Comme je condamne le manque de trans­pa­rence fré­quent dans les strates poli­tiques supé­rieures, je dois m’ap­pli­quer à moi-même ce que je prône.

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J’é­tais invi­té place Beau­vau (effet paillasson/métonymie pour dési­gner le minis­tère de l’In­té­rieur) ces jours-ci pour par­ti­ci­per aux Assises natio­nales de la lutte contre les dérives sec­taires, orga­ni­sées par la MIVILUDES, la mis­sion inter­mi­nis­té­rielle de vigi­lance et de lutte contre les dérives sec­taires, qui fête ses 20 ans. Si vous n’a­vez pas sui­vi, la MIVILUDES a failli fer­mer ses portes, mais fort heu­reu­se­ment non, vu la hausse des signa­le­ments depuis la période COVID. Elle est désor­mais sous la pré­si­dence du secré­taire géné­ral du Comi­té inter­mi­nis­té­riel de pré­ven­tion de la délin­quance et de la radi­ca­li­sa­tion (SG-CIPDR), qui com­porte désor­mais un pôle « lutte contre les dérives sec­taires ». Cette tutelle génère chez moi quelques cir­cons­pec­tions, mais je pré­fère lar­ge­ment la MIVILUDES là que dis­soute, et j’ai de très bons contacts avec certain·es des membres de l’é­quipe.

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Vraie volon­té d’ac­tion ? Exer­cice pure­ment poli­tique ? Je n’en sais rien, mais j’ai trou­vé que ça se ten­tait, d’au­tant qu’un nou­veau « chef » a été nom­mé il y a à peine plus d’un mois, le haut-fonc­tion­naire Dona­tien Le Vaillant, nom­mé par la secré­taire d’État char­gée de la Citoyen­ne­té Sonia Backès le 1er février.

Invi­té trop tard, je n’ai trou­ver cor­rect ni d’an­nu­ler mes cours ni de faire gar­der mes mômes. Donc je me suis assis sur mon vieux rêve d’al­ler graf­fer des trucs liber­taires dans les toi­lettes qui ont vu pas­ser MMmes Chi­rac, Sar­ko­zy, Valls, Alliot-Marie, Hor­te­feux, Cas­ta­ner et tant d’autres, jus­qu’à Gérard Dar­ma­nin ; et j’ai man­da­té une col­lègue pré­sente sur place (que je remer­cie) pour lire et por­ter les axes que je défends pour la table ronde sur le numé­rique à laquelle j’é­tais convié.

Je vous donne ce texte court, si le sujet vous inté­resse. Ce sont des décla­ra­tions d’in­ten­tion, et à moyen terme nous devrions, je l’es­père, éla­bo­rer de vraies mesures, quan­ti­fiées, éva­luables.

(…) Pour poser un diag­nos­tic, il nous faut bien étu­dier un pro­blème sous toutes les cou­tures. Bien enten­du, il y a de grandes ver­tus à aller édu­quer au numé­rique, auprès du public, en par­ti­cu­lier des jeunes élèves et des étudiant·es. Mais c’est un peu comme lors­qu’on ana­lyse les phé­no­mènes sec­taires, ou dji­ha­distes : si on se concentre uni­que­ment sur les biais men­taux des gens qui y sous­crivent, alors on passe à côté d’autres déter­mi­nants, sou­vent sociaux, éco­no­miques et poli­tiques.

Ici, le pro­blème d’une simple édu­ca­tion au numé­rique est, je le crains, un vœu pieux. Car le numé­rique change tout le temps, et les grandes struc­tures type GAFAM se battent pour « astreindre » leur clien­tèle selon des algo­rithmes impé­né­trables et orien­tés dans le sens du biais de confir­ma­tion, atti­sant les niches cog­ni­tives. Je vois dif­fi­ci­le­ment com­ment un indi­vi­du iso­lé et non pro­fes­sion­nel du domaine pour­rait envi­sa­ger de devan­cer ce que ces entre­prises mettent en place. Cela revien­drait un peu à dire à un client de phar­ma­cie qu’on va l’é­du­quer aux risques de mani­pu­la­tion des grandes entre­prises du médi­ca­ment et en sous-enten­du, que s’il se fait pié­ger, c’é­tait de son res­sort per­son­nel.

Voi­là vingt ans que j’en­seigne ces sujets, et je vois qu’il n’y a que peu d’is­sues à une édu­ca­tion au numé­rique stricte, à part sur quelques points essen­tiels que je sou­haite par­ta­ger et qui paraî­tront sûre­ment évi­dents.

  • faire com­prendre au public qu’un sup­port n’est jamais neutre
  • ensei­gner la pen­sée cri­tique dans le tronc com­mun du secon­daire et à l’en­trée de l’u­ni­ver­si­té
  • faire com­prendre que les mas­to­dontes du numé­rique imposent des règles qui contre­viennent à l’a­na­lyse objec­tive d’une situa­tion
  • qu’ap­prendre aux enfants/jeunes à tra­vailler sur Micro­soft ou Apple, ou avec la suite Google ou Zoom, c’est aus­si incon­gru que de les habi­tuer à tra­vailler pour Sano­fi Syn­the­la­bo ou Bouygues. Sur­tout quand le maté­riel libre, logi­ciels libres, ser­vices de trai­te­ments texte/tableur etc. « libres » fonc­tionnent à mer­veille, sans dif­fi­cul­té de nos jours, et ne coûtent pas un sou au denier public.
  • que tout ne se vaut pas sur Inter­net. Sur ce der­nier point, vous m’ac­cor­de­rez que lors­qu’on a dit ça, on n’a rien dit. Or l’une des rai­sons prin­ci­pales de ce nivel­le­ment « pseu­do-éga­li­taire » de tous les points de vue se niche dans le fait qu’on a dilué le sta­tut de la preuve, soit en ne l’en­sei­gnant pas, soit en prô­nant, comme Donald Trump, une post-véri­té qui s’af­fran­chit de la vrai­sem­blance.

Pour retrou­ver une ordi­na­tion dans la vrai­sem­blance des thèses, il est illu­soire de vou­loir qu’un indi­vi­du puisse se docu­men­ter de manière com­plète sur chaque sujet. Donc il faut des cour­roies de confiance. Seule­ment, tant que des affaires impli­quant des indus­triels phar­ma­ceu­tiques par exemple, font les pre­mières pages, on ne peut s’é­ton­ner que plus per­sonne n’ait confiance dans les acteurs de la san­té – ou pas plus qu’en­vers Thier­ry Casas­no­vas ou Tal Schal­ler. Tant que des affaires met­tant à jour des inté­rêts cachés ou de l’évasion fis­cale chez nos élu·es jaillissent régu­liè­re­ment, dif­fi­cile de s’étonner que la confiance dans le poli­tique soit elle aus­si éro­dée.

Donc je vois trois axes de tra­vail, que je tente moi-même labo­rieu­se­ment de bêcher chaque jour.

1) une édu­ca­tion mini­male, si pos­sible ren­due obli­ga­toire, sur la dan­ge­ro­si­té des outils numé­riques /réseaux sociaux, encore accrue si l’on en mécon­naît les bases de fonc­tion­ne­ment ;

2) un ren­for­ce­ment péda­go­gique autour de l’u­sage des outils numé­riques libres (à la manière d’ac­teurs comme la Qua­dra­ture du Net par exemple) ;

3) à long terme, revoir les inter­ac­tions entre le bien public et les inté­rêts pri­vés notam­ment en matière de san­té. Avoir ren­du obli­ga­toire la décla­ra­tion de liens d’in­té­rêt est un pre­mier pas. Rendre publiques les dis­cus­sions sur les ser­vices médi­caux ren­dus un autre. À long terme, c’est toute l’ap­proche de la san­té qu’il fau­dra revi­si­ter. Car à chaque affaire nou­velle, à chaque coupe dras­tique des moyens publics médi­caux, ce sont des wagons de gens qui se détournent de l’evi­dence based mede­cine. Nom­breux sont les gens qui sont prêts à aban­don­ner des soins effi­caces, et à ne rece­voir au mieux que du pla­ce­bo, au pire de l’espoir thé­ra­peu­tique déçu, pour­vu de trou­ver écoute, récon­fort, care qui manque ailleurs.

Le risque d’une édu­ca­tion au numé­rique sans ces dimen­sions-là revien­drait, je le crains, à éco­per une énorme vanne d’eau à la petite cuillère.

Mer­ci.

Si vous n’êtes pas d’ac­cord, don­nez-moi vos argu­ments que je m’en nour­risse.

À titre d’exemple, j’ai uti­li­sé dans mes cours des extraits de ce docu­men­taire « The Social Dilem­ma », « der­rière nos écrans de fumée », de Jeff Orlows­ki (2020).

J'ai utilisé dans mes cours des extraits de ce documentaire "The Social DIlemma", "derrière nos écrans de fumées", de Jeff Orlowski (2020)

2 réponses

  1. David dit :

    On ne peut plus d’ac­cord avec les constats que tu poses.
    Je peux par­ta­ger quelques modestes expé­riences de média­tion scien­ti­fique, où, sur le sujet du numé­rique, on s’o­riente très vite sur de la chasse aux fake news en uti­li­sant Twit­ter, Google maps, Google image, You­tube, et où on apprend qu’il faut faire confiance à cer­tains sites plu­tôt qu’à d’autres.
    Jamais on n’y parle d’al­go­rithme, ni de neu­tra­li­té du net, ni de GAFAM…

    Mer­ci pour le docu, je vais essayer de le trou­ver

  2. Benoit dit :

    Je suis légè­re­ment hors-sujet mais j’ai pas résis­té à l’en­vie de par­ta­ger les der­nières vidéos sur les­quelles je suis tom­bé, fai­sant inter­ve­nir Anne Morel­li et Raphael Lio­gier sur les dis­tinc­tions entre sectes et reli­gions : https://www.youtube.com/watch?v=lpFUlLcJksA / https://www.youtube.com/watch?v=YcZwDeXAJbI
    Et il appa­rait selon elle que « c’est le pou­voir qui décide du label » ! Bref qu’il n’y a pas de cri­tères objec­tif pour faire le dis­tin­go entre reli­gion et secte .… ça m’a paru énorme. Qu’en pen­sez-vous ?

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