si, j’a­vais 1000 ques­tions sur com­ment lui avait vécu la chose, pen­dant l’acte, juste après, long­temps après tout ça, est-ce qu’il en souf­frait… Je n’ai pas eu de réponse.
        Les cours de zété­tique m’ont vrai­ment aidée à prendre mes dis­tances avec lui, déjà, et ce « monde magique fas­ci­nant », à culti­ver un esprit cri­tique qui aujourd’­hui me per­met de trou­ver la dis­tance qui est juste pour moi avec ces croyances, alors vrai­ment mer­ci, j’ai énor­mé­ment de gra­ti­tude et c’est l’oc­ca­sion de te l’ex­pri­mer !
        Je viens de me faire la super série « Libre influence »… Un autre par­tage dans le thème : alors que je m’in­ter­roge sur le fait de suivre une petite thé­ra­pie pour finir de dépas­ser phy­si­que­ment ce trau­ma, ma sage-femme me pro­pose de l’ho­méo­pa­thie et de l’os­théo­pa­tie, et mon méde­cin de l’EM­DR ‑_-”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *