Vient de sortir en kiosque le numéro d’octobre/novembre 2021 de ce magazine, titrant : « Vérités et mensonges au nom de la science ». On m’y a demandé deux articles, dont sur les dérives possibles de la zététique.
Comme je souhaite que le Monde diplomatique puisse décemment vendre son numéro, j’attends pour la mise en ligne du papier dans sa forme finale. Mais par principe, je mets tout mon travail réalisé avec le denier public en public. Aussi, voici ci-dessous la version originale de mon texte, au plus proche de ce que je pense, avec mon agaçante plume trop fleurie, et avant les coups de rabot nécessaires pour rentrer dans les pages.
La zététique sur une fine couche de glace
Un jour brumeux, probablement dans le paléolithique supérieur, un humain a grogné son point de vue sur quelque chose. Rien d’exceptionnel en soi. Mais l’un de ses collègues, sceptique, lui a certainement dit, avec force borborygmes, que s’il voulait le convaincre, il fallait qu’il fournisse de bonnes raisons de penser ce qu’il pense. Ce fut le début de la zététique, de zētētikós en grec, « qui cherche, qui aime chercher », cet art à mi-chemin entre la prose de Monsieur Jourdain et le déguisement populaire chez les Dupondt : on le pratique parfois sans le savoir, mais on croit parfois le pratiquer à tort.
La zététique est une démarche de doute méthodique et hétéroclite. Méthodique, car elle puise ses linéaments dans les piliers de la science méthodologique, qui sont le doute a priori, l’objectivation maximale, la recherche rationnelle de la preuve et la mise en commun des résultats, tout cela ensaché dans un principe heuristique dit « d’économie d’hypothèses » ; hétéroclite parce qu’elle emprunte, souvent avec bonheur, quelques fois avec maladresse, des outils conceptuels dans toutes les disciplines de la connaissance.
Ainsi, de Hypathie d’Alexandrie à Qusṭā ibn Lūqā, d’Ambroise Paré à Charles Darwin, nombreux sont les cerveaux qui, en reposant sans complaisance le cadre méthodologique de nos connaissances, ont fait de la zététique sans le savoir. Ce faisant, s’est créée une longue tradition de scepticisme scientifique qui a progressivement renvoyé la mumia, poudre thérapeutique de momie à sa juste place (la poubelle), a appris à trier entre OVNIs et nuages lenticulaires, a contesté la nuit du dimanche 23 octobre 4004 avant J.-C calculée par l’archevêque Ussher comme date de création du monde et a permis de distinguer les cornes de licorne des incisives maxillaires gauches du narval – ce qui fait qu’à la fin, ne nous en déplaise, il ne reste que des incisives de narval.
En appliquant un agnosticisme méthodologique, sorte de contrat laïque avant l’heure, cette communauté éparse a assumé de regarder le monde de la manière la plus directe, sans fard, sans lunettes rosissantes ni storytelling. Cela leur a permis d’éventer flux vitaux et fluides mesmeriens, de dissiper éthers et phlogistiques, de dissoudre l’inéluctabilité de l’Histoire et le « dessein intelligent » de l’Évolution en replaçant l’humain en surface du buisson phylogénétique des espèces, plutôt qu’au sommet d’une transformation généalogique qui n’a jamais été linéaire. Il était évident qu’en posant les questions, sans gober les réponses préfabriquées, ces sceptiques s’opposaient aux forces conservatrices spiritualistes arque-boutées sur des concepts invérifiables, et agrégèrent des penseurs libertaires et progressistes et sur le plan moral sous un calicot dont le slogan aurait pu être « Ni dieu, ni maître, ni chakra ».
Bien sûr, les forces politiques agissant sur les communautés, il est arrivé que des marges du courant sceptique / rationaliste s’égarent un peu, au XIXème siècle dans des théorisations racialistes et orthogéniques, puis au milieu du siècle suivant dans la doxa stalinienne, ce qu’a très bien montré Sylvain Laurens (2019) (1). Mais le bilan en termes de dissipation de baudruches est positif. Ce front zététique aura contribué à la dénonciation de billevesées douloureuses, cures fantaisistes et mortifères contre le cancer, faux miracles de prédicateur hindou ou d’évangélique prétendant communiquer avec l’au-delà, cadres conceptuels freudiens type « complexe d’œdipe », ou « mères réfrigératrices » qui selon certains pseudopsychologues, seraient causes de l’autisme de leur enfant. Il a fallu la pression des féministes et des combattants de l’égalité en droit pour que la zététique rejoigne le courant de démantèlement lent, trop lent, des essentialismes de race et de sexe, bref, au démantèlement de nombre de systèmes imaginés pour, comme l’écrivait D’Holbach, concilier des contradictions à l’aide des mystères (2).
Dans la lignée de Noam Chomsky qui écrivait il y a 20 ans : « Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle » (2), des enseignants secondaires et universitaires s’emparèrent de la zététique, pour outiller l’esprit critique des élèves contre les manipulations de l’information. Double décorticage : celui des idées fausses, et par contraste, celui des facettes du cerveau qui les absorbe. Programme politique s’il en est, car en affûtant l’auto-défense intellectuelle, le pari de l’ascèse zététique est de développer une heuristique critique qui, une fois exercée sur un phénomène miraculeux revendiqué dans un bocage, migrerait sur les fakenews en général, fussent-elles brandies par des présidents. Par son exigence, elle vise l’élargissement de l’horizon des possibles d’un individu, évaporant destins et téléologies, crevant les plafonds de verre, désobéissant aux déterminismes sociaux, révélant la nullité de philosophes « d’État » et d’éditocrates confits, et révélant le travail domestique caché non salarié et non cotisé d’une part non négligeable de la population (en gros, la moitié – et pourtant considérée comme « minorité »).
En cela, la zététique est dans son fondement une menace pour les représentativités électives, pour le politicien alignant concepts oiseux et chiffres nébuleux, pour les « pompeux cornichons » qu’entartait savamment l’ami Noël Godin et pour toutes les institutions plus ou moins mandarinales confondant autorité et compétence. La zététique dans son programme sert à tirer sur la fausse barbe de Lorànt Deutsch et des frères Bogdanoff, à faire s’envoler les hauts de forme des puissants et montrer que comme dans le conte d’Andersen, certains empereurs sont nus.
Toutefois, avec 2015 de l’explosion YouTube et du nombre de vulgarisateurs qui s’emparèrent du sujet, le travail de terrain et d’éducation populaire propre à des structures comme le Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences (CORTECS) par exemple ou aux Petits débrouillards, originaires du Canada, a régressé, et le caractère subversif de la zététique s’est craquelé. Le problème de l’amateurisme dans le scepticisme n’est pas récent, mais il fut poussé loin quand des vidéastes furent pris, au nombre de pouces bleus qu’ils généraient, pour des experts scientifiques de la question. Plein de bonnes intentions, et non sans talent, le spectacle pédagogique prit le pas sur l’expertise de terrain, et des pédagogues accumulant des milliers d’heures de route, des philosophes du scepticisme ou des spécialistes des sciences de l’éducation se retrouvèrent maintes fois occultés, au mieux par de talentueux orchestrateurs de talk-show modernes, au pire par des opportunistes germanopratins, cela jusque dans des réunions ministérielles.
Les attentats de Paris firent craquer encore quelques coutures de cette zététique malmenée. Des décideurs se revendiquant de la démarche, pensant avoir un certificat d’autodéfense intellectuelle en ayant appris une liste de sophismes ou regardé trois vidéos, foncèrent tête baissée dans la doxa de la déradicalisation. Si la zététique lave plus blanc les toges des sectes, pensaient-ils, elle devrait laver plus blanc les barbes des salafistes. Mais la prémisse était mineure : en ciblant uniquement le mécanisme religieux, était opportunément évincés tous les aspects endogènes de la question terroriste, depuis le traitement des vagues d’immigration en France jusqu’aux politiques d’interventions militaires dites « humanitaires ». Le doute méthodique que le programme étatique aurait dû instiller se ramollit, probablement sous l’effet humidifiant des mannes de fond débloquées pour l’occasion. D’un coup tout le monde, même parmi ceux qui conspuaient la démarche sceptique quelques heures plus tôt, voulut s’emparer qui d’allocations de recherche sur la question, qui de programmes d’interventions en milieu carcéral, permettant tous les excès (le stage proposant des jeunes rentrés du Jihad du sabre à caresser des hamsters en étant certainement le plus navrant).
La période YouTube et post-attentat teinta la zététique, devenue enfin populaire, d’une certaine incohérence intellectuelle. Comme le Dieu de Pascal, la zététique était devenue une sphère infinie dont le centre était partout et la circonférence nulle part. Tout le monde pouvait y tailler sa blouse à sa convenance. Là où le programme critique de départ se voulait sans limites, même et surtout envers soi-même, chacun put se complaire dans des positions parfois pantouflardes : prompt à débunker l’homéopathie, les croyances New Age et les allégations paranormales, mais beaucoup moins à aller regarder les détails des branches sur lesquelles le zététicien moderne de la génération Y est assis : patriarcat, privilège raciaux, méconnaissance des sciences humaines et sociales, en particulier des minority studies. Se sont produits des paradoxes étonnants : des YouTubers faisant de la critique des médias, et écornaient efficacement Le Point ou La Croix, sans toucher au fonctionnement délinquant de leur plate-forme, ou des réseaux sociaux, pourtant autrement plus puissant que Le Point, sur lesquels ils relaient leurs contenus. Des célébrités du milieu encouragent à acheter leurs ouvrages chez Amazon, sans penser à mal, mais sans égard par exemple pour la politique d’écrasement des librairies ou du référencement des petites éditions.
Des œillères permettent à d’aucuns de déceler adroitement un biais d’échantillonnage dans une étude sur la réflexologie plantaire, et de passer à côté du même biais dans un papier sexiste. À d’autres dénoncer à juste titre les conflits d’intérêt de certains médecins, comme Jacques Benveniste, ou Andrew Wakefield, sans rendre visibles leurs éventuels liens d’intérêts, entre autres avec la plate-forme de diffusion hégémonique qui les rémunère s’ils dépassent un certain seuil d’abonnés. Mohammed Mansouri, directeur délégué de l’ARPP, autorité de régulation professionnelle de la publicité, regrette que 55 % seulement des influenceurs prennent soin de préciser clairement leurs partenariats et placements de produits, – et en appelle d’ailleurs à l’apprentissage d’un Code de la route en influence marketing (4).
Après Word et PowerPoint, l’intrusion fracassante d’outils propriétaires comme Skype, Zoom et autres Discord, irrespectueux des données privées suscita peu de réaction. On connaît le flygskam, désignant la honte ou le sentiment de culpabilité de se déplacer en avion : la philosophie du logiciel libre, elle, qui repose sur sensiblement les mêmes points que la zététique, n’a pas encore inspiré le GAFAMskam, et s’il est pratiquement impensable de se passer désormais de ces plate-formes, au moins cultiver un petit scrupule de produire de la vulgarisation semi-franchisée
Alors que la zététique était, à l’instar de l’éducation populaire, cultivée comme un bien commun, dans la lignée du laboratoire de zététique de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, dirigé par Henri Broch (ou de diverses associations, du Comité Para à l’Observatoire zététique), elle a amorcé une sorte de start-upisation, et s’est inféodée à des outils média peu regardantes dudit bien commun. Comble, elle est même devenue suspecte : en présentant leurs luttes de justiciers de la Lumière de la technoscience contre les ténèbres, les gros sabots, légion dans la « communauté zét » et écrasent un peu trop fort les petites fleurs maladroites des contestations populaires. Critiquer les OGM ou les pesticides vous classe facilement bouffeur de fleur. Discuter du spécisme vous ravale vite à naïf mystique. Il est souvent difficile d’expliquer aux nouveaux créateurs de contenus ou influenceurs des réseaux sociaux se présentant rationalistes que la virulence d’une critique se nuance à l’aune du rapport de domination. Un sophisme dans la critique du brevetage des semences, ou le refus du puçage des troupeaux par quelques éleveurs, est à traiter avec la même méthode, mais pas avec la même force, qu’un sophisme de la plaquette de communication du syndicat agricole technocapitaliste FNSEA, ultra-écrasant en France. En rejetant dans la catégorie hippie une majorité des contestations anti-technologiques ou anti-industrielles, la zététique « hype » ressemble trop à un lance-napalm technolâtre, raillant des questions pourtant centrales sur le plan de la vie publique, comme la propriété des semences ou la casse méthodique de la paysannerie d’auto-suffisance à échelle locale.
Du fait que leur modèle entrepreneurial n’est pas toujours transparent, ou que leurs liens d’intérêt ne sont pas toujours publics, et qu’ils se retrouvent trop souvent du côté du manche, tous les ingrédients sont là pour qu’on suspecte certaines voix actuelles du rationalisme (en particulier à l’AFIS, l’association française pour l’information scientifique) de promotion plus ou moins volontaire d’intérêts économiques dominants.
De là à souscrire à la thèse qui fait de tous les zététiciens des astroturfeurs, des champions de la désinformation populaire orchestrée, il n’y a qu’un entrechat, savamment franchi depuis quelques mois. Les zététiciens seraient devenus des oiseaux-lyres, récupérés par les officines de relations publiques. Selon les auteurs de « Les Gardiens de la raison », ils serviraient de courroies de transmission d’éléments de langage, comme des attaques en règle contre le « populisme précautionniste », éléments concoctés ailleurs, « sans percevoir qu’ils participent à un projet politique dont la nature et la portée leur échappent (5) ». Des propagandistes naïfs.
Objectivement, cette thèse n’est pas (encore ?) assez étayée pour convaincre, et les analyses comme celle d’Andreotti, dans les Carnets Zilsel (6), ou celle des auteurs de « Les gardiens de la raison », sont trop truffées d’imprécisions pour être absorbées telles quelles. Mais la question que ces auteurs apportent est primordiale, pour ne pas dire salutaire : alors que la zététique s’est battue pour l’autonomie du champ savant contre tous les pouvoirs religieux qui tentaient de l’infléchir, il est temps pour elle de s’arrêter sur les enjeux politiques qu’elle sert, réellement ou par-devers elle-même. Est-elle en passe de devenir un courant de propagande techno-progressiste, libertarien, pro-capitaliste ?
Le risque est réel, il s’est déjà produit ailleurs. Cela commence par de petites tentatives de « photos de famille », comme celle du think-tank #LePlusimportant, de Mathias Dufour, consultant chez McKinsey qui appose le logo de l’association Les Petits débrouillards contre le gré de celle-ci sur la plaquette de son colloque au Collège de France en 2019. Et cela va jusqu’à des tentatives autrement plus radicales. Léo Grasset, pourtant coutumier des commandites (sponsorings) sur certains épisodes de sa chaîne Dirtybiology, a dénoncé en mai 2021 une tentative d’achat de propagande : l’entreprise Fazze lui demandait, contre rétribution, d’expliquer à son million d’abonnés que bien que les médias mainstream n’en disent mot, la mortalité avec le vaccin Pfizer était trois fois supérieure à celle de l’AstraZeneca – stratégie marketing typique du laboratoire russe Gamaleya, qui produit le vaccin Spoutnik V. Idem pour Amine, médecin interne qui anime le compte « Et ça se dit médecin » qui s’est vu proposer 2000 euros pour faire la même promotion dans une story sur Instagram.
Si par malheur de telles récupérations adviennent en France sur des comptes estampillés zététique, le fil de confiance sera rompu, et le zététicien rejoindra l’abysse douteux des politiciens professionnels, l’Agence du médicament, les « experts » de plateau TV et les médecins ayant trop longtemps accepté les cadeaux des industriels.
On peut prédire un double moyen pour éviter l’échouage de ce mouvement. Souscrire à une sorte de code de déontologie, qui imposerait à toute personne se revendiquant Z de se former un minimum en sciences politiques, afin de penser contre soi-même et de comprendre où l’on se situe dans un immense parterre de pots de terre et de pots de fer. Et réaliser le vœu de Chomsky, en faisant de l’autodéfense intellectuelle dans une version exigeante puisant ses sources dans la recherche académique une vertu cardinale de l’enseignement public. Ainsi, les chercheurs creuseraient, les profs professeraient, les vulgarisateurs populariseraient, et les moutons seraient moins bien gardés. Mais si tout le monde improvise, se taille à sa mesure la froque sceptique qui lui sied en retirant la moindre pièce d’étoffe qui pourrait l’irriter, alors c’est la démarche elle-même qui se diluera, à l’image des notions de féminisme*, d’éducation populaire ou de laïcité, qui ont été tellement étirées qu’il arrive qu’on ne les reconnaisse plus.
- (1) Sylvain Laurens, Militer pour la science. Les mouvements rationalistes en France (1930- 2005), Paris, EHESS, coll. « Entemps & lieux », Paris, 2019.
- (2) Paul-Henri Thiry, baron d’Holbach, Le bon sens du curé Meslier suivi de son testament (1772), Chapitre C (100).
- (2) Noam Chomsky (entretien avec Robert Borofsky), « Intellectuals and the Responsibilities of Public Life », Public Anthropology, 27 mai 2001.
- (3) [c’est tout frais, là : https://www.arpp.org/actualite/arpp-et-influence4you-lancent-le-code-de-la-route-de-influence/.
- (4) « L’ARPP s’intéresse aux influenceurs virtuels », Stratégies, Paris, 15 janvier 2020.
- (5) Stephane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens, Les gardiens de la raison, La Découverte, Paris, 2020.
- (6) Bruno Andreotti et Camille Noûs, « Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme », Zilsel, n° 7, Éditions du Croquant, Vulaines-sur-Seine, juillet 2020.
Comme on me le demande, je précise : ce n’est pas le féminisme qui est en cause, c’est le ravalement de façade qu’il permet facilement à des personnages publics. Quand je vois que la variété des gens qui se font du fémini-washing de façade, (rien que François Hollande, qui prétendait intervenir au Mali pour des raisons quasi-féministes) bientôt on pourra nous faire croire que, je sais pas, Christine Boutin est féministe.
Bonjour Mr Monvoisin,
Sur cette partie :
« ..Du fait que leur modèle entrepreneurial n’est pas toujours transparent, que leurs liens d’intérêt pas toujours publics, et qu’ils se retrouvent trop souvent du côté du manche, tous les ingrédients sont là pour qu’on suspecte certaines voix actuelles du rationalisme (en particulier à l’AFIS, l’association française pour l’information scientifique) de promotion plus ou moins volontaire d’intérêts économiques dominants… ».
En tant que simple adhérent de l’AFIS depuis quelques années (et avant de renouveler une fois de plus ma cotisation), et après avoir assisté aux assemblées générales ou le budget était détaillé, j’aimerais savoir à quel niveau leur « modèle entrepreneurial n’est pas toujours transparent ». A ma connaissance il s’agit d’une association qui n’est financée que par ses adhérents et les ventes de la revue SPS, et donc sans gros actionnaire aux commandes, sans même dépendre de la pub, ce qui est assez rare aujourd’hui.
Même question pour la « promotion des intérêts économiques dominants ». J’ai bien conscience que l’AFIS ne les attaque pas (sans avoir l’impression que cela devrait être son rôle, mais je conçois que ce soit un avis assez personnel ), mais pour la « promotion » j’ai du mal à voir un truc évident.
« ..tous les ingrédients sont là pour qu’on suspecte .. »
Les suspectez vous vous-même ou alors celle partie est à prendre dans un cas plus général ?
En vous remerciant pour la réponse à venir.
Cordialement,
David Alloza.
Bonjour David, vous faites bien de m’écrire, car dans mon pré-print, cette formule ne me plaisait pas, justement du fait que l’AFIS est loi 1901 (j’en ai été membre en 2004 ou 5) et que ça laissait croire que l’AFIS avait un modèle entrepreunerial, ce qui n’est pas le cas – il y a bien eu la reprise de book-e-book et la gestion de la revue SPS, mais franchement ce n’est pas de ce côté que c’est problématique. J’avais d’ailleurs repris ce passage en : « Du fait que leur modèle entrepreneurial n’est pas toujours transparent, OU que leurs liens d’intérêt ne sont pas toujours publics, et qu’ils se retrouvent trop souvent du côté du manche, tous les ingrédients sont là pour qu’on suspecte certaines voix actuelles du rationalisme (en particulier à l’AFIS, l’association française pour l’information scientifique) de promotion plus ou moins volontaire d’intérêts économiques dominants. »
C’était un OU crucial.
La promotion d’intérêts économiques dominants ? Deux exemples me reviennent, le plus rave étant certains articles sur les OGM (je ne les ai pas sous la main je ne peux plus vous dire qui, mais je me rappelle comment les opposants étaient quasiment traités de hippies stupides), et pour montrer le moins grave un article sur la pertinence de la féminisation des textes, écrit par ma collègue Nelly Darbois, et qui battait en brèche les arguments d’un article précédent de (mon amie) Brigitte Axelrad, et qui n’a pas été publié.
Je ne suspecte pas autant que Foucart & al dans leur livre. Je trouve qu’il y a une technophilie forte, qui confine à la technolâtrie parfois. Et qu’il faut surveiller cela.
J’espère être plus clair ; Merci de m’avoir écrit
Bonjour Richard,
Merci d’avoir si rapidement répondu, d’avoir précisé votre pensé, et aussi avoir amené la petite correction dans l’article du blog.
Pour ce qui est de la technophilie de l’AFIS je vous l’accorde sans difficultés, j’en suis conscient et l’interprète comme étant (au moins en partie) motivée par l’opposition à certaines technophobies qui se développent. Au fond je m’en accommode très bien, d’autant plus qu’elle nourrissent à merveille les biais de confirmation de mon techno-optimisme avéré.
Je vous tenais aussi à vous remercier d’avoir pris de la distance (tout en le prenant comme un avertissement ) avec le bouquin de Foucart, en espérant, tout comme vous, qu’il ne reste qu’un recueil d’accusations peu fondées et que le futur des évènements ne finisse pas par lui donner raison.
Je vous laisse un élément, qui n’est pas directement lié à cet article mais qui peut alimenter des réflexions (et sur lequel je n’attend pas forcement de réponse) . Avec le recul, que garderiez-vous aujourd’hui de votre thèse de doctorat ?
Cordialement,
David Alloza.
Sur le 1er point : plutôt que d’opposer une technophilie comme rempart aux technophobies, je pense préférable de rechercher les causes de ces technophobies, et de regarder leur mécanisme. Je ne vois pas comment des gens opposés à la science pourraient être convaincus par des arguments scientifiques, encore moins quand les raisons de leur anti-science sont recevables (même si elles se trompent de cible). Ce sont souvent les mêmes critiques de la technoscience que moi. Sauf que moi je vais chercher dans la raison, ce qu’eux bien souvent vont chercher dans le mysticisme.
Sur le 2e : je ne comprends pas pourquoi on dit toujours « le livre de Foucart ». Il y avait S Horel et S Laurens dans le bateau, et si je n’ai pas d’avis sur Stéphane Foucart, j’ai vu de trèes bonnes choses de ces deux personnes
Sur le 3ème point : je pense que ma thèse marque un jalon parce qu’elle a été la première sur le sujet ou approchant. Mais je la trouve suffisante, médiocre, pleine de scories, et mon encadrement ayant été très, disons, dilettante, il n’est pas étonnant que le cadre scientifique soit si flottant. Je n’ai pas appris à l’époque à faire des recherches systématiques, etc. Disons que cette thèse doit être encore assez rafraîchissante, mais scientifiquement pauvre. La partie critique sur la didactique, je ne la renie pas car à l’époque c’est tout ce qu’on m’en montrait, mais elle est injuste.
« La zététique est-elle en passe de devenir un courant de propagande techno-progressiste, libertarien, pro-capitaliste ? » Poser la question, c’est y répondre ! On n’a pas vu beaucoup de Zététiciens s’en prendre – en temps et en heure – aux arguments irrationnels, controuvés et mensongers des promoteurs de l’industrie nucléaire, des OGM, des pesticides, et de bien d’autres saloperies issue de la technoscience capitaliste et industrielle. C’est même plutôt le contraire qu’on observe aisément…
J’ai regardé l’émission de Scepticisme Scientifique où tu parles de cet article avec JM Abrassart, Jérémy Royaux et Serge Bret-Morel pour comprendre un peu les clivages au sein du mouvement sceptique. Du coup j’ai aussi lu l’article. Très intéressant, ça me permet d’avoir quelques clés de compréhension, ou du moins d’approfondir ce que je savais déjà…
Perso j’apprécie beaucoup ton agaçante plume trop fleurie.
Je crois que tu es une des seules personnes que je lis où je dois régulièrement aller checker des mots que je ne connais pas, et j’en suis ravie 🙂
Après le bémol c’est que ça rend peut être pas la lecture très fluide et accessible pour tout le monde, mais pour les lecteurs du monde diplo je pense que c’est plutôt adapté.
Au fait dans l’émission vous parlez de mettre en commun une liste d’experts. Vous l’avez fait finalement ?
Moi ça m’aiderait beaucoup car il y a pas mal de sujets qui m’intéressent mais où je me sens trop larguée, ou bien que je n’ai pas le temps d’explorer suffisamment pour pouvoir me faire un avis.
Ce serait top si tu pouvais partager une liste des personnes de référence (j’entends pas là des personnes pas forcément hyper pointues mais ayant une très bonne vision d’ensemble d’un sujet).
Ce serait possible de faire ça sur ton blog ? Ou bien de faire un document partagé type Framacalc ou Framapad (ça te permettrait de demander à d’autres personnes de contribuer) ?
Si jamais tu trouves le temps de faire ça un de ces jours ce serait très utile je pense…
Merci pour tout !
Hello ! En tant que telle c’est infaisable, car 1) il y a des expert·es que je ne connais pas 2) trop de sujets sur lesquels je n’ai pas d’expert·es (mais je saurai, dans l’absolu, trouver le chemin qui mène à elles/eux) 3) je vais froisser des gens en indiquant tel·le expert·e plutôt que tel·le autre ! Bref c’est difficile, comme exercice.
Oui bien sûr, une liste est forcément subjective et elle ne peut évidemment pas être exhaustive.
Je voyais plutôt ça comme un outil collaboratif. Il y a plusieurs possibilités :
Ça peut être un système de type Wiki avec une liste commune constituée par plusieurs contributeurs et basée sur le consensus.
Ou bien assumer le côté subjectif et faire des listes de curation individuelles (avec idéalement une présentation du curateur avec son positionnement, ses liens d’intérêts et biais éventuels, ou toute autre info utile pour bien le situer).
L’exemple qui me vient en tête est le site de la Cinetek (https://www.lacinetek.com/fr) qui est entièrement basée sur ce système de curation.
Bref, ce sont juste des idées, je me doute que ce n’est pas si facile à mettre en place…