À la fin de l’ex­cel­len­tis­sime épi­sode 419 de Pos­cast Sciences sur les plantes avec Marc-André Sélosse, du Muséum d’his­toire natu­relle de Paris, il y a un quizz, et nous avons l’é­té pour y répondre.

« La vita­mine C empêche de dor­mir : info ou intox ? »

J’ai repen­sé à un texte que j’a­vais pro­duit il y a deux lustres sur cortecs.org, et que je dépous­sière de mes archives pour l’oc­ca­sion.

La vitamine C est à l’origine de beaucoup d’idées reçues. Qu’en est-il réellement ?

La pre­mière d’entre elles, et cer­tai­ne­ment la plus grave, concerne le trai­te­ment du can­cer. On la doit entre autres au prix Nobel Linus Pau­ling, qui, cer­tai­ne­ment influen­cé par les théo­ries étranges de la « méde­cine ortho­mo­lé­cu­laire » défen­dues par le bio­chi­miste Irwin Stone, popu­la­ri­sa la consom­ma­tion mas­sive de vita­mine C. Il s’agissait d’abord de pré­ve­nir les rhumes, et Pau­ling décla­ra dans Vita­min C and the Com­mon Cold que prendre 1 000 mg de vita­mine C par jour allait réduire l’incidence des rhumes par 45 % pour une majo­ri­té de

Linus Pau­ling tri­po­tant une orange qui ne lui a rien fait, février 1981

per­sonnes (sachant que les Apports Nutri­tion­nels Conseillés en 2011 en France sont de 110 mg pour un·e adulte). La nou­velle édi­tion de 1976 de son livre, ré-inti­tu­lé Vita­min C, the Com­mon Cold and the Flu, sug­gé­ra des doses encore plus éle­vées, cette fois-ci pour la grippe, avant qu’un troi­sième livre, Vita­min C and Can­cer n’avance que des doses éle­vées de vita­mine C pou­vaient être effi­caces cette fois contre le can­cer.

En 1976 puis 1978, deux publi­ca­tions cosi­gnées par Pau­ling pré­sen­taient des expé­ri­men­ta­tions sur l’effet de l’administration d’acide ascor­bique chez des patients can­cé­reux (Came­ron & Pau­ling 1976). Sans comp­ter sur un autre livre, How to Feel Bet­ter and Live Lon­ger, qui pré­ten­dait que de fortes doses de vita­mine « peuvent amé­lio­rer votre san­té géné­rale… aug­men­ter votre joie de vivre, contri­buer à pré­ve­nir des mala­dies car­diaques, du can­cer, d’autres patho­lo­gies, et ralen­tir le pro­ces­sus de vieillis­se­ment » (Pau­ling 1986). Pau­ling lui-même pre­nait selon ses dires au moins 12 000 mg de vita­mine C par jour et avait cou­tume d’augmenter la dose à 40 000 mg s’il sen­tait un rhume arri­ver.

Mal­heu­reu­se­ment, des études pour­tant contem­po­raines de Pau­ling ne mon­trèrent aucun inté­rêt signi­fi­ca­tif de cette vita­mine C dans le trai­te­ment ni du rhume, ni du can­cer (entre autres Crea­gan & al. 1979 et Moer­tel & al. 1985). Il semble que seul son effet anti­his­ta­mi­nique rédui­rait un tout petit peu la sévé­ri­té des symp­tômes au début d’un rhume, et encore. Quant à l’effet anti-oxy­dant pré­ven­tif de cette vita­mine, il semble mal­heu­reu­se­ment qu’il se rap­proche de zéro.(1)

Il n’y a pas de grande morale à cette his­toire. Car Linus Pau­ling était un type brillant, qui pour l’anecdote est l’un des rares à avoir cumu­lé deux prix Nobel, l’un en chi­mie et l’autre pour la paix – ayant mili­té long­temps contre la pro­li­fé­ra­tion des armes nucléaires, contre la guerre et l’interventionnisme US. Il est cer­tai­ne­ment tom­bé dans ce que nous appe­lons le syn­drome For­mule 1 (2): de même qu’un pilote che­vron­né sort rare­ment de la route, lorsqu’un scien­ti­fique puis­sant sort de la route, il ter­mine sa course… bien loin dans le décor. Linus Pau­ling est mort d’un can­cer de la pros­tate en août 1994 (3).

Une orange avant de dor­mir, ça énerve

Un exemple bien moins grave d’idée reçue sur l’acide ascor­bique (autre nom de la vita­mine C) est pour­tant cou­rante dans nos chau­mières : celle d’excitant. Cer­taines per­sonnes évitent ain­si de man­ger des oranges au repas du soir, de peur que la vita­mine C conte­nue dans ces fruits pro­voque des insom­nies et nuise à une nuit pai­sible et répa­ra­trice. Ma vieille maman me disait ça.

En fait il n’en est rien. Selon la revue Pres­crire (N°58, 1986) :
« Il est habi­tuel de dire que la vita­mine C per­turbe le som­meil. Nous avons cher­ché à véri­fier cette impres­sion dans la lit­té­ra­ture inter­na­tio­nale par l’interrogation d’experts et de labo­ra­toires pro­duc­teurs de vita­mine C. Rien ne per­met d’affirmer que la vita­mine C per­turbe l’activité céré­brale pen­dant le som­meil. Au contraire, une étude réa­li­sée chez 18 volon­taires sains rap­porte les enre­gis­tre­ments EEG diurnes et noc­turnes après prise au cou­cher de 4 grammes de vita­mine C ou de pla­ce­bo (Note : équi­valent de 10kg d’oranges ou de pam­ple­mousses). Aucune modi­fi­ca­tion des cycles ou de l’organisation du som­meil n’est retrou­vée chez ceux qui ont absor­bé la vita­mine C. Aucun trouble fonc­tion­nel n’est rap­por­té au réveil. Une autre étude réa­li­sée en 1975 chez 54 volon­taires étu­diants en méde­cine de Stras­bourg a com­pa­ré l’effet sur le som­meil du séco­bar­bi­tal, de la vita­mine C et du pla­ce­bo : 1 gramme de vita­mine C au moment du cou­cher n’a eu aucun effet sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­tif sur le som­meil. » (4)

Cela n’empêche pas un grand nombre de gens, sou­hai­tant gérer « natu­rel­le­ment » leur san­té, d’acheter soit des com­plé­ments ali­men­taires d’acide ascor­bique, soit de gros stocks hiver­naux d’oranges, sou­vent issues d’une agri­cul­ture concen­tra­tion­naire exploi­tant une main d’œuvre cor­véable et bon mar­ché du sud de l’Espagne. Pen­dant ce temps, meurt en touffe le per­sil qui est en soi une bien meilleure réserve de vita­mine C, et se dilue bien mieux dans la soupe (100 g de per­sil apportent 200 mg de vita­mine C, contre envi­ron 55 mg pour 100 g d’orange).

À part pour les pirates qui sou­haitent évi­ter le scor­but, inutile donc de se sup­plé­men­ter à forte dose.

Richard Mon­voi­sin
  • (1) Bje­la­ko­vic G & al., Mor­ta­li­ty in ran­do­mi­zed trials of antioxi­dant sup­ple­ments for pri­ma­ry and secon­da­ry pre­ven­tion : sys­te­ma­tic review and meta-ana­ly­sis, JAMA. 2007 Feb 28;297(8):842–57.
    (2) Sur le syn­drome For­mule 1, vous pou­vez télé­char­ger ma thèse (ici) et vous rendre page 195.
  • (3) Pour en savoir plus, lire Ste­phen Bar­rett de Qua­ck­watch : High Doses of Vita­min C Are Not Effec­tive as a Can­cer Treat­ment (tra­duit ici) et The Dark Side of Linus Pauling’s Lega­cy
    (4) La publi­ca­tion citée est Kerx­hal­li JS., Vogel W., Bro­ver­man DM., Klai­ber EL., Effect of ascor­bic acid on the human elec­troen­ce­pha­lo­gram, J Nutr. 1975 Oct;105 (10):1356–8. Des com­plé­ments sur le mythe de la vita­mine C sont acces­sibles ici). Pour cel­leux qui suivent les infor­ma­tions du monde scep­tique, Qua­ck­watch a été inté­gré en 2020 au Cen­ter of Inqui­ry, l’an­cien CSICOP).

Ajout

Quand on lit sur un com­pri­mé de vita­mine C « Il est pré­fé­rable de ne pas prendre ce médi­ca­ment en fin de jour­née à cause de son effet légè­re­ment sti­mu­lant »,il semble que ce soit appa­ru lors de la mise sur le mar­ché du pre­mier sup­plé­ment de vita­mine C pro­duit le labo phar­ma­ceu­tique Hoff­man-La Roche, le Redoxon (et c’é­tait obte­nu par la syn­thèse Reich­stein, pour les chi­mistes). Redoxon est tou­jours ven­du, mais appar­tient aujourd’­hui à Bayer.

Comme la vita­mine C par­ti­cipe de la syn­thèse de la dopa­mine, qui joue un rôle dans l’éveil et la vigi­lance, Roche avait mis cette phrase par simple pré­cau­tion. Depuis, tout le monde la reprend, on dirait, sans véri­fier. Pour­tant, cas­sis et per­sil, ou chou, contiennent plus de vita­mine C que les oranges. Pour 200g jour­na­liers d’o­range à 60mg/100g, vous pou­vez tran­quille­ment brou­ter 70g de per­sil à 170mg/100g. Ce qui nous rap­pel­le­ra peut être le pas­teur Lese­go Daniel, du Centre Rab­bo­ni Minis­tries (ici), au nord de Pre­to­ria, en Afrique du Sud, qui a entre autres cou­tume de faire brou­ter du gazon à ses ouailles (des iules aus­si par­fois, accom­pa­gnés de bière).
https://youtu.be/CxsudMEdg7E

6 réponses

  1. Alexis dit :

    Inté­res­sant.
    Je me sou­viens lors de ma vie pas­sée, avoir enten­du sur Radio Ici et Main­te­nant un « pro­fes­seur » machin chose qui par­lait de la vita­mine C comme d’un « ali­ment essen­tiel », avec des ver­tus sem­blables à celles décrite dans cet article, et sans dose limite du fait que l’ex­cé­dent serait reje­té « sans dan­ger pour le corps », par des diar­rhées. (humph)
    Mer­ci pour la décou­verte du Pod­cast Science, à noter que le der­nier lien sur la mise en garde sur les com­plé­ments ali­men­taires, est cas­sé.

  2. Phloèm Sèv dit :

    Je plus­soie.

    Une remarque pota­gère cepen­dant : Pour obte­nir autant de per­sil qu’il en faut pour cro­quer autant de vita­mine C que dans dans la consom­ma­tion moyenne d’o­ranges en France, il va fal­loir que je dégomme pas mal d’autres choses au jar­din.
    Déjà, 100 gr, c’est une dose plu­tôt touf­fue…

    • :)) Je nous ima­gine brou­tant gaie­ment.
      Dites-moi si je me trompe : une orange, ça fait quoi, 200g ? A rai­son de 60mg de vit C pour 100g de fruit, si on ima­gine qq’un qui mange une orange par jour, il ingère 120mg.
      pour obte­nir ça avec du per­sil, (qui en comp­tient 170mg) il fau­drait 70g de per­sil. Oui, il va fal­loir mâcher 🙂

  3. Guy M. dit :

    D’où vient le fait que l’on croit que l’o­range, le pam­ple­mousse et autre agrume ( peut-être ) contiennent des exci­tants qui empêchent de dor­mir ?

    • On retrouve fré­quem­ment « Il est pré­fé­rable de ne pas prendre ce médi­ca­ment en fin de jour­née à cause de son effet légè­re­ment sti­mu­lant » comme effet poten­tiel­le­ment indé­si­rable, indi­qué par exemple sur les notices de Vita­mine UPSA. On raconte que c’est appa­ru en 1934 lors de la mise sur le mar­ché du pre­mier sup­plé­ment de vita­mine C par le labo­ra­toire phar­ma­ceu­tique Roche.
      Du fait de la rai­son de la par­ti­ci­pa­tion de la vita­mine C à la syn­thèse de la dopa­mine, qui joue un rôle dans l’éveil et la vigi­lance, Roche avait esti­mé
      qu’il fal­lait mettre cette phrase par simple pré­cau­tion. Depuis, tout le monde la reprend. Pour­tant, cas­sis et per­sil, ou chou, contiennent plus de vita­mine C que les oranges.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *