
Cours récent sur raisonnements & philo morale : j’y aborde des thèmes divers, dont certains sensibles, suicide, abus, pédocrim, etc.. Pour la première fois, des étudiant·es sont venus à la fin me conseiller de faire à l’avance des trigger warnings, TW, ou traumavertissements, des avertissements préalables pour éviter l’émergence de souvenirs traumatiques.
Première fois ? Pas tout à fait : il y a 10–12 ans, un jeune témoin de Jéhovah (vachement courageux de venir s’infliger 24 heures de zététique) m’avait demandé le droit de sortir de cours si je montrais quelque chose ressemblant à du « paranormal ». Or effectivement, je faisais lors d’un cours ce semestre-là la désormais fameuse manip du « faux sourcier ». Alors j’avais accepté, et l’avais prévenu à l’avance, puis sur un signe de ma part, il était donc sorti. J’étais venu le chercher dehors à la fin (véridique). Et puis il y a deux ans, lisant des textes anciens d’anthropologie raciste de Julien-Joseph Virey (Histoire naturelle du genre humain, 1834) qui contiennent ce qu’on appelle le N‑word1, un étudiant m’avait demandé de faire gaffe. Et j’avais fait gaffe ensuite. Même si le warning sur ce mot n’est pas aussi nécessaire, j’ai l’impression, en France qu’en Amérique.
J’ai eu plaisir de discuter avec ce groupe de ces questions, éclairée par les philosophies morales que nous venions d’étudier sommairement ; le tout fut enrichi par le fait que des étudiant·es en kiné étaient là, qui expliquaient que leur formation, dans laquelle le corps, parfois dénudé, est souvent en jeu (style TP massage pelvien) soulève des problèmes du même ordre.
Sachant que tous mes contenus touchent aux croyances, je me dis que potentiellement tout pourrait demander un TW selon le vécu des gens. Et je suis pour adoucir au maximum mes cours. Dois-je anticiper les sujets trauma ? Si oui, comment ? Dois-je composer la liste sur la base des retours que j’ai après coup ? (un peu trop tard donc). Dans ce cas, ça peut paraître facile, je prends ce qu’on me dit, et je l’intègre pour la fois d’après. Or par deux fois, j’ai eu à accompagner des conséquences douloureuses de mes cours que je n’avais pas prévu : une personne en larmes après cours parce qu’elle venait de comprendre que sa famille était complètement prise dans une spiritualité New Age ; une autre parce qu’elle avait compris pendant mon enseignement que son couple était… une escalade d’engagement (ce qui arrive aux meilleur·es d’entre nous).
Je réfléchissais avec elleux à savoir : mets-je une limite de faisabilité ? (car quelques avertissements sont gérables, mais des dizaines, je vois mal comment). Et cette limite m’appartient-elle ? (si pas, à qui appartient-elle alors). Si elle relève de l’appréciation de chacun·e, le caractère plus ou moins safe des enseignements pourrait être connu et discuté. Dois-je le faire très à l’avance, afin qu’une personne qui souhaite sortir ne se retrouve pas « affichée » devant tout l’amphi ? Que puis-je répondre si quelqu’un·e réclamait un TW ou un disclaimer sur un texte athée, sur de la théorie de l’évolution, ou sur la notion de genre (qui pour rappel, a déclenché des boycotts et des protestations immenses entre 2010 et 2015 en France) ? Et que doit faire l’institution ? Je prends deux exemples opposés : j’ai cru comprendre que l’université de Californie à Santa Barbara a adopté en 2014 une résolution en faveur de l’utilisation des TW, tandis que l’Université de Chicago prévient qu’elle ne pratique pas les TW, en raison de son appui à la liberté d’expression.
Alors je suis comme Jean Petit qui danse, je suis tiraillé, et je dodeline ma tête pleine d’eau.

Mathieu Gagnon

Denis Jeffrey
J’ai écrit ce texte en écoutant le podcast « Pensons l’éducation en dialogue », de Mathieu Gagnon, professeur à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Dans son captivant épisode 9, il interroge Denis Jeffrey, professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, sur l’éthique professionnelle en éducation. C’est très riche (et je découvre que le Québec a des règles éthiques bien particulières dont je n’avais pas pris la mesure).
À l’instar d’Urbain Grandier, « j’ai le démon ».

Je n’ai pas de réponse à ces problématiques que vous soulevez. Aussi ce qui suit n’engage que ma maladresse et mon manque d’expertise dans tous les domaines.
Ce que vous soulevez me fait penser au cours donné à l’ULB et intitulé « Développer sa pensée critique » dans lequel Guy Haarscher parle de la distinction entre le public volontaire et le public captif.
De ce que je pense me souvenir :
Un public volontaire est un public faisant le choix suffisamment éclairé et mis en condition pour recevoir une information.
Un public captif reçoit l’information alors qu’il n’a pas donné son concentement pour la recevoir.
Une personne assistant à l’un de vos cours est (pour moi) un public volontaire, elle se met délibérément dans une situation qui pourrait lui créer de l’inconfort. Dans vos cours de 2017, qui sont disponibles sur YT, vous prévenez régulièrement que les thèmes abordés peuvent générer de l’inconfort. D’après ces vidéos j’ai l’impression que vous donnez beaucoup de clés pour que les personnes fassent le choix éclairé de rester ou non. Vous prévenez des thèmes des prochains cours d’une semaine à l’autre, vous rappelez régulièrement que ce cours n’est pas obligatoire et que vous ne jugez pas les gens mais leurs idées.
Pour moi, si vous mettiez les personnes dans une situation de public captif ça serait, par exemple dans le cas où vous donneriez vos cours sur la voie publique à une heure de pointe.
J’ai l’impression que la plupart du temps cette distinction de public volontaire et de public captif fonctionne bien. Il y a malgré tout des exceptions mais qui ne sont pas rares.
Si on prend l’exemple d’un film, bien que nous soyons volontaire pour le regarder, il peut arriver que nous nous trouvions captif de certaines scènes. Je pense aux gênantes (et souvent inutiles) scènes de sexe
qui quand on est gosse sont d’un inconfort extrême lorsque les parents sont présents avec nous. Mais aussi pour certaines personnes, de forts sentiments de la colère ou de la tristesse pour l’utilisation de stéréotypes en tout genre, des minorités aux rôles sous côtés dans le scénario, des pratiques alimentaires, des tortures d’êtres humains et non-humains, des diabolisations religieuses, etc… C’est également le cas dans le JT de 20h ou sur les réseaux sociaux.
Je ne souhaite pas minimiser la souffrance des personnes qui ont pu être heurtées par certains de vos contenus mais simplement rappeler qu’un monde qui serait en parfaite cohérence avec nous même n’existe pas car il ne pourrait pas être en cohérence avec les autres habitants de cette planète. Si vos cours sont blessants pour certaines personnes, alors partout ailleurs elles doivent vivre un calvaire. Aussi il faudrait voir dans le temps si ces cours n’ont pas fini, d’une manière ou d’une autre, par aider ces personnes.
Écouter une personne remettre question nos croyances c’est toujours un peu douloureux même si j’ai finalement adoré avoir été bousculé dans tous les sens par ces cours. Cours qui m’ont fait revenir de loin. Je ne fais donc pas parti de ces personnes qui ont été affectées par certains contenus de ces cours mais je trouve beau le fait que vous vous posiez ces questions pour elles et pour rendre leur expérience de ces cours moins douloureuse.
Ah et bon rétablissement.
merci !
Bonjour Richard,
Voici le message que j’avais écris sur messenger car je ne souhaite pas forcément étaler cette information auprès de mes « amis » Facebook qui sont des collègues, confrères,.. (même s’il n’y a rien d’exceptionnel dans ce que je dis).
Je suis référent pédagogique à l’école d’ergothérapie de Nancy, et j’enseigne l’anatomie palpatoire et fonctionnelle auprès des étudiants de 1ère année, entres autres.
Concernant les TW, et sans pour autant prévenir les étudiants juste avant, j’annonce en début de cours que j’utilise un discours non essentialiste dans l’explication de l’anatomie expliquant le mouvement.
Je ne dis pas par exemple « tel structure sert à tel fonction » mais « l’arrangement de cette structure est relativement plus adapté à tel fonction ».
De même, j’explique au passage en quoi certaines structures sont des reliquats moins adaptés, optimisés à nos besoins d’humains.
En effet, plusieurs étudiants affichent une croyance et expriment une conviction religieuse.
C’est pourquoi je démarre l’année avec un disclaimer « je m’exprimerais en des termes correspondants aux théories les en corrélations avec les connaissances scientifiques. Cependant, je ne souhaite pas m’opposer à vos convictions personnelles. Prenez mes explications comme une version qui me semble la plus probable, et adaptée à la compréhension ce que vous devez connaître ».
Idem, petit disclaimer avant de parler d’attirance non hétérosexuelle, qui n’ont aucune raison de devoir être considéré comme des fonctionnements pathologiques, au sens de la classification des troubles que l’on identifie en ergothérapie.
Ça semble etre suffisant pour être accepté sans manifestation d’opposition…
Je me questionne également sur la position la plus adéquate : comme toute discipline d’enseignement de l’anatomie sur vivant, les étudiants sont sujets.
Les années passant, cela devient un sujet de préoccupation pour moi : ne jamais laisser la moindre ambiguïté sur la manière dont les étudiant.e.s pourraient vivre le contacte.
A ceci se rajoute une angoisse pour les étudiant.e.s dont les croyances religieuses les amènes à couvrir leur corps. Les consignes ont toujours été de venir avec des vêtements cours. J’autorise donc ces étudiant.e.s avenir avec des vêtements qui recouvrent le corps, mais très proche de la peau pour en percevoir les reliefs.
Je ne sais pas si mon commentaire est bien resté dans le sujet mais je me dis, pourquoi pas vous en faire part
Merci beaucoup de vos retours ! C’est riche. Il y a juste un point que je ne traite pas comme vous : au lieu de dire « Cependant, je ne souhaite pas m’opposer à vos convictions personnelles. Prenez mes explications comme une version qui me semble la plus probable, et adaptée à la compréhension ce que vous devez connaître » » (certes élégant, mais épistémologiquement… « limite ») j’explique pourquoi le matérialisme est nécessaire « en méthode », et que faire entrer une seule croyance sans preuve fait qu’on n’a plus moyen de freiner d’autres entités sans preuves – puisqu’on a bousillé le statut de la preuve. Donc ce n’est pas la version la plus vraisemblable parmi plein d’autres : c’est certainement la seule qui n’a pas besoin de prérequis sans preuve (et c’est ça, la science). Je recommande chaudement aux enseignant·es d’expliquer ça avant que les questions ne pleuvent (je crois que j’en parle ici par ex. https://www.youtube.com/watch?v=W6ITdRjahf0)
Amicalement
Tiens, j’ai aussi retrouvé ça https://www.dailymotion.com/video/xmnju7
Un gtand merci pour ce retour Richard.
Initialement, je disais un simple « je respecte votre droit d’être croyant, mais voilà ce qu’est le résultat des connaissances à ce jour ».
Maid elle me donne l’impression qu’il s’agit d’une pure phrase de politesse,
Pour redonner un petit peu de contexte (pas pour excuser, mais parce que j’ai un autre objectif).
Depuis peu, la formation est subventionné par le conseil régional (3500€/an avant), nous amenons des profils plus divers, des profils moins privilégiés.
Vu que cette intervention se fait dès la 1ere semaine de 1ere année, je crois que cette « Confrontation » (peut être totalement imaginée de ma part), n’augmente un sentiment de ces étudiants de ne pas être à leur place.
J’ai en tête, et une fois que les étudiants se sentent suffisamment acceptés avec leur différences, d’amener au moins une intervention d’épistémologie.
J’ai d’ailleurs sollicité Thomas Durand pour cette intervention. J’aurais également proposé quelque chose de plus simple (j’suis en attente de l’inscription au m2 histoire des sciences, epistemologie et logique pour me sentir légitime).
Mais j’avoue souffrir intérieurement lorsque je sors ce discours, et je sais que c’est problématique…
Je vais regarder ces vidéos !
Encore merci
je vous comprends. Justement, ce que je suggère évite toute confrontation. EN montrant qu’on peut être matérialiste ou spiritualiste ontologique, comme on veut, mais le temps de la paillasse et des connaissances communes, on n’a pas le choix de souscrire à la preuve, cela anticipe le pb des croyances avant que ce lui-ci ne se pose. Ca évite beaucoup d’embarras (comme le fait de devoir justifier de ne pas enseigner le créationnisme seulement au moment où un·e élève pose la question : j’ai envie de dire, c’est quasi foutu). Vous me direz si cces vidéso vous aide. En tout cas je comprends et cautionne votre démarche. C’est la même qui fait que j’introduis en 1ère approx le NOMA de Stephen Jay Gould, pas satisfaisant, mais pédagogiquement valable au début pour ne pas lâcher tout le monde.
J’ai un peu cogité là dessus après ton post de l’autre jour.
De ce que j’ai vu les commentaires portaient bcp sur la question de l’efficacité ou non des TW. Je prends donc ça sous un angle un peu différent en essayant de me placer du point du vue du ressenti de l’étudiant·e.
Je pense que la question principale n’est pas de savoir si ça va ou non leur éviter d’être confronté·es à des souvenirs traumatiques (le fait de nommer un TW est déjà en soi une confrontation), mais plutôt quel cadre mettre en place pour que cela se fasse dans les meilleures conditions possibles ?
Je ne sais pas ce tu entends par « adoucir au maximum les cours », je ne crois pas qu’il soit souhaitable d’éviter certains sujets ou de trop édulcorer le contenu, même si évidemment il faut être précautionneux sur la manière de les aborder (ce que tu fais déjà je pense).
Je suis plutôt dubitative sur l’efficacité des TW, et ça me paraît difficile d’en faire systématiquement sans trop interrompre le cours. Je ne les inclurais pas d’emblée dans le cours mais plutôt sur demande, au cas par cas.
Je ferais quelque chose comme ça :
1) Communiquer à l’avance le plan du cours avec les sujets abordés et inviter les étudiants à se signaler si un sujet est trop sensible pour eux.
2) Donner une définition précise de ce qu’est un TW et circonscrire son usage à des contenus pouvant entraîner des symptômes de type PTSD ou crise d’angoisse (on peut choisir d’élargir le périmètre mais ça deviendrait vite ingérable à mon avis…)
Par exemple je ne pense pas qu’un·e musulman·e pratiquant·e souffrira de PTSD après avoir vu une caricature de Mahomet même s’il·elle trouve ça choquant.
Et ne pas oublier qu’il s’agit d’un public volontaire, et non captif comme ce serait le cas dans l’enseignement secondaire où les élèves sont obligés d’assister au cours.
3) Réfléchir à la question de l’anonymat (dévoiler ses « triggers » peut être perçu comme quelque chose de très intime) > par exemple faire remplir un questionnaire anonyme ou mettre en place une urne ?
4) Informer en amont de la possibilité d’un temps d’échange après le cours pour ceux qui le souhaitent, et prévoir des ressources/interlocuteurs vers qui les orienter si besoin de soutien psychologique ou autre (par exemple une association de soutien aux victimes de dérives sectaires).
Même si le TW n’empêche pas réellement de réveiller des souvenirs traumatiques, si des étudiants le demandent explicitement sur un point précis il me semble important de respecter ça. Le seul fait de laisser la possibilité aux étudiants de signaler de potentiels sujets sensibles en amont du cours et de proposer un temps d’échange après peut leur permettre de se sentir dans un cadre safe, et peut être même de vaincre leur appréhension d’aborder certains points ?
Cela me paraît être un bon équilibre entre des TW systématiques, et refuser d’en faire car ce serait inefficace. Mais mon point de vue est sans doute biaisé par le fait que je ne souffre pas de traumatisme important, et je sais qu’on est inégaux face à ça.
Par exemple sur la pédocriminalité, bien qu’ayant été moi même victime je m’en suis bien sortie et je trouve ça plutôt réconfortant de voir ce sujet abordé dans l’enseignement.
Pour la jeune fille dont la famille était dans la spiritualité New Age, je comprends bien que ça ait été dur pour elle, et pas facile pour toi de la voir pleurer à la fin du cours. Mais il faut se dire que passé ce moment difficile tu lui auras sûrement permis de s’extraire de ces croyances, et donc le bénéfice au long terme est bien supérieur au désagrément causé par cette prise de conscience.
Moi aussi j’ai eu des moment d’angoisse en réalisant les problèmes et les dérives que pouvaient engendrer le New Age, et l’emprise que ça avait sur ma mère et ma soeur. Mais je suis quand même très reconnaissante à Elisabeth Feytit pour ses podcasts, à JM Abrassart pour son émission sur le New Age où j’ai découvert Shadow Ombre (qui m’a beaucoup aidé à comprendre l’histoire et les origines de ces croyances), et à toi pour ta posture bienveillante et nuancée (mais je te l’ai déjà dit) et pour tes cours que j’ai commencé à regarder 🙂
En tout cas c’est un débat important, et je pense que la question des traumas et de la santé mentale est trop négligée dans le cadre scolaire. Pour certaines personnes c’est un réel handicap, et ça mériterait de mettre en place une vraie réflexion sur la manière de les prendre en compte (comme on le fait pour les handicap physiques, les troubles dys etc…)
Idem pour le sujet de l’intersexuation (merci d’en avoir parlé), c’est aberrant que ça ne soit pas inclus dans le programme scolaire. Enfin ça a peut être évolué depuis mais pendant ma scolarité ça n’a même pas été évoqué. J’ai découvert ça vers mes 18 ans en regardant le film XXY de Lucía Puenzo (2007) > je l’ai revu récemment et je recommande +++
Tu feras un retour d’expérience sur ce que tu mettras en place sur les TW ? Je suis sûre que ça intéressera plein de gens.
Merci !
promis je le ferai