Il y a une quin­zaine, j’ai mis en ligne le témoi­gnage édi­fiant de Tho­mas. depuis, j’ai reçu de nom­breux cour­riers du milieu Black Metal, dont plu­sieurs témoi­gnages qui n’ont pas vel­léi­té d’être dif­fu­sés. Hor­mis un, qui vaut son pesant de caca­huète : un gar­çon  sou­hai­tant gar­der l’a­no­ny­mat, m’a envoyé son his­toire, qui est une véri­table plon­gée en eaux troubles. Je n’ai pra­ti­que­ment retou­ché que des coquilles, le texte est brut, magni­fique. Je n’ai pas pour volon­té de deve­nir un expert de ce milieu, et j’a­voue que je reste tou­jours capable de confondre du sludge metal et du metal­core (aïe, pata­pé, pata­pé !). Mais j’ai com­pris deux choses : que metal is a new jazz, et que la richesse du milieu est épa­tante ; et que de même que le maloya, le blues, ou le sir­ta­ki, le metal est une cour­roie poli­tique non négli­geable. C’est dans un grow­ling raté qui res­semble à un miaou de chat malade que je ferme cette intro­duc­tion. N’é­tant pas expert, je laisse la res­pon­sa­bi­li­té des pro­pos à mon témoi­gnant, et je ferai des adden­dums ou cor­rec­tifs au besoin. N’hé­si­tez pas à com­men­ter, cour­toi­se­ment, ci-des­sous.

 

Ayant lu récem­ment sur le blog de Richard Mon­voi­sin le témoi­gnage de Tho­mas, un ancien adepte de NSBM (Natio­nal-Socia­list Black metal, le Black metal nazi) tom­bé durant l’adolescence dans l’extrême-droite puis dans la pen­sée néo-nazie, je me suis moti­vé moi aus­si pour par­ta­ger mon vécu, car en par­cou­rant ledit témoi­gnage, j’ai retrou­vé énor­mé­ment d’éléments en com­mun avec mon propre par­cours, de la droite libé­rale-conser­va­trice au confu­sion­nisme rouge-brun, et de ce confu­sion­nisme à la féti­chi­sa­tion d’artistes comme le trop fameux Famine de KPN (Kom­man­do Peste Noire, connu aus­si sous le simple Peste noire).

J’ai sim­ple­ment pen­sé qu’il serait inté­res­sant de faire pro­fi­ter les gens du vécu d’une per­sonne comme moi, qui ne se consi­dère pas comme étant « tom­bée » dans l’extrême-droite, mais qui consi­dère plu­tôt en être sor­tie après y avoir été éle­vée.

Allons‑y déjà pour un brin de contexte. Ça va être long.

1. La famille 

Je suis né dans un milieu de classe moyenne, voire de petite bour­geoi­sie aisée, mar­qué poli­ti­que­ment sur deux pôles.

La famille de mon père est de bour­geoi­sie tra­di­tio­na­liste, mar­quée par la droite libé­rale, gaul­liste, répu­bli­caine, quelques élé­ments de catho­li­cisme dif­fus. Si je devais défi­nir mon père et son camp poli­tique, je pense pou­voir le qua­li­fier de bona­par­tiste, pas dans le sens où il veut un Bona­parte au pou­voir, mais dans la ges­tion de l’État et la vision de com­ment doit s’exercer le pou­voir.

La famille de ma mère est ouvrière, mon grand père étant un ouvrier ayant réus­si dans les 30 glo­rieuses à mon­ter sa petite entre­prise de maçon, ayant com­men­cé à tra­vailler sur les chan­tiers à 14 ans. Ancien com­mu­niste, mon grand père mater­nel était aus­si for­te­ment réac­tion­naire (atta­che­ment à la petite pro­prié­té, hos­ti­li­té aux étran­gers, et très atta­ché aux valeurs du tra­vail et du mérite) et conti­nuait à voter socia­liste par habi­tude, et par sou­ve­nir sal­va­teur de son enfance sous Vichy, tout en recon­nais­sant que Le Pen par exemple avait rai­son sur pas mal de choses. Ma mère a lar­ge­ment repris ses convic­tions.

J’ai donc eu une famille scin­dée en deux pôles sur les par­cours indi­vi­duels mais fina­le­ment très conforme à une vision droi­ti­sée et petite bour­geoise de la socié­té. Une vision du monde ordi­naire et typique d’une famille de classe moyenne aisée de pro­vince, entre dis­cours de droite libé­rale clas­sique et dis­cours assez « rouge-brun », rouge-brun dési­gnant une mou­vance poli­tique mêlant des valeurs hybrides entre l’ex­trême-droite natio­na­liste (le brun) et l’ex­trême-gauche com­mu­niste (le rouge). Ces dis­cours viennent notam­ment de mon grand-père et de son pas­sé com­mu­niste, puis de petit patron, et fina­le­ment de per­sonne âgée assez aigrie sur « l’é­poque actuelle » et ses « dérives ».

J’ai éga­le­ment été pétri de valeurs répu­bli­caines et patriotes. J’ai gran­di avec l’i­dée dite et répé­tée que « La France est le phare du monde », que j’étais le pro­lon­ge­ment d’une his­toire, d’un peuple et d’une nation glo­rieux, qui avaient ins­pi­ré et fait plier le monde entier ; qu’on se devait en tant que fran­çais d’être digne de ce modèle et que l’abandon de cette convic­tion était le signe de la déca­dence du pays.

J’ai éga­le­ment gran­di avec énor­mé­ment de racisme et anti­sé­mi­tisme autour de moi sous cou­vert d’hu­mour. Mon enfance et ado­les­cence ont été mar­quées par l’omniprésence de blagues sur l’a­va­rice des Juifs, sur la four­be­rie des « Arabes », etc. Tout ça avec les jus­ti­fi­ca­tions habi­tuelles : « c’est de l’hu­mour, et puis on a un arrière grand père juif dans la famille ». J’ai très tôt appris à accep­ter cet humour et les façons de pen­ser qui vont avec comme normes, et effec­ti­ve­ment autour de moi, cet « humour » était, de fait, la norme. Je vivais et je vis tou­jours à la cam­pagne, dans un vil­lage assez iso­lé, dans un dépar­te­ment connu pour voter beau­coup à droite et extrême-droite. Mon contexte d’é­du­ca­tion était donc très orien­té. Par sou­ci d’honnêteté, je dois aus­si dire que j’ai gran­di avec l’i­dée que le patrio­tisme et le natio­na­lisme sont deux valeurs dif­fé­rentes, et donc que l’extrême-droite et son natio­na­lisme étaient à reje­ter. Mon père croyait ferme à cette dif­fé­rence comme beau­coup de gens de droite clas­sique. L’ex­pé­rience m’a appris que cette dis­tinc­tion était peu fon­dée en pra­tique.

2. Éducation et « premiers contacts »

Plus tard, en fin col­lège et tout le lycée, j’ai été en inter­nat catho­lique pri­vé, dans un lycée agri­cole, en pleine cam­pagne. Pas par­ti­cu­liè­re­ment fri­qué (les fils/filles du monde pay­san qui consti­tuent la base du pro­fil des élèves ne roulent pas sur l’or non plus) mais à l’atmosphère impré­gnée de cette men­ta­li­té petite bour­geoise que j’ai décrite un peu plus haut en par­lant de ma famille : atta­che­ment au tra­vail, à la petite pro­prié­té, à la patrie et la tra­di­tion. C’est là que j’ai été réel­le­ment mis au contact de l’extrême-droite la plus radi­cale, sous la forme de dis­cours d’adolescent·es comme moi. Bien sûr leurs dis­cours n’é­taient pas struc­tu­rés ou même vus comme idéo­lo­giques ou poli­tiques, dans un pre­mier temps. Mais habi­tué au racisme ordi­naire pra­ti­qué dans ma famille, qui se tar­guait tout de même de « ne pas être raciste, contrai­re­ment aux pay­sans du coin », j’ai été mis en contact avec un racisme clair, agres­sif, assu­mé et affi­ché, qui se mani­feste quand suf­fi­sam­ment de racistes ordi­naires se retrouvent suf­fi­sam­ment en force pour se mani­fes­ter au grand jour sans consé­quences.

J’ai donc été au contact de mani­fes­ta­tions très exa­cer­bées de xéno­pho­bie durant ces années : des réfé­rences conti­nuelles aux « arabes » comme étant les Gris/ Bougnoules/ Boukaks/ Bachés etc, et qu’il fal­lait les « démon­ter à coups de masse ». Quand on se bala­dait en ville et qu’on croi­sait une femme avec un voile on était sûr d’entendre un concert de « tiens regarde ça encore une bâchée. Ça, c’est tout juste bon à ensi­ler, à pas­ser dans le bol et à don­ner aux vaches ». Quelques réfé­rences aux « you­pins », affu­blés du qua­li­fi­ca­tif de « sang­sues », des attaques conti­nuelles sur les Gens du voyage dont il fau­drait « cra­mer les cara­vanes »… etc. vous avez com­pris le ton.

Des sur­noms humi­liants étaient assi­gnés à cel­leux qui res­sem­blaient de près ou de loin ou adop­taient des codes cultu­rels per­çus comme « étran­gers (la « racaille blanche ») ou qui pou­vaient de loin être assi­mi­lés à des étran­gers. Je me sou­viens d’un mec de mon inter­nat, qui petit, brun et très bron­zé, a gagné le sur­nom de « petit gris » (gris étant un sur­nom péjo­ra­tif pour dire arabe ou magh­ré­bin) qu’il a gar­dé trois ans. Il n’é­tait bien sûr abso­lu­ment pas magh­ré­bin et pou­vait se mon­trer aus­si raciste, voire plus, que les autres.

Dans les dor­toirs de l’internat, l’écoute d’artistes vio­lem­ment natio­na­listes voire néo-nazis était cou­rante, volume à fond, sans que ça fasse réagir les pions, de même dans quelques chambres que les affiches de pro­mo­tion pour le Front Natio­nal qui n’occasionnaient pas plus de réac­tion. J’ai quo­ti­dien­ne­ment enten­du et vu chan­ter du punk-rock skin­head (Légion 88 et son iné­nar­rable refrain qui me reste encore en tête puisqu’il était gueu­lé dans les piaules : « Sale arabe, on va te gazer. Vive la France ! Mort aux immi­grés… ») ou du Black metal natio­na­liste (KPN, Baise ma hache, Autar­cie,etc.). On aura com­pris j’étais donc un ado­les­cent ayant bai­gné dans une men­ta­li­té par­fai­te­ment facho-com­pa­tible, qui a opé­ré par étapes du racisme petit bour­geois et sage de ma famille à l’u­ni­vers ado­les­cent et pro­vo­ca­teur de fils de paysan·nes ouver­te­ment natio­na­listes et racistes, bai­gnant dans de la culture skin néo-nazie. Je l’ai vu, j’y ai aus­si par­ti­ci­pé.

Légion 88
Légion 88.

Je suis aus­si le pro­duit d’une époque faite d’in­sé­cu­ri­té sociale et éco­no­mique, et donc natu­rel­le­ment inquiet vis-à-vis de ces pro­blèmes. J’ai été au contact de fils/filles d’agriculteurs·ices ayant de gros pro­blème d’argent, et j’ai connu des voisin·es et connais­sances vic­times du sui­cide après un dépôt de bilan. J’ai vu l’alcoolisme d’agriculteurs retrai­tés buvant la liqui­da­tion de leur ferme au bar du coin faute de reprise, dans un monde rural déser­té, qui ne sert lar­ge­ment plus que de dor­toir aux gens tra­vaillant en ville, ou ont été concen­trés ser­vices et emplois. Un aspect du monde rural par ailleurs très mis en valeur par le groupe Peste Noire entres autres, et qui ne pou­vait que me par­ler.

Famine, chanteur du groupe KPN

Famine, chan­teur du groupe KPN

J’ai aus­si vu la crise de 2008 comme tout un cha­cun et res­sen­ti la pro­fonde insé­cu­ri­té

et le pes­si­misme sur l’a­ve­nir qui se des­si­naient pour la jeu­nesse dont je fai­sais par­tie, une jeu­nesse rurale aux pers­pec­tives d’avenir déjà incer­tains comme dit plus haut. Ces fac­teurs ont fait que, de par mon contexte d’é­du­ca­tion et les insé­cu­ri­tés que je res­sen­tais, j’ai vite essayé de faire une syn­thèse des dis­cours poli­tiques que j’en­ten­dais autour de moi. Ça don­nait à peu près ça : d’un coté je reje­tais le dis­cours poli­tique de droite clas­sique de mon père et de mes proches immé­diats autant par quête d’identité juvé­nile que pour des rai­sons plus logiques. Mon père était issu d’une famille aisée et n’a­vait pas connu le tra­vail manuel ou les grosses dif­fi­cul­tés maté­rielles. Son dis­cours était celui d’un homme bien ins­tal­lé des Trente glo­rieuses et il me sem­blait assez peu à la page sur les dif­fi­cul­tés de notre temps. Je pré­fé­rais le dis­cours poli­ti­que­ment plus radi­cal et socia­le­ment enga­gé de mon grand-père qui lui avait connu les chan­tiers et avait mon­té son entre­prise à par­tir de rien (mais c’é­tait tou­jours les mêmes valeurs petites bour­geoises : mérite, tra­vail, petite pro­prié­té). De l’autre je reje­tais le dis­cours ambiant que j’en­ten­dais au lycée, fait de natio­na­lisme et de patrio­tisme viru­lent. J’a­vais été trop impré­gné de droite libé­rale aux valeurs « uni­ver­sa­listes » pour céder faci­le­ment à un dis­cours aus­si sim­pliste, même si je pou­vais bais­ser la tête et accom­pa­gner le groupe. Plus tri­via­le­ment, sco­lai­re­ment, j’ai tou­jours été mis à l’é­cart et j’ai même connu du har­cè­le­ment violent, ce qui m’a mené à ne pas avoir de volon­té de repro­duire un dis­cours raciste par volon­té d’in­té­gra­tion à un cercle, même si j’é­tais sous influence.

En gros je n’ai­mais pas le dis­cours extrême du lycée mais je recon­nais­sais que celui de ma famille, plus « sage » et moins affi­ché, était d’une part hypo­crite (leur racisme était moins affi­ché que cer­tains avant tout par sou­ci d’image et de démar­ca­tion sociale, même un ado un peu con-con comme moi pou­vait le voir), mais c’était éga­le­ment le dis­cours de per­sonnes moins pau­pé­ri­sées que les agriculteurs·ices, qui avaient le « luxe » de ne pas être plus radi­cales car elles ne res­sen­taient pas l’urgence.

Il y a aus­si la ques­tion des liens sociaux. Dans un uni­vers com­po­sé de pas mal de per­sonnes de droite natio­na­listes, tes rela­tions et affec­tions se font avec des gens de cet uni­vers et il devient dif­fi­cile de les cri­ti­quer, sur­tout quand tu com­pares ton his­toire per­so à la leur. Un de mes amis de l’é­poque était par exemple un raciste viru­lent. C’é­tait un fils d’a­gri­cul­teurs, petits pro­prié­taires, plu­tôt pré­caires en termes de situa­tion finan­cière. Il a com­men­cé à bos­ser à 16 ans en appren­tis­sage, il a été père à 20 et dans sa famille on en a chié, et pas qu’un peu : il a per­du un frère à l’âge de 13 ans lors d’un acci­dent du tra­vail et s’il a dû par­tir bos­ser, c’est parce que sa famille avait peu de reve­nu et devait s’oc­cu­per d’un autre frère lour­de­ment han­di­ca­pé et inca­pable de tra­vailler. Qui étais-je, moi qui avais plus de chance que lui a bien des égards, pour lui repro­cher de voter FN et de jouer les piliers de bars contre tous les « étran­gers » qu’il croi­sait en soi­rée ? En soi sur le ter­rain pur des idées ça ne change rien mais cette notion sen­ti­men­tale rentre en ligne de compte, d’au­tant plus quand tu es jeune et peu for­mé au rai­son­ne­ment poli­tique pur.

3. Premiers engagements

Me voi­la donc à 17 ans avec tout ce contexte der­rière moi, à essayer de trou­ver ma voie entre un dis­cours de droite libé­rale que je juge inadap­té, dépas­sé, et pas à la hau­teur des enjeux du temps, et un dis­cours très vio­lem­ment natio­na­liste et raciste que je jugeais sim­ple­ment bête et méchant bien que je concé­dais qu’il pre­nait sa source dans des pro­blé­ma­tiques et souf­frances réels que je consta­tais autour de moi. Le tout sur un fort sen­ti­ment de déca­dence sociale et de catas­trophe immi­nente à venir qui mena­çait mon pays, mon peuple, tout ce qu’on m’avait appris à aimer et défendre jusqu’à la garde, au nom de mon sang, de l’histoire et de la tra­di­tion.

J’é­tais mûr pour trou­ver un mili­tant poli­tique qui sau­rait répondre à mon sen­ti­ment d’ur­gence et de radi­ca­li­té avec un dis­cours social et révo­lu­tion­naire, tout en y alliant les valeurs de droite libé­rale-conser­va­trice que j’a­vais inté­rio­ri­sées. La devise d’Éga­li­té et Récon­ci­lia­tion de Soral : « Gauche du tra­vail, Droite des valeurs » était taillée pour moi, de même que l’univers natio­na­liste dégé­né­ré de KPN qui m’a beau­coup mar­qué par la suite et sur lequel je revien­drai car l’univers musi­cal de Famine a été fon­da­men­tal pour moi (jusqu’à la fin du lycée on peut dire que la culture natio­na­liste fai­sait par­tie d’un sub­strat cultu­rel avec lequel j’avais des contacts mais pas une rela­tion émo­tion­nelle forte. C’est un peu plus tard que j’ai réel­le­ment mobi­li­sé ce « sub­strat » et qu’il a com­men­cé à faire réel­le­ment par­tie de mon iden­ti­té).

Le glis­se­ment s’est fait par étapes : un cou­sin a com­men­cé par me faire décou­vrir Dieu­don­né vers 16–17 ans. J’ai été très vite conquis par cet humour noir qui cor­res­pon­dait à la fois à mon sen­ti­ment de malaise sur mon époque, mes dépres­sions et aus­si à mon accep­ta­tion des dis­cours racistes ambiants sous cou­vert d’hu­mour. Les quelques pro­pos sociaux de Dieu­don­né sur la socié­té fran­çaise, le tiers-mon­disme… avaient cette appa­rence de radi­ca­li­té et de volon­té de chan­ge­ment que je recher­chais. Plus que tout, j’appréciais une des maximes de l’humoriste et qui je crois à une pro­fonde impor­tance : « Faut rigo­ler, c’est tout ce qui nous reste ».

De Dieu­don­né, je suis vite pas­sé aux per­son­na­li­tés qui lui étaient liées. D’a­bord Soral bien sûr, mais aus­si Marion Sigaud (l’« his­to­rienne »), l’ex-député belge Laurent Louis mais j’ai aus­si été ame­né par le sou­tien de Dieu­don­né et Soral à regar­der quelques confé­rences de Robert Fau­ris­son, et si je n’ai jamais tota­le­ment cédé sur ses pseu­do-théo­ries néga­tion­nistes, j’ai été pris de doutes. D’ailleurs, et puis­qu’on aborde le com­plo­tisme, j’ai très vite via Dieu­don­né adhé­ré aux théo­ries du com­plot clas­siques. Je croyais fer­me­ment que le 11 sep­tembre était un faux atten­tat orches­tré par les USA et Israël et que l’Hu­main n’a­vait pas été sur la Lune. J’ai aus­si via Soral été sen­si­bi­li­sé aux pseu­do-théo­ries du com­plot juif : la créa­tion de l’é­tat d’Israël et ses « racines pro­fondes », la révo­lu­tion fran­çaise et ses mani­pu­la­tions par les Francs-maçons (les Juifs). Il m’est arri­vé de dire et pen­ser comme l’af­fir­mait Soral que « Quand un peuple se fait virer par­tout où il arrive au bout de quelques décen­nies, c’est que c’est ce peuple le pro­blème il faut arrê­ter la vic­ti­mi­sa­tion ». Bien sûr, via ces mêmes cercles je pou­vais repro­duire les argu­ments anti-fémi­nistes, du genre à reprendre cer­taines phrases de Soral « Il faut des sous-hommes pour qu’il y ait des sur-femmes ». J’al­lais tou­jours plus loin dans les couches de l’oi­gnon.

On consta­te­ra l’i­ro­nie crasse de la situa­tion : je vou­lais trou­ver ma voie entre mes deux contextes d’é­du­ca­tion évo­qués plus tôt. Ma famille de droite libé­rale et un brin rouge-brun et les dis­cours natio­na­listes assu­més enten­dus à mon lycée et dans mon cercle ami­cal. Et j’ai cher­ché un dis­cours qui sans tom­ber (d’ap­pa­rence) dans la rhé­to­rique raciste crasse et sim­pliste, répon­drait à mon sen­ti­ment d’ur­gence et l’en­ga­ge­ment néces­saire vis-à-vis de l’é­poque actuelle : et le dis­cours que j’ai trou­vé, entre rejet et syn­thèse de ces valeurs, n’a fait que m’y faire retom­ber à pieds joints par des moyens détour­nés. Le tout était même plus dan­ge­reux puisque en reje­tant le racisme crasse, j’é­tais sans m’en rendre compte en train de RATIONALISER le racisme et de le ren­for­cer. Ce pseu­do intel­lec­tua­lisme me don­nait un sen­ti­ment de maî­trise et de modé­ra­tion qui me don­nait la sen­sa­tion d’a­voir mieux com­pris les choses que mon cama­rade de lycée qui hur­lait « gnnn les bou­gnoules » tout en me dis­tin­guant de la droite « molle » de ma famille.

Je n’ar­rive pas encore à savoir si la mani­pu­la­tion était gros­sière ou génia­le­ment orches­trée. À l’é­poque on m’au­rait dit que j’é­tais d’ex­trême-droite, anti­sé­mite, miso­gyne et raciste, j’au­rais tout bon­ne­ment nié en bloc.

4. La crise, la radicalisation

Il faut aus­si savoir que durant mes années de col­lège-lycée puis au-delà, j’ai pour diverses rai­sons tra­ver­sé divers épi­sodes de dépres­sion ner­veuse qui m’ont for­cé à inter­rompre mes études et à exer­cer durant un assez long moment divers métiers peu valo­ri­sants et dif­fi­ciles. J’ai été ouvrier agri­cole, dor­mant dans une tente par temps de gel à la fin mars, j’ai été embau­ché dans une usine de tri de déchets, j’ai bos­sé dans une usine de fabri­ca­tion de palettes, ouvrier d’atelier de pein­ture dans une usine de fabri­ca­tion de porte et fenêtres, ouvrier en chan­tier de démo­li­tion ou encore employé à la mise de viande sous vide à l’abattoir. À terme le recul de ces expé­riences m’a per­mis de déve­lop­per une réflexion de classe, mais sur le moment je ne l’entendais pas de cette oreille : J’étais pas­sé de ma jeu­nesse pri­vi­lé­giée dans un vil­lage iso­lé où je ne man­quais ni d’air, ni d’espace, ni de calme et de nature à la réa­li­té d’un quo­ti­dien en grande ville, un uni­vers arti­fi­ciel, béton­né et bruyant qui ne m’inspirait qu’angoisse et dégoût, le tout sur fond de pré­ca­ri­té éco­no­mique. Pour le fils issu de la classe moyenne que j’étais, vivre dans cette situa­tion, avec la convic­tion d’être coin­cé, indigne, sans ave­nir et condam­né à la dis­pa­ri­tion a géné­ré un vif sen­ti­ment d’abandon et de déca­dence sociale et morale que j’avais éga­le­ment honte de res­sen­tir car je le voyais comme la marque de mon édu­ca­tion bour­geoise qui m’avait ren­du fra­gile (« fémi­ni­sé » aurais-je dit à une période) et inca­pable de sur­vivre dans le « monde réel ». D’où de pro­fondes angoisses qui ne trou­vaient un apai­se­ment que dans la consom­ma­tion de musiques et expé­dients extrêmes. J’ai cité KPN, Autar­cie, Baise ma hache… mais on peut aus­si citer Black Magick SS (le groupe joue esthé­ti­que­ment sur l’imagerie nazie mais j’ai des doutes sur l’idéologie je le mets fina­le­ment car il gra­vite dans cet uni­vers),

Affiche de Black magick SS

Affiche de Black Magick SS.

Süh­nop­fer, Malé­fice, Ver­mine, Régi­ment, Constan­ti­nople, Drudkh, Akit­sa, etc. J’ai aus­si été mar­qué à cette période par l’univers déca­den­tiste fin de siècle des romans de Joris-Karl Huy­mans, les poèmes d’Antonin Artaud, de Georges Trakl, Émile Verhae­ren, Charles Leconte de Lisle, Roger Gil­bert Lecomte, j’étais mar­qué par l’univers éso­té­rique de René Rémond, et même de Julius Evo­la et Savi­tri Devi, ou par le livre « Le déclin de l’Occident » d’Oswald Spen­gler, les romans d’Ernst Jün­ger, de Yukio Mishi­ma (grand roman­cier et essayiste natio­na­liste japo­nais d’après-guerre), de Pierre Drieu la Rochelle et le pes­si­misme radi­cal tein­té d’humour de Louis-Fer­di­nand Céline… je lisais « Le matin des magi­ciens », de Louis Pau­wels et Jacques Ber­gier, je me réga­lais de lec­tures love­craf­tiennes, j’ai même par­cou­ru le trop connu « Le camp des saints » de Jean Ras­pail et cer­tains textes de Domi­nique Ven­ner.

couverture de « samourai d’Occident », de DominiqueVenner

Cou­ver­ture de « Samou­rai d’Occident », de Domi­ni­que­Ven­ner.

Non pas que tous les artistes et écri­vains que je lisais avaient tous des affi­ni­tés avec l’extrême-droite, mais j’errais constam­ment dans les fron­tières de cet uni­vers men­tal, n’hésitant pas à sau­ter à pieds joints dedans à l’occasion.

Cette façon de voya­ger en eaux troubles, je l’ai aus­si repro­duite en m’in­té­res­sant à des thèmes a prio­ri plus consen­suels comme l’é­co­lo­gie. Dans un contexte de crise envi­ron­ne­men­tale sur fond de sen­ti­ment d’ef­fon­dre­ment avec la convic­tion d’une catas­trophe immi­nente à venir, j’en suis venu à m’in­té­res­ser à tout ce qui touche à l’an­thro­po­cène. Mais en paral­lèle de la col­lec­tion Anthro­po­cène des édi­tions Seuil, des livres des édi­tions Monde sau­vage et de lec­tures de romans « Nature wri­ting » assez inno­cents je suis vite pas­sé à l’é­co­lo­gie pro­fonde, la « théo­rie » de l’ef­fon­dre­ment, le sur­vi­va­lisme, sur fond de néo-paga­nisme aux relents new age dou­teux. Savi­tri Devi, que j’ai déjà citée, entre dans ces caté­go­ries de lec­tures, mais aus­si le mani­feste du ter­ro­riste anar­cho-pri­mi­ti­viste et réac­tion­naire Theo­dor Kac­zyn­cki (La socié­té indus­trielle et son ave­nir), des manuels de sur­vie divers, dont le livre du très connu de Pie­ro San Gior­go, qu’on trouve par­tout, et diverses chaines You­Tube par­lant d’au­tar­cie, les­quelles ont explo­sé en popu­la­ri­té ces der­niers temps pour des rai­sons très iden­ti­fiables ; mais aus­si des ouvrages d’his­toire des reli­gions comme ceux de l’his­to­rien au pas­sé trouble Mir­cea Eliade. Sans comp­ter les albums de metal et black metal, où la nature fan­tas­mée en reli­gion cos­mique et le cha­ma­nisme font par­tie inté­grante de l’i­den­ti­té du genre.
Quelques exemples :

Cette vision de la nature n’est certes pas apo­li­tique loin s’en faut mais elle tra­verse le monde du (black) metal dans son entiè­re­té des groupes les plus consen­suels aux plus inquié­tants, des sur-popu­laires Elu­vei­tie aux néo-nazis de Gra­ve­land.

Il serait fas­ti­dieux de démon­ter le dis­cours éco­lo­gique d’ex­trême-droite et d’autres ont rele­vé mieux que moi ses contra­dic­tions, mais dans l’en­semble je reste fas­ci­né par ce croi­se­ment entre nature et reli­gion, où l’é­co­lo­gie se fait théo­lo­gie, où la nature devient une enti­té à part entière, vivante foi­son­nante et hos­tile. Une forêt de film d’é­pou­vante où l’Hu­main n’est plus rien mais où il va néan­moins se perdre avec délice car cette forêt a le mer­veilleux qui manque à notre monde moderne, morose et désen­chan­té.

Cette vision cos­mique, orga­nique, du monde, où se mêlent grands anciens, rites dou­teux, assem­blées occultes, mythes fan­tas­més, éso­té­risme, voire « théo­rie » du com­plot et exo­po­li­tique, pétrie d’une nar­ra­tion à la Howard Phi­lip Love­craft (qui par ailleurs était admi­ra­tif du nazisme, c’est qui tou­jours bon à savoir), et qui se retrouve dans le livre Le matin des magi­ciens, garde comme toute nar­ra­tion com­plo­tiste quelque chose d’in­di­ci­ble­ment fas­ci­nant car elle semble nous trai­ter en élu (« l’é­lite » qui a com­pris, qui a été cher­cher l’ex­pli­ca­tion du grand mys­tère) tout en gar­dant ce voile pudique de mys­tère qui per­met à la nar­ra­tion de gar­der son poten­tiel mys­tique et par ce biais la fas­ci­na­tion que cette nar­ra­tion exerce, et cela même quand on est au cou­rant du pro­cé­dé. Regar­dez les romans de Love­craft : on sait que ce n’est que mythe, mais on vou­drait y croire. Je me plon­geais beau­coup dans cet uni­vers cultu­rel, qui répon­dait à mes angoisses tout en me per­met­tant un genre d’é­va­sion dans les limbes de l’i­ma­gi­naire. L’ex­trême-droite, qui s’i­ma­gine un monde d’en­ne­mis sou­dés par un com­plot intan­gible contre « la civi­li­sa­tion » (l’is­la­mo gau­chisme, le judéo-bol­che­visme maçon­nique, etc.) a bien com­pris cela et c’est pour­quoi elle se fait le véhi­cule de beau­coup de « théo­ries » du com­plot… quand elle ne les lance pas elle-même.

Voi­ci donc où j’en étais ren­du après quelques années. J’étais pas­sé de jeune lycéen à étu­diant, puis tra­vailleur pré­caire. On était vers 2014–2015 et un peu au-delà. J’a­vais connu Dieu­don­né et com­men­cé ma « vraie » des­cente en 2011. C’é­tait à cette époque l’âge d’or de Dieu­don­né et du mou­ve­ment de contes­ta­tion qu’il avait lan­cé suite à ses inter­dic­tions de spec­tacle par Manuel Valls. À cette époque j’é­tais donc ce jeune qui écou­tait sans par­ti­ci­per (je le pré­cise ici : je n’ai jamais été actif sur les comptes d’Éga­li­té & Récon­ci­lia­tion (ER) ou les pages de Dieu­don­né ou ailleurs, et je n’ai jamais lan­cé de har­cè­le­ment ou autre. Mon rôle s’est bor­né à écou­ter, inté­rio­ri­ser, et par­fois à repro­duire un argu­men­taire mais rien de plus. Si je vous dis ça, c’est parce qu’il faut com­prendre que le har­ce­leur qui rage der­rière son cla­vier est l’arbre pour­ri qui cache la forêt des gens qui ne disent rien mais qui dans l’ombre sont peu à peu convain­cus par les dis­cours et donc laissent faire les plus vio­lents d’entre eux, la vio­lence du bras armé étant per­çue par ces bons atten­tistes comme « regret­table, mais néces­saire »).

Cepen­dant j’é­tais de plus en plus gêné par pas mal de choses dans le cercle d’A­lain Soral et com­pa­gnie et bien que le pro­ces­sus se soit fait sur un temps long, j’ai com­men­cé à voir ma confiance s’ef­fri­ter. Cette confiance s’est ébran­lée suite aux diverses affaires qu’il serait fas­ti­dieux de résu­mer mais en gros j’ai réa­li­sé que Dieu­don­né était un pré­da­teur finan­cier de la pire espèce qui pre­nait les gens pour des cons, que Soral ne sup­por­tait pas la contra­dic­tion et était un per­vers nar­cis­sique frus­tré en puis­sance, que Laurent Louis était un pur oppor­tu­niste et mani­pu­la­teur com­pul­sif et glo­ba­le­ment que tous les pseu­dos intel­lec­tuels d’ER avaient ces ten­dances. Je com­men­çais en paral­lèle de ma perte de confiance à m’intéresser aux dis­cours de gauche, sur les luttes sociales, le construc­ti­visme, etc. et à com­prendre les failles de rai­son­ne­ment… Suite à mes études et j’ai com­men­cé à réflé­chir, dans le contexte de l’après-attentat de Char­lie heb­do, au fait que les Isla­mistes avaient une idéo­lo­gie dans le fond très simi­laire aux natio­na­listes révo­lu­tion­naires « occi­den­taux » (ça m’a frap­pé quand j’ai remar­qué que quelques natio­na­listes crasses pou­vaient mon­trer des marques de res­pect aux isla­mistes, comme Zem­mour qui a dit des ter­ro­ristes isla­mistes « Je res­pecte des gens prêts à mou­rir pour ce en quoi ils croient, ce dont nous ne sommes plus capables… »), les­quels eux aus­si mon­taient en puis­sance et en acti­visme, en même temps que leurs dis­cours deve­naient de plus plus pré­sents dans l’es­pace média­tique ou sur You­Tube. Tout cela com­men­çait à bouillon­ner sérieu­se­ment dans ma cer­velle et j’ai com­men­cé à me deman­der « Mais à quoi j’ai pris part au juste ? ». Pré­ci­sons d’ailleurs que mon pre­mier réflexe suite à cette perte de confiance, paral­lèle à ce que j’ai dit plus haut, a été dans un pre­mier temps la recherche de sub­sti­tuts plus radi­caux, et non une « sor­tie » nette du milieu. Le fait d’avoir des doutes n’a dans un pre­mier temps fait que ren­for­cer mes angoisses et radi­ca­li­ser mes manières de les exté­rio­ri­ser.

Le coup de grâce est sans doute venu lors de la période char­nière de 2015–2016. À cette époque, c’est non seule­ment le trau­ma­tisme de Char­lie Heb­do et l’ef­fer­ves­cence sociale, la panique même, qui en découle, mais c’est aus­si la période la grande mue de l’ex­trême-droite en France. Après s’être per­pé­tré dans l’ombre du duo Soral-Dieu­don­né, qui s’é­taient faits un nom mais res­taient dans l’en­semble assez « sou­ter­rains », et suite à la déli­ques­cence de leur mou­ve­ment, une extrême-droite plus affir­mée, confor­tée par le duo et s’é­tant nour­rie de leurs dis­cours avant de les évin­cer, a com­men­cé à sérieu­se­ment s’ac­ti­ver. C’é­tait la période de nais­sance et expan­sion du Raptor dis­si­dent, de Valek et de glo­ba­le­ment tous les ersatz de Soral plus rin­cés les uns que les autres qui après s’être suf­fi­sam­ment nour­ris de sa rhé­to­rique, ont déci­dé de prendre eux-mêmes une camé­ra et un micro pour aller sur You­Tube.

C’est aus­si la période de la grande bagarre entre Soral et Conver­sa­no qui a défrayé la chro­nique à l’é­poque.

Le « débat » Soral-Conversano

Le « débat » Soral-Conver­sa­no

Et là où Soral était un nazi­fiant qui usait d’élé­ments de lan­gages, de clins d’œil plus ou moins cryp­tiques à la pen­sée fas­ciste et nazie, Conver­sa­no s’as­su­mait clai­re­ment comme tel (et il faut savoir qu’à une période anté­rieure, vers 2011, j’avais regar­dé cer­taines vidéos de lui, comme celle sur l’art contem­po­rain, que j’approuvais).

Bref, c’est la période du grand coming out de l’ul­tra droite sur You­Tube, qui avec ses mul­tiples réseaux et lieux de ren­contres et grandes per­son­na­li­tés comme De Les­quen, Has­sen Occi­dent, Conver­sa­no, Pagan TV, etc. ont créé sur You­Tube un véri­table éco­sys­tème. Des per­son­na­li­tés qui se déchirent sans arrêt et sont dans un concours per­ma­nent pour savoir qui incarne la vraie droite et dont les dis­putes consti­tuent autant un milieu anxio­gène et épui­sant qu’une radi­ca­li­sa­tion, car quand telle ou telle per­son­na­li­té se dis­cré­dite ou que le milieu en lui-même est vic­time d’un dra­ma ou d’un pour­ris­se­ment, la consé­quence en est une radi­ca­li­sa­tion géné­rale du dis­cours ambiant dans un cycle sans fin. On consta­te­ra une constante dans le milieu d’extrême-droite : le monde et l’étranger étant un enne­mi, et l’important étant l’ordre et la hié­rar­chie pour faire face au chaos, ils ont ten­dance à pro­je­ter sur le monde leur propre pra­tique de ges­tion de leur uni­vers poli­tique. Tout chez eux est concours d’influence, coups de Tra­fal­gar et tra­hi­sons qui nour­rissent allè­gre­ment clashes et batailles d’ego dont sont friands la fan­base, laquelle s’auto-convainc d’ailleurs par l’attitude de leurs propres gou­rous que le monde entier fonc­tionne comme un gigan­tesque aqua­rium à piran­has ou seules les lois « man­ger ou être man­gé » et « les nôtres avant les autres », comptent.

La « chute » de Soral et la perte d’in­fluence d’Éga­li­té & Récon­ci­lia­tion obéit à ce méca­nisme : ça n’a pas affai­bli la base mili­tante de l’extrême-droite, ça l’a ren­for­cée, tout en radi­ca­li­sant d’au­tant plus les mili­tants, bien plus vénères et fron­taux aujourd’­hui qu’ils l’étaient sous Soral, la fenêtre d’Overton et leur accep­ta­tion dans l’espace de dis­cus­sion s’étant consi­dé­ra­ble­ment éten­due ‒ la fenêtre d’Overton, ou fenêtre de dis­cours, est une allé­go­rie de l’en­semble des idées et des opi­nions consi­dé­rées comme accep­tables dans l’o­pi­nion publique d’une socié­té, si tant est qu’ « opi­nion publique » ait un sens clair. Ce pro­ces­sus n’a d’ailleurs pas de réelle fin car si Soral s’est fait dou­bler par sa droite par tous les you­tu­beurs dis­si­dents, ces der­niers comme le Rap­tor sont aus­si en passe de se faire dou­bler sur leur droite ces der­niers temps, deve­nant de plus en plus rin­gards et dépas­sés, la base mili­tante la plus active deve­nant tou­jours plus vio­lente et orga­ni­sée, se tour­nant vers les groupes d’ex­trême-droite comme Géné­ra­tion iden­ti­taire ou des vidéastes natio­na­listes inci­tant à la vio­lence armée comme Code rno (ou Code Rein­ho) et tout l’u­ni­vers des chaînes sur­vi­va­listes. Bref, ces périodes où l’ex­trême-droite et ses réseaux se recon­fi­gurent suite à un dra­ma quel­conque consti­tuent pour la fan­base des périodes de choix. Les mili­tants les plus radi­caux avalent la red­pill (réfé­rence au film The Matrix : « Choi­sis la pilule rouge : tu restes au Pays des Mer­veilles et on des­cend avec le lapin blanc au fond du gouffre ») et s’en­foncent plus loin dans les couches de l’alt rigth Les dés­illu­sion­nés peuvent choi­sir de sor­tir du cercle en pro­fi­tant de cette période de doute pour faire une auto-cri­tique radi­cale. Ce que j’ai fait.

5. La sortie

À cette période donc, je suis à la fois dégoû­té de Soral, de Dieu­don­né, et de tout leur milieu. Je contemple les exac­tions du Rap­tor et de sa com­mu­nau­té sur les réseaux. Les har­cè­le­ments de masse, les raids. Je vois leur idées et dis­cours se géné­ra­li­ser. Tout cela me dégoûte car je le répète, je n’ai jamais aimé et jamais par­ti­ci­pé à des raids. Je réa­lise que si les têtes changent, l’i­déo­lo­gie sou­ter­raine ne change pas, donc que les pro­blèmes res­te­ront inchan­gés et que tout cela par­ti­cipe à un même cycle de radi­ca­li­sa­tion dont l’is­sue m’ef­fraie. Car là où je pou­vais encore m’a­veu­gler sur Soral et Dieu­don­né ‒ je n’a­vais pas outils d’a­na­lyse et que je ne pre­nais pas le temps d’a­na­ly­ser leur dis­cours, celui de la « nou­velle droite » était tota­le­ment assu­mé et sans fard. Et c’est en com­pa­rant ce dis­cours très brut et pre­mier degré que j’ai réa­li­sé que j’a­vais écou­té pen­dant des années le même dis­cours, mais plus sub­ti­le­ment ins­til­lé. En paral­lèle je sui­vais des études d’his­toire et j’ai com­men­cé à m’intéresser à l’his­toire du fas­cisme, du nazisme, de ce qui l’a­vait fait naître, et sur quels élé­ments de lan­gage l’ex­trême-droite de l’é­poque s’ap­puyait. J’ai vu les simi­li­tudes. Puis j’ai com­men­cé à réflé­chir sur mon par­cours, com­ment les dis­cours ambiants dans ma famille, au lycée, m’a­vaient ame­nés à pen­ser ceci ou cela… Ça a été un vrai choc. À par­tir de là, j’ai com­men­cé à me recon­fi­gu­rer à gauche, notam­ment grâce à des lec­tures diverses en his­toire, en socio­lo­gie et grâce à des chaînes You­Tube enga­gées à gauche ou par­lant tout sim­ple­ment de sciences sociales, ce qui m’a per­mis de trou­ver petit à petit des réponses. Quelques chaînes de zété­tique m’ont aus­si aidé à com­prendre la rhé­to­rique com­plo­tiste.

Bien sûr, tout cela ne s’est pas fait en un mois et en « remon­tant » les couches, je suis pas­sé par des gens très dis­cu­tables comme Greg Tabi­bian. Heu­reu­se­ment pour moi, je venais de l’u­ni­vers vers lequel il oriente son public et j’ai vite com­pris qu’il jouait ce même rôle de pas­se­relle entre la gauche rouge brun et l’ex­trême-droite, d’au­tant que plus ça allait, moins il camou­flait sa ligne. J’ai donc assez vite lais­sé tom­ber et conti­nué à remon­ter. Quelques ren­contres et dis­cus­sions avec des mili­tants de gauche radi­cale par­mi mes rela­tions m’ont aus­si per­mis d’af­fi­ner ma pen­sée. Bref. Pour conclure, je vais balan­cer une idée qui m’a per­mis de fon­da­men­ta­le­ment remettre en cause le dis­cours d’ex­trême-droite en réa­li­sant qu’il était tota­le­ment anxio­gène. Ma com­pré­hen­sion et remise en cause de l’es­sen­tia­lisme (les gens ont une nature innée et inchan­geable de nais­sance), là où la gauche est construc­ti­viste (tout est construc­tion sociale et influences).

La droite car­bure à l’es­sen­tia­lisme, ce qui a diverses consé­quences très nocives. La pre­mière est un mépris pour la pen­sée et l’in­tel­lec­tua­lisme. Puisque tout est basé sur la nature innée, réflé­chir c’est ne pas être en accord avec la nature, la bio­lo­gie, l’instantanéité. La réflexion est une « cas­tra­tion » et tout doit être basé sur l’ac­cep­ta­tion des ins­tincts.

La deuxième consé­quence est plus mar­quante encore car elle condi­tionne à la vio­lence par sa pro­mo­tion d’une vision tra­gique du monde. Si tout est inné, alors il ne sert en défi­ni­tive à rien de dis­cu­ter avec un adver­saire car ce der­nier est au fond pro­gram­mé pour être votre adver­saire. Le convaincre ne sert à rien et c’est aller contre sa nature pro­fonde.

Dans l’esprit d’une per­sonne d’extrême-droite, cher­cher à convaincre est déjà cher­cher à sub­ver­tir la nature innée d’une per­sonne, dis­cu­ter est comme tout aspect de la vie une lutte pour l’existence, le dia­logue n’est pas un échange mais un com­bat, avec à terme pour le/a vaincu·e une sou­mis­sion et un for­ma­tage, et est donc sus­pect par nature. La dis­cus­sion est dans l’esprit de l’extrême-droite l’arme de la morale d’esclave pour asser­vir le « maître » à son insu sans avoir à pas­ser par l’épreuve de la sélec­tion natu­relle qu’est l’affrontement pur et simple. Elle est de fac­to sus­pecte d’être du tota­li­ta­risme dégui­sé. En ces condi­tions il ne reste que l’é­preuve de force, la vio­lence, l’é­li­mi­na­tion pure et simple de la contes­ta­tion, pour déci­der qui l’ordre natu­rel a jugé bon de mettre au som­met. Le per­dant n’a qu’a s’en prendre à lui-même et toute pen­sée construc­ti­viste n’est vue que comme un tru­che­ment de l’ordre natu­rel, de la « morale d’es­clave ». Et si tu es per­dant, c’est parce que ta volon­té n’é­tait pas suf­fi­sante et toute autre expli­ca­tion, notam­ment socio­lo­gique, est une fuite devant son infé­rio­ri­té. Dans cette optique, il ne reste plus que l’ul­tra vio­lence, le blas­phème et le sui­cide comme seules issues au sen­ti­ment de défaite. La pen­sée d’ex­trême-droite condi­tionne à la vio­lence contre les autres et contre soi.

En remet­tant en cause cette idée fon­da­trice, tout sim­ple­ment parce qu’elle abou­ti à une vision du monde où l’an­goisse de ne pas être à la hau­teur, où la com­pé­ti­tion pour la sur­vie phy­sique et intel­lec­tuelle est une lutte per­ma­nente et vrai­ment épui­sante, on ôte ce qui fait la force d’at­trac­tion de la droite mais aus­si son poten­tiel anxio­gène. L’es­sen­tia­lisme est aus­si une vision tra­gique du monde car elle porte fon­da­men­ta­le­ment en germe l’i­dée qu’il faut retour­ner en arrière, à un mythe des ori­gines, pour retrou­ver du sens à l’exis­tence, quelque-chose de « vrai ». L’his­toire étant faite de mul­tiples couches de construc­tions sociales, pour la droite, le monde et l’his­toire ne peuvent aller que dans le sens d’une per­ver­sion lente et contre-nature jus­qu’à l’a­po­ca­lypse qui res­tau­re­ra l’ordre ori­gi­nel en brû­lant toutes les couches de construc­tion contre-nature qui se sont accu­mu­lées au fil des décen­nies, des siècles, voire des mil­lé­naires. Les divers degrés de la droite se fai­sant un devoir de dis­cu­ter où au juste se situe ce point d’o­ri­gine « à par­tir duquel ça a foi­ré » et vers lequel il faut reve­nir. C’est en cela qu’on peut par­ler d’une vision sui­ci­daire et tra­gique de la socié­té.

Dans cet uni­vers cré­pus­cu­laire, le dan­dysme, le culte de la mort et de l’effondrement est la seule alter­na­tive que donne la droite face au défi d’un monde à réin­ven­ter. S’asseoir et réflé­chir « à ce qu’un vieux romain ferait à notre place et agir en consé­quence » comme dirait Julien Roche­dy. Pré­fé­rer le néant que ne rien vou­loir. Attendre l’effondrement sou­rire car­nas­sier aux lèvres en sto­ckant du riz et des muni­tions dans son garage, en regar­dant des tutos de Piero San Gior­go et en consul­tant le site www.guer­re­de­france.fr.

F comme Fist
F comme France
F comme Famine
Un coq lou­foque qui t’fuck et poc
J’vais trouer toute ta famille
A coup d’pine, d’barre à mine, d’ca­ra­bine
Et sous amphé­ta­mine
En même temps qu’­j’­vo­le­rai vos villes
####### vos filles
J’fe­rai bobo
À tous les bobos
À tous les #######
Les ptits Zoros d’ghet­to…
Ton Sam­sung der­nier cri
On va te l’fout” dans l’cul
Tu pous­se­ras un der­nier cri
Et tu revien­dras plus…[…]
Retour à l’âge de pierre
Y’a des catas­trophes qui s’préparent
On n’aura plus de bière
Ni de venai­son dans les Spar
Mais dans ç’capharnaüm
Un bel hori­zon s’offre à nous :
On va bouf­fer des hommes
Et fout’ leurs grosses putes à genoux
Un – me fais pas la morale
Deux – quand j’bronzerai dans mon val
Tu – pren­dras une double anale
Par – le Maroc le Séné­gal
Trois – salue le Zaï­rois
Quatre – qui cou­pe­ra ton goitre
Cinq – fal­lait pas l’appeler « zinc »
Six – et chier sur la police

Kom­man­do Peste Noire, extrait de « Niquez vos villes »

Site inter­net vio­lem­ment natio­na­liste prô­nant la « recon­quête » de la France par les armes et dif­fu­sant moult docu­ments sou­vent tirés des manuels d’entraînement de l’armée et des forces de l’ordre afin de don­ner des conseils et ins­truc­tions en ce sens. Code Rno y est réfé­ren­cé. Le site ren­voie aus­si à divers sites d’extrême droite comme « Démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive ».

L’ex­trême-droite vous vend une vision très noire de la vie où tout est ques­tion de nature, d’in­né et de volon­té indi­vi­duelle, répond à vos angoisses sur l’exis­tence et la perte de sens dans un monde à la nar­ra­tion tou­jours plus floue en vous ven­dant fina­le­ment plus d’an­goisse, vous cou­pant des autres et de vous-même jus­qu’à ce que votre seul sen­ti­ment d’ap­par­te­nance soit celui lié à votre petite chaire poli­tique et à des idéaux de race et de nation, les­quelles enti­tés sont entou­rées d’en­ne­mis bouc émis­saires invi­sibles qu’il convient d’i­den­ti­fier et éli­mi­ner pour remé­dier à vos maux. Per­son­nel­le­ment, com­prendre cela m’a per­mis de réa­li­ser pour­quoi le dis­cours d’ex­trême-droite était autant fas­ci­né par la dépres­sion, la déca­dence, la per­ver­sion et où tout cela menait. Et à quel point il fai­sait en sorte de géné­rer cette vision très noire des choses. Ça fait par­tie du pro­ces­sus de radi­ca­li­sa­tion et les per­sonnes iso­lées, soli­taires, fra­gi­li­sées et aux ten­dances dépres­sives y sont d’au­tant plus sen­sibles, comme je l’é­tais. Par ailleurs dans mes goûts artis­tiques je reste for­te­ment influen­cé et même sur cer­tains points admi­ra­tif de cer­tains artistes d’extrême-droite qui savent très bien mobi­li­ser cette vision apo­ca­lyp­tique et déca­den­tiste de la la vie (Comme Peste noire qui reste par­mi mes réfé­rences musi­cales).

De par mon expé­rience, la vision bio­lo­gi­sante de l’extrême-droite d’une socié­té malade, dévoyée et gan­gre­née qu’il faut pur­ger de sa « mala­die » tire aus­si sa source pour une bonne part dans une pro­jec­tion de l’état d’esprit du mili­tant à la socié­té dans son ensemble. Je me sen­tais périr, ma dépres­sion me ron­geait, et la gan­grène qui me fou­tait en l’air le cer­veau et le corps, et dont je vou­lais me pur­ger, la vision para­noïaque d’être cer­né de toutes part par des enne­mis invi­sibles : mes dépres­sions, la mala­die, la peur, l’angoisse, la souf­france et la mort, je l’ai pro­je­tée autour de moi en cher­chant fré­né­ti­que­ment « l’ennemi » invi­sible qui me pri­vait d’air et me vidait de mon sang. L’extrême-droite a une vision para­noïaque, bio­lo­gi­sante et dépres­sive du monde parce qu’une bonne part de ses idéo­logues et mili­tants les plus mar­quants sont eux-mêmes pro­fon­dé­ment atteints de ces maux, ce qui crée d’ailleurs un genre de soli­da­ri­té entre eux et leur per­met via leur créa­tion artis­tique d’attirer de nou­veaux adeptes. Je me sens tou­jours un lien émo­tion­nel avec Famine de KPN par exemple parce que sa per­son­na­li­té et ses paroles décrivent la dépres­sion, l’angoisse, le déclas­se­ment et la crasse d’une façon qui fait énor­mé­ment écho à ma propre his­toire et mes propres res­sen­tis.

Com­ment aurais-je pu ne pas me sen­tir concer­né, et même soli­daire, de Famine quand dans ses chan­sons il balance des choses comme :

Jours cou­leur merde, saveur cré­pus­cule

De mon crâne

Ils ont fait une cel­lule

Où crimes, idées noires

Où idées noires, crimes

Comme des cra­pauds sautent

Sautent

Hop sautent

Pul­lulent sautent !

De coups, de crottes

Est taguée ma mémoire

Mon pré­sent dévo­ré

Par la dépres­sion, le cafard.

Vers et ver­rues les obses­sions

M’ont ver­rouillé et laissent croire

Que le futur est rance

Que tout n’est qu’er­reur et errance.

Ense­ve­li vivant par­mi les vivants

(Kom­man­do Peste Noire, extrait de « Noire Peste », album « Split »)

Com­ment n’aurais-je pas pu me sen­tir com­pris quand il balance dans « J’avais rêvé du nord » :

Jaune aux bleus tout cal­ci­né,

Plan­té dans le mau­vais décor,

Quê­tant ma juste des­ti­née,

J’avais d’un coup rêvé du Nord.

[…]

J’eus vou­lu cre­vas­ser Phoe­bus,

Y redar­der toutes ses flèches,

Pour qu’il s’écrase comme un air­bus

Entre Mar­seille et Mar­ra­kech !

Et tu m’es appa­ru miroir, fran­gin de haine,

[…]

Toi Métal Noir ! For­gé dans la nuit des garages

Comme un obus arti­sa­nal

Fait moi­tié-rêve moi­tié-rage,

Toi Métal Noir ! Sor­tant des tripes de la terre

Comme une énorme sonde anale

Explo­ser des villes entières !

(Kom­man­do Peste Noire, extrait de « J’avais rêvé du Nord », album « L’ordure à l’état pur »)

Ou encore quand il chante dans la « condi hu » :

Syphi­lis, téta­nos, hépa­tites, fusa­riose,

Fièvre jaune, chancre mou, infarc­tus, bru­cel­loses,

Pneu­mo­nies, gonor­rhées, apla­sies, cho­lé­ra,

Genre humain, mala­ria, di-arh­hées, moko­la,

SRAS, SIDA, CAC, sclé­rose en plaques,

Gale, her­pès, pu, t’es d’la bar­baque,

Ulcères, typhus, pub, chi­kun­gu­nya,

Rouille, méga­lo­pole, chtouille, tu ploies rouya

Guerres, exca­va­ta, rec­to­co­lite hémor­ra­gique

Gan­grène gazeuse, poux, Répu­blique,

Peur, peste, nucléaire, sodo­ku,

L’Homme, se terre, hurle, sue du cul,

Bor­re­lia recur­ren­tis, mol­lus­cum conta­gio­sum,

MST, MTV, Loft Sto­ry, en gros zoom,

Ma sco­liose, supé­rieure, à 35, degrés d’angle,

Me fait voir, dans le ciel, un gros trou, qui m’étrangle.

(Kom­man­do Peste Noire, extrait de « La condi hu », Album « L’ordure à l’état pur »)

Com­ment n’aurais-je pas pu me sen­tir des affi­ni­tés avec la musique et la per­son­na­li­té de Famine, ses albums d’une musique coin­cée entre crasse et sublime, entre pas­sé révo­lu et moder­ni­té insou­te­nable, où les hur­le­ments de bête malade côtoient les vers de Ver­laine, de Fran­çois Vil­lon et de Chris­tine de Pisan, où les riffs endia­blés d’un metal très brut côtoient des samples à l’esprit très « trap », où le natio­na­lisme et la reli­gion, cadavres pour­ris et pro­fa­nés, s’engagent dans une der­nière danse sur chaise élec­trique, où la mas­cu­li­ni­té la plus malade se sui­cide en grande pompe avec tout ce qu’il y a autour, où la cam­pagne hal­lu­ci­née et la ville ten­ta­cu­laire se mêlent en un bal cra­dingue où mon ego était ravi d’aller se noyer. La musique de Famine, son uni­vers, ses paroles, me par­laient, et conti­nuent d’ailleurs à me par­ler. La musique de KPN fai­sait plus qu’écho à mon vécu : elle par­lait à ma chair. J’aurais beau faire tous les efforts à le nier ou chan­ger cet état de fait, « J’avais rêvé du nord » trou­ve­ra tou­jours une réso­nance en moi.

Des groupes comme KPN et les gens comme Famine (et moi) ne sont en défi­ni­tive que le pro­duit logique d’une socié­té hégé­mo­nique « occi­den­tale » blanche, mas­cu­line et hété­ro-nor­mée qui, au som­met de sa domi­na­tion et au bord du pré­ci­pice, pro­duit en der­nière défense une redou­table cari­ca­ture d’elle-même.

Éle­vez des enfants dès le plus jeune âge à être des bêtes de concours, à coups de tableaux, de clas­se­ments, de prix et de mérite, appre­nez-leur à lut­ter les uns contre les autres, dites-leur qu’ils peuvent et doivent s’accomplir seuls et que au final, si la soli­da­ri­té c’est bien beau et très moral, au moindre pépin, on est juste tout seul face à ses pro­blèmes et que ce qui dis­tingue le win­ner de la loque c’est la volon­té… Sélec­tion­nez les plus aptes aux études supé­rieures comme étant les plus aptes à la com­pé­ti­tion per­ma­nente, ren­dez nor­mal le fait d’éliminer l’autre et de le voir avant tout comme un concur­rent, assom­mez-les de normes à res­pec­ter, de quo­tas à rem­plir, bri­mez-les avec l’angoisse de ne pas être la hau­teur de ce qu’on attend d’ell·eux, dites-leur que la vie est une lutte per­ma­nente pour la sur­vie du plus apte, que leur bien-être passe par l’élimination des concur­rents lors d’une grande course vers le som­met de la pyra­mide… Bref faites-en dès l’enfance des tueurs sym­bo­liques, avec tout l’appui du sys­tème sco­laire et du monde du tra­vail, lequel n’est qu’une pro­jec­tion de ce que nous apprend l’école.

Éle­vez des petits Blancs comme des flo­cons pré­cieux avec la convic­tion qu’ils sont au som­met du monde civi­li­sé et de ses valeurs, pro­duits chou­chou­tés d’une culture plu­ri­sé­cu­laire et d’une his­toire glo­rieuse dont ils doivent être gar­diens et héri­tiers, met­tez-leur dans la tête que la vie est une com­pé­ti­tion pour la sur­vie et que seule la vic­toire importe, matra­quez-les de pro­messes d’accomplissement et de déve­lop­pe­ment per­son­nel avec une vision méri­to­cra­tique de la réa­li­té où celui qui fait des efforts et attend son heure de gloire sera récom­pen­sé, trai­tez les comme des élus en deve­nir, pro­mis à la gloire et à qui on doit admi­ra­tion et véné­ra­tion, puis faites-leur subir la dés­illu­sion que leur mode de vie est inte­nable maté­riel­le­ment par­lant, que la civi­li­sa­tion qui leur a don­né nais­sance n’a rien de belle ou glo­rieuse, qu’ils ne doivent pas leur situa­tion au « mérite » mais aux hasards de l’histoire, que per­sonne ne les admire, que ce qu’on leur a ven­du est une mytho­lo­gie toxique, qu’on leur a men­ti, qu’ils ne sont per­sonne dans un ordre capi­ta­liste qui n’attend plus d’eux qu’obéissance et per­for­mance, et qu’ils ont le choix entre lut­ter vai­ne­ment ou se lais­ser dis­pa­raître eux et leur civi­li­sa­tion, dans un océan d’indifférence… Dîtes-leur après une édu­ca­tion de privilégié·e que tout est hasard et mythe informe, lequel est en train de dis­pa­raître, dans l’indifférence géné­rale…

Éle­vez des hommes avec l’idée dite et répé­tée que la viri­li­té est ce qui dis­tingue le « vrai homme » de la « flaque », dites-leur que pleu­rer est un acte de fai­blesse, dites-leur à lon­gueur de cours d’histoire, de films, de série et de musiques et de pub que ce sont les vrais hommes qui font l’histoire et que le modèle à suivre est le seul valable, dites-leur que la viri­li­té leur donne accès à la réus­site, à l’admiration d’un trou­peau de femmes qui ne deman­de­ront qu’à por­ter leurs enfants. Faites-leur subir la dés­illu­sion que le monde ne fonc­tionne pas comme ça et dites-leur que quoi qu’ils fassent le sta­tut d’élu sera réser­vé à un petit nombre et que la plu­part d’entre eux seront condam­nés à res­ter devant les portes du palais à cre­ver la dalle dans la soli­tude et le froid… Dites-leur que s’ils ont échoué c’est parce que la vraie morale d’antan a été dévoyée par un bouc émis­saire quel­conque, que l’âge d’or est mort depuis long­temps et que la seule issue digne pour sau­ver sa viri­li­té dans l’échec, c’est l’accélérationnisme, l’action sui­ci­daire, le crime de masse et le sui­cide…

Faites tout cela, et à la fin, et en toute logique, vous obtien­drez « Domine », de Peste Noire.

Wow, étei­gnez-moi ces putains d’lumières là
C’est quoi ces têtes de glands sérieux ?
Et tout c’sang dégueu ?
J’y retour­ne­rais bien dans le bide à ma mère
Mais comme tous je demeure
Dans l’angoisse, la poisse, la de-mer
En spé­léo dans le royaume du sale
J’ai de suite per­çu c’monde
Comme un rec­tum abys­sal
Où fis­ter tes fils, tes créa­tures, Ô Domine
Juste pour l’plaisir sale pour­ri­ture
De les domi­ner
Était de toutes les nour­ri­tures
La plus exquise et raf­fi­née
Ici-bas rien, ni bien, ni mal
Juste les lois fatales du règne ani­mal
Et l’arbitraire et le hasard et le désert
Où les anges mangent la fange sous le ron­ron des bull­do­zers
Quoi ? T’as cru qu’j’étais un chien ou quoi ? Une four­mi ?
Un truc qui passe là, bosse là, meurt là
Sans foutre la merde dans c’foutu four­bi ?
J’partirai pas sans faire mal
Sans contem­pler quelques com­mis de ce sys­tème deve­nir bleus
Tout froids et pâles
Appelle ça Pan, Wotan, Satan, Baal…
J’m’en bats les couilles tant qu’à coup d’crosse j’fais des cra­tères dans des col­li­ma­teurs

Pour me ven­ger de cette tris­tesse que depuis gosse le Créa­teur
M’a mis gra­tos comme une seringue de téta­nos dans les artères
J’ai jamais pris mon pied autre­ment qu’en tirant sur les ambu­lances
J’bande mou si y a pas du pu, d’l’abus et d’étranges souf­frances
M’sors pas tes trucs de feuj genre j’voulais ken ma mère pen­dant mon enfance
J’voulais déjà per­cer leur panse, niquer leurs chances, dès la nais­sance
A qui la faute si les nuages de la mélan­co­lie
Tombent comme des piafs malades
Et bouffent par la racine les pis­sen­lits
Dès que la haine sur­git, telle une aubaine
Mira­cu­leuse et saine, comme le Mes­sie ?
Ne rien kif­fer à part l’ivresse de salir
Bai­ser l’autorité pour seul et unique plai­sir
Telle est la voca­tion, le passe-temps, le loi­sir
De la race des cre­vures avant de moi­sir
Si Dieu existe dans le ciel de nos têtes
C’est pour prê­ter son cul afin que l’on lui pète
Et qu’on atteigne par lui ou plu­tôt par son train-arrière
La joie ultime sans dif­fi­cul­té ni prières
Dieu, tu es une putain au sens propre
C’est par toi leur moyen, que tes fils
Jouissent
Dieu, tu es le pont et la bar­rière
La bar­rière qu’on enfonce, la bar­rière néces­saire
Oui Dieu, tu es le meilleur auxi­liaire de ton putain d’adversaire
Dieu, t’es le soleil du Mal, le flam­boyant miroir
De son écra­sante gloire

 

6. Conclusion

À l’aune de tout cela, il me revient un extrait de la conclu­sion dans « Les dam­nés de la terre », de Franz Fanon.

« L’Europe a pris la direc­tion du monde avec ardeur, cynisme et vio­lence. Et voyez com­bien l’ombre de ses monu­ments s’étend et se mul­ti­plie. Chaque mou­ve­ment de l’Europe a fait cra­quer les limites de l’espace et celles de la pen­sée. l’Europe s’est refu­sée à toute humi­li­té, à toute modes­tie, mais aus­si à toute sol­li­ci­tude, à toute ten­dresse. […] Allons, cama­rades, le jeu euro­péen est défi­ni­ti­ve­ment ter­mi­né, il faut trou­ver autre chose. Nous pou­vons tout faire aujourd’hui à condi­tion de ne pas sin­ger l’Europe, à condi­tion de ne pas être obsé­dés par le désir de rat­tra­per l’Europe. L’Europe a acquis une telle vitesse, folle et désor­don­née, qu’elle échappe aujourd’hui à tout conduc­teur, à toute rai­son et qu’elle va dans un ver­tige effroyable vers des abîmes dont il vaut mieux le plus rapi­de­ment s’éloigner. »

Peut-être est-ce dans ces quelques mots qu’on trouve la réponse de pour­quoi ce qu’il convient d’appeler des jeunes Blancs iso­lés pré­fèrent aller vers l’extrême-droite que vers la gauche. Le modèle socio-éco­no­mique d’un monde tour­nant autour de l’Occident et des « valeurs » occi­den­tales étant remis en cause sur tous les fronts, il faut en tant qu’Occidentaux (si tant est que ce terme est un sens*) admettre l’idée que toutes nos valeurs sont à reprendre, que nous sommes le der­nier pro­lon­ge­ment d’une his­toire et de valeurs désor­mais inte­nables, bref, qu’en tant que Blancs « occi­den­taux, », nous sommes au cœur de ce qui s’effondre, là où les mino­ri­tés oppres­sées ont l’espoir ras­su­rant de se situer à la péri­phé­rie de ce qui s’élève. Le choix doit se faire entre d’un coté le culte vain de valeurs nécro­sées sur un modèle à la dérive, et le pari d’un ave­nir meilleur où nous ne savons pas quelle sera notre place et notre modèle, d’autant plus quand l’éducation qui a été la nôtre nous a ensei­gnée que notre place était par­tout de base et que le seul modèle de viri­li­té blanche qu’on valo­rise consiste en sur­va­lo­ri­sa­tion de l’égo sur fond d’affirmation agres­sive de son iden­ti­té.

Pour un déve­lop­pe­ment de cette pro­blé­ma­tique sous un autre angle, je vous ren­voie à l’excellente vidéo de Contra­points sur « Les hommes », notam­ment sa conclu­sion.

À l’heure actuelle, je ne par­viens pas à savoir exac­te­ment par quel pro­cé­dé je me suis sor­ti de cet uni­vers men­tal qui pour­tant consti­tue encore une large part de mon iden­ti­té. Je pour­rais vous dire que j’ai ren­con­tré les bonnes per­sonnes, lu les bons livres, eu les bonnes pistes de réflexion… La réponse est sans doute plus terre à terre : je me suis fati­gué. J’en ai eu assez de me taper les mêmes cycles, à être éter­nel­le­ment insa­tis­fait et a tour­ner en rond avec mes dépres­sions sans espoir de sor­tie et j’ai eu le bon sens de réa­li­ser qu’il fal­lait que je modi­fie mes habi­tudes de vie pour retrou­ver un men­tal plus sain, et que féti­chi­ser sans arrêt ce qu’il y avait de plus sombre en l’être humain par besoin de « cathar­sis »/libération émo­tion­nelle n’était pas le meilleur moyen de se sta­bi­li­ser men­ta­le­ment.

Mon mal­heur et ma chance c’est sans doute que dans mon par­cours j’ai assez peu béné­fi­cié de sou­tiens, dans le sens où je n’ai pas fait par­tie d’un groupe d’extrême-droite ou même d’un cercle clai­re­ment poli­ti­sé. Je suis le type même de ces nou­veaux extré­mistes fan­tômes, d’autant plus dif­fi­ciles à détec­ter qu’ils se forment en soli­taire sur les réseaux. Mais ce fai­sant, je n’ai pas eu à subir de menaces ou de pres­sions pour quit­ter le navire.

Aujourd’­hui donc, je me détoxi­fie du mieux que j’ai pu des idéo­lo­gies d’ex­trême-droite mais je reste glo­ba­le­ment très influen­cé par mon expé­rience de ces cercles. Mon goût pour l’hu­mour très noir, mes ten­dances artis­tiques déca­den­tistes et extrêmes en sont autant de témoi­gnages. Je conti­nue à faire mon che­min dans l’extrême-gauche, en fai­sant un peu de veille, en infor­mant de mon vécu et sur­tout, en ne cachant pas ce vécu car c’est fina­le­ment d’in­for­mer des mili­tants de ce pas­sé qui m’a per­mis d’a­voir des cri­tiques. Leur vigi­lance vis-à-vis de moi ‒ je com­prends qu’on ne me fasse pas vrai­ment confiance et je ne le demande pas ‒ me sert de guide et de garde fou.

J’espère que ce très long pavé ne vous aura pas trop mobi­li­sé et qu’il aura aidés cer­tains à recon­naître com­ment l’extrême-droite pro­cède pour recru­ter ses adeptes. Si vous êtes un·e mili­tant ·e d’ex­trême-droite et que vous êtes arri­vé jus­qu’i­ci j’ai ce mes­sage : il n’est jamais trop tard pour s’en sor­tir, mais plus on tarde, plus le pro­ces­sus sera dif­fi­cile. Il va fal­loir en pre­mier lieu nous rendre compte que nous avons évo­lué dans un milieu qui ne donne que des réponses floues à nos souf­frances et ques­tion­ne­ments afin de deve­nir le seul inter­mé­diaire entre ces souf­frances qu’il pré­tend cal­mer par diverses red­pills, tout en les ampli­fiant par la construc­tion d’une vision du monde anxio­gène qui aug­mente tou­jours plus notre besoin de red­pills. Sor­tez vous de cette logique avant de vous iso­ler tota­le­ment et de vous détruire.

Sur ce,

« J’ai refer­mé sur moi la porte étroite et lourde

J’a­vais sur mon cœur mar­qué d’un fer rigide

La trace éphé­mère de nos der­niers sou­pirs,

J’ai regar­dé le ciel.

Les divi­ni­tés sourdes

Ont fer­mé leur épou­van­table et lent cor­tège

Pour s’as­seoir et pour dire

« Ces­sez un ins­tant de pleu­rer !

Bat­tez-vous

La guerre c’est ce métal qui coule et redore

Sur les fonts bap­tis­maux d’une auréole nou­velle

Les trop fidèles espoirs

De vos muscles de pierres —

Nous tres­se­rons pour vous des guir­landes de fleurs

Mais vous irez mou­rir au-delà des colonnes

Dans des retraits pro­fonds

Et des val­lées rou­gies.

Où dorment des ser­pents

Dont les anneaux meur­tris au sépulcre des

Vôtres —

Vous mar­que­rez l’in­fi­ni

D’un doigt tou­jours mal­sain

Dres­sé vers l’in­for­tune ».

Mais je me suis tour­né vers eux

Pour leur cra­cher au visage

Sans craindre leur bave.

Adieu, les dieux. »

Roger Gil­bert-Lecomte (Extrait de « La vie, l’amour, la mort le vide et le vent »)

*Note de Richard : dans mes ensei­gne­ments, je fais une cri­tique de ce terme, car Occi­dent est une concep­tua­li­sa­tion duale, archaïque et fausse du monde. Car d’une part les limites de l’Occident n’ont rien de clair. D’autre part, il est dif­fi­cile de trou­ver quelque chose de pro­pre­ment occi­den­tal. Enfin, parce que la contra­po­sée, l’Orient, est sou­vent le fruit d’une lec­ture très colo­niale. En géné­ral, on emploie Occi­dent pour dire « capi­ta­lis­to-judéo­chré­tien »… Alors autant l’assumer.

Post scriptum

Je ne pou­vais fer­mer ce texte un peu dépri­mant sans don­ner quelques pistes de réflexion et essayer de de rele­ver un peu le Black metal aux yeux de cer­taines per­sonnes. Mal­gré mon vécu avec cette musique, je n’oublie pas que quand j’étais au fond, c’est encore la part de moi qui hurle, se tord et hait qui est venue à mon secours quand je pen­sais n’avoir rien d’autre. C’est dans cette part que j’ai pui­sé la force de sur­vivre. Le Black metal mérite cer­tai­ne­ment mieux que cer­tains artistes qui lui servent de porte-éten­dard, mais il reste et res­te­ra ma musique de cœur parce que c’est elle qui a su le mieux expri­mer ce que je res­sen­tais dans les pires moments. Aus­si je tiens à rap­pe­ler l’existence de groupes et artistes enga­gés dans cette mou­vance. Au pre­mier chef :

  • le groupe Bie­sy qui traite des sujets LGBT+ , notam­ment dans leur excel­len­tis­sime album au titre bien nom­mé Transs­sa­ta­nism sor­ti en 2020.Le groupe BM pro-LGBT Biesy
  • Le groupe Worhs, groupe fran­cais aux thé­ma­tiques éga­le­ment lié à l’engagement pour la cause LGBT+. Une entre­vue inté­res­sante du groupe se trouve ici.
  • Neck­beard dea­th­camp, groupe très ouver­te­ment anti­fas­ciste.
  • L’album « Spi­ri­tual rebel pro­pa­gan­da », com­po­sé par un des très nom­breux émules du groupe Bathus­ka, dont l’esthétique de la pochette et les titres de tracks sont évo­ca­teurs.
  • Le groupe San­ka­ra et leur très bon Total abo­li­tion of all hie­rar­chy.
  • Le groupe plus connu Sor­dide et leur album Hier déjà mort.
  • Les fémi­nistes radi­cales du groupe Femi­naz­gul et leur album au titre déli­cieu­se­ment iro­nique tiré du Sei­gneur des anneaux (de J. R.R. Tol­kien) The age of men is over.
  • Les non moins radi­cales Matriar­ka­thum et leur album Curse you all men !.
  • Le groupe Sar­pa­rast et leur album The red concil.
  • Le groupe Iron column et leur album Power from below, qui res­sus­cite pour nous les anar­chistes de la guerre d’Espagne.

… et ils sont encore nom­breux.

Dans l’ensemble, et bien que déci­der de la direc­tion poli­tique d’une forme d’art soit indis­cu­ta­ble­ment pré­ten­tieux, le dévoie­ment du Black metal par l’extrême-droite est un non-sens si on regarde l’histoire du genre, ses racines et son esthé­tique :

Le black metal puise son ori­gine d’une part dans le punk et la pro­fonde dés­illu­sion qui a sui­vi la fin du « flo­wer power » hip­pie lors de la tran­si­tion des années 70 aux années 80, qui ont vu le modèle capi­ta­liste amé­ri­cain néo­li­bé­ral balayer les der­niers débris du bloc de l’Est, et avec, de ce qu’il res­tait des espoirs dans une alter­na­tive socia­liste à l’exploitation capi­ta­liste pla­né­taire désor­mais libre de s’étendre sans frein.

D’autre part le black metal est issu de la culture rock et a tou­jours été queer au sens très lit­té­ral du terme (queer = bizarre) : Le black metal a tou­jours été un genre extrême dans tous les sens qu’on peut don­ner à ce mot et il s’est tou­jours fait un devoir de brouiller toutes les limites, que ce soit morales, entre les notions de « bien » et de « mal », mais aus­si esthé­ti­que­ment en brouillant les limites entre les genres. En soi il n’y a rien de plus queer que des hommes à che­veux (sou­vent) longs déci­dant de se vêtir de cuir mou­lant pour se tordre sur scène pour éta­ler leurs dépres­sions tout en se pei­gnant le visage en adop­tant des voix si dés­in­car­nées qu’elles n’en ont plus rien de « mas­cu­lin » ou de « fémi­nin ». Et par ailleurs, mal­gré la miso­gy­nie géné­rale du milieu, le viri­lisme exa­cer­bé et agres­sif ne trompe pas grand monde : d’une part cet entre-soi mas­cu­lin a tou­jours été un peu « sus­pect » d’homosexualité (d’où d’ailleurs ces ten­dances au viri­lisme exa­cer­bé je pense), et ensuite et par-des­sus tout il est bien ques­tion dans le black metal de com­mu­nier avec des per­sonnes qui hurlent, pleurent et étalent toute leur fai­blesse, leur cha­grin et leur frus­tra­tion à la face du monde dans une orgie dont la vio­lence cache mal le besoin trop refou­lé d’exprimer ses sen­ti­ments. Si pleu­rer est mal vu pour un homme, enro­ber ce cha­grin d’une vio­lence plus ou moins théâ­trale reste encore le meilleur moyen de rendre socia­le­ment, viri­le­ment, accep­table le temps d’un mor­ceau le fait de se plaindre, hur­ler et gémir. Le black metal est pro­fon­dé­ment né des tra­vers de l’éducation ultra gen­rée et mas­cu­line qui empêche les hommes d’exprimer leurs émo­tions de manière saine. Et en ce sens, il s’agit peut être du genre musi­cal le plus poten­tiel­le­ment révo­lu­tion­naire qui soit.

D’où l’importance d’une réap­pro­pria­tion du genre par l’extrême-gauche, ce qui ces der­niers temps me semble être un peu plus qu’un espoir au vu des pro­duc­tions enga­gées et les ini­tia­tives de groupes qui émergent ici et là.

Ce ne sont bien sûr pas les seuls à lan­cer des ini­tia­tives. Le punk fran­çais et fran­co­phone est plus que dyna­mique et four­nit de très belles perles, et ce depuis tou­jours.

Et j’en oublie : Le fameux groupe The oppres­sed outre atlan­tique, les groupes comme Hors contrôle, Radi­cal kit­ten, Ekkaia, Gas­mask ter­ror et tout le mou­ve­ment du punk dischargeMen­tion­nons aus­si les indis­pen­sables russes de Mos­cow death bri­gade, La Vida Cues­ta Liber­tades, DSA com­man­do, etc.

Pour aller plus loin, quelques chaînes/vidéos sur divers thèmes liées à la pen­sée pro­gres­siste d’extrême-gauche et à la cri­tique de la pen­sée de droite

Pour les anglo­phones :

L’idéologie des dif­fé­rents groupes de metal cités comme illus­tra­tion de ma plon­gée dans l’imaginaire d’extrême droite païen et néo-nazi.

  • Black magick SS : à ce que je sache, ce n’est pas un groupe NSBM . Il joue sur une esthé­tique nazie éso­té­rique mêlée de psy­ché­dé­lisme très 70’s et glo­ba­le­ment toute la culture occulte nazie décou­lant du livre fon­da­teur Le matin des magi­ciens, de Pau­wels et Ber­gier.
  • Malé­fice : Idem, mais bien que la musique en elle-même soit assez pur­gée au pre­mier abord d’un mani­feste poli­tique, les inter­wiews des membres qui défi­nissent entre autres leur musique comme de « L’Ahne­nerbe black metal », ne laissent guère place au doute (l’Ahne­nerbe For­schungs und Lehr­ge­mein­schaft, c’est-à-dire « Socié­té pour la recherche et l’en­sei­gne­ment sur l’hé­ri­tage ances­tral », était un ins­ti­tut de recherches plu­ri­dis­ci­pli­naire nazi, créé par le Reichsfüh­rer-SS Hein­rich Himm­ler).
  • Kom­man­do Peste Noire : natio­na­liste, iden­ti­taire, anar­chi­sant de droite.
  • Suh­nop­fer : le membre cen­tral du groupe est pas­sé par le groupe Peste noire et appa­raît notam­ment dans le docu­men­taire « la chaise dyable »
  • Ver­mine : NSBM décla­ré
  • Régi­ment : pétai­niste
  • Constan­ti­nople : roya­liste, anti répu­bli­cain viru­lent
  • Drudkh : très lié au groupe NSBM Hate forest
  • Akit­sa : natio­na­liste.

Sug­ges­tion de lec­ture : Tue­ries. For­ce­nés et sui­ci­daires à l’ère du capi­ta­lisme abso­lu, de Fran­co « Bifo » Berar­di, Lux Edi­teur, 2016.

22 réponses

  1. Thomas dit :

    Incroyable, mer­ci beau­coup pour ce témoi­gnage.
    Il y a énor­mé­ment de points que je n’ai pas cité dans mon témoi­gnage que tu évoques (Dieu­don­né, Soral, Arthaud, etc…)

    Si tu sou­haites échan­ger avec moi mes mails et DM sont ouverts, et je res­pec­te­rai ton ano­ny­mat quoi qu’il en coute cama­rade !

    BRAVO

  2. Eric-André Favre, sur Face­book, m’in­dique qu’il y a éga­le­ment un groupe de metal de gauche, Zeal and ardor, qui allie blues et metal. Qu’il en soit remer­cié

    • Thomas dit :

      On trouve même des élé­ments de Gos­pel ins­pi­rés du « Negro Spi­ri­tual » dans Z&A.
      Allez Richard, je suis sur qu’il y a moyen qu’on te forge une culture (et une armure) Metal digne des plus grands cercles de l’en­fer !

      • Marc dit :

        Il y a beau­coup de choses à dire sur Zeal & Ardor. À com­men­cer par le fon­da­teur, Manuel Gagneux, dont la mère est afro-amé­ri­caine (dans un genre musi­cal qui ne brille pas par sa diver­si­té), et de son his­toire, qui est une réac­tion à un com­men­taire nau­séa­bond sur 4chan (Gagneux allait cher­cher l’ins­pi­ra­tion là-bas, en deman­dant des idées genres musi­caux à fusion­ner. À un « black metal », quel­qu’un a pen­sé bon de répondre « negro music » ; le reste fait désor­mais par­tie de l’his­toire). Le pro­jet ima­gine ce qui ce serait pas­sé si les esclaves noir⋅es américain⋅es s’é­taient tourné⋅es vers Satan… tout un pro­gramme (et pour le coup, le pro­gramme n’est pas ambi­guë).

        Le der­nier (mini-)album (Wake of a Nation) vaut par­ti­cu­liè­re­ment le coup d’o­reilles. Autant le sous-texte du pro­jet a tou­jours été très clair, autant les ques­tions de dis­cri­mi­na­tion raciale sont mises très fron­ta­le­ment en avant sur ce for­mat court, qui tranche aus­si avec une évo­lu­tion vers des sons plus actuels (limite R’n’B par rap­port au gos­pel des deux pre­miers albums) et des field recor­dings (de manif” BLM), et avec un titre en pied de nez aux supré­ma­cistes blanc⋅hes (dif­fi­cile de ne pas le voir comme une réfé­rence au Birth of a Nation cher aux fanas du KKK).

  3. Sur les Réseaux sociaux, quel­qu’un a deman­dé ce qu’il était adve­nu de ses ami·es de l’é­poque. Voi­ci sa réponse.

    Je pense que ca trans­pa­raît dans le texte mais peut être n’ai je pas assez insis­té : Je me suis for­mé et radi­ca­li­sé seul, je n’ai pas fait par­tie d’un groupe d’a­mis ou on fai­sait de la pro­voc ado­les­cente comme pour Tho­mas. Mon édu­ca­tion et les exemples que j’a­vais sous les yeux, l’am­biance dans laquelle j’ai gran­di, ont été fon­da­men­tales pour mon orien­ta­tion mais dans le par­cours idéo­lo­gique à pro­pre­ment par­ler, j’ai tou­jours été mon propre moteur. Depuis mon enfance j’ai tou­jours été très, très, TRÈS aso­cial et ma « pra­tique » des idéo­lo­gies néo-nazies/de droite tiennent beau­coup d’une atti­tude dandy/anarchisante de droite. J’é­tais d’ac­cord avec la culture skin­head sur le plan des idées, mais la culture hooligan/pilier de bar/ratonnade en blou­son noir (de même que les raids sur inter­net) j’a­vais trop de fier­té (ou de mépris de classe tout sim­ple­ment) pour ne pas juger ça comme pué­ril et cré­tin, voire « bas­se­ment popu­laire ».
    Si je devais ris­quer un paral­lèle, je me sen­tais vis-à-vis des gros bras racistes de mon lycée un peu comme Ernest Kan­to­ro­wicz, fervent natio­na­liste alle­mand des années 20–30, membre des Frei­korps, se sen­tait par rap­port aux nazis de son époque : en accord sur une large par­tie des idées et du pro­gramme, réprou­vant leur « phi­lis­ti­nisme bru­tal », mais lais­sant faire jus­qu’à ce que les­dits phi­lis­tins viennent le cher­cher, lui qui était certes un his­to­rien natio­na­liste pro­fon­dé­ment atta­ché à l’Al­le­magne et à son renou­veau après-guerre, mais qui avait le tort d’être juif, homo­sexuel et bien trop indi­vi­dua­liste.

    Tout ça pour dire que je n’ai guère « d’an­ciens amis » dont je peux affir­mer qu’ils soient deve­nus ci ou ça… Dans l’en­semble hor­mis quelques rares per­sonnes comme l’a­mi que je men­tionne dans mon texte, il faut par­ler de « connais­sances » croi­sées lors d’un « contexte » dans lequel j’ai gran­di, un sub­strat dans lequel j’ai pui­sé.
    Pour l’a­mi en ques­tion, que je vois tou­jours aujourd’­hui, parce qu’on se connaît depuis qu’on a 11 ans et qu’on a tout fait ensemble et que (en ce qui me concerne) il a été un peu plus qu’un ami pen­dant un temps : il n’a jamais été skin, juste un solide fils d’a­gri­cul­teurs fêtard et pilier de bar qui vote Marine le Pen comme ses parents avant lui. C’est pas pour dire que « c’est bon y a pire », juste : c’est une per­sonne banale, père par ailleurs aimant de 3 enfants qui a une vie aujourd’­hui banale, hor­mis qu’il s’est sépa­ré d’a­vec la mère de ses enfants.
    Pour le reste des gens de mon lycée : Ils ont cer­tai­ne­ment pour beau­coup repris leur exploi­ta­tion fami­liale et n’ont sans doute pas chan­gé leurs convic­tions poli­tiques.
    Mon cou­sin qui m’a fait décou­vrir Dieu­don­né n’a jamais été plus loin que l’hu­mour noir « poli­ti­que­ment incor­rect », au contraire d’un autre de mes cou­sis que je vois très rare­ment et qui aux der­nières nou­velles est chez Géné­ra­tion Iden­ti­taire.
    Mon père est tou­jours un libé­ral-conser­va­teur qui fait des blagues anti­sé­mites sous les molles reprises de ma mère qui laisse faire, comme depuis tou­jours.
    Voi­la. C’est banal à pleu­rer. »

  4. Stan dit :

    « Ma com­pré­hen­sion et remise en cause de l’essentialisme (les gens ont une nature innée et inchan­geable de nais­sance), là où la gauche est construc­ti­viste (tout est construc­tion sociale et influences). »

    Sauf que les deux rai­son­ne­ments sont faux :
    -> Per­sonne n’est d’es­sence immuable et inchan­geable. Tout bouge.
    -> Per­sonne ne se construit à par­tir de rien. Il y a tou­jours un « déjà-là », une base.

    Bref, il y a encore du bou­lot ! 😉
    Je taquine, mais plus sérieu­se­ment, La tronche en biais en a régu­liè­re­ment par­lé, de cette fausse dicho­to­mie innée/acquis.

    Tou­jours est-il que c’est très bien de t’être sor­ti de cette merde. Il y a beau­coup de conne­ries là où tu as navi­gué, et ça ne peut que faire du bien de s’en éloi­gner. Néan­moins, sur­tout au vue de ton par­cours, reje­ter en bloc toute idée de droite me semble aus­si absurde que d’ac­cep­ter sans condi­tion toute idée de droite. Pareil pour la gauche. Tech­ni­que­ment par­lant, la véri­té n’a pas de camp ! Sinon ça se sau­rait. Qu’on ai une cer­taine sen­si­bi­li­té, c’est très bien, tant mieux, mais pour abor­der fron­ta­le­ment un pro­blème don­né, il me semble plus hon­nête de confron­ter tous les points de vue, pour s’en faire une idée la plus com­plète pos­sible. C’est pour­quoi je trouve étrange cette démarche (homme de paille ?) de résu­mer l’ex­trême droite à ses tares (« L’extrême-droite a une vision para­noïaque, bio­lo­gi­sante et dépres­sive du monde ») alors que pre­miè­re­ment, rien que la dépres­sion et la para­noïa sont loin d’être spé­ci­fiques à l’ED ! Et deuxiè­me­ment, ce serait tout sim­ple­ment jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans tes lec­tures citées plus haut par exemple, ce serait une erreur de ne pas s’in­té­res­ser à Céline, Spen­gler ou Jün­ger parce qu’ils sont très pré­sents à droite. Ils ont en effet mille choses à nous apprendre et ont d’ailleurs une pos­té­ri­té plus que consé­quente !
    Bref, tout ça pour dire que je com­prend ton « déma­trixage » et le rejet qui en découle, mais je trouve regret­table de ne fina­le­ment s’in­té­res­ser ensuite qu’à son exacte contraire, par symé­trie, comme par exemple ne citer que des groupes de BM « LGBT » friend­ly ou anti­fa, qui sont pour­tant, il faut être hon­nête 30 secondes, loin d’être inté­res­sants musi­ca­le­ment par­lant ! De la même manière que tous les groupes NSBM sont loin d’être inté­res­sants juste parce qu’ils seraient « enga­gés » ou « res­pec­tueux des tra­di­tions », bri­ser tous les codes et rompre avec le pas­sé ne donne pas néces­sai­re­ment des choses inté­res­santes à écou­ter. C’est d’ailleurs plu­tôt un argu­ment de faci­li­té.

    Sur ce, au plai­sir d’a­voir peut-être un retour de ta part !
    A bien­tôt,

    • Hel­lo, ce n’est pas ma dis­cus­sion, mais comme elle se passe chez moi je me per­mets d’in­ter­ve­nir juste sur un point. Quand tu écris « Tech­ni­que­ment par­lant, la véri­té n’a pas de camp ! Sinon ça se sau­rait. ». Je bute sur cette pĥrase pour 2 rai­sons. La 1ère, c’est que l’au­teur ne cherche pas la véri­té (qui n’a pas de sens sur le plan scien­ti­fique, d’ailleurs, mais bon j’en ai tel­le­ment par­lé qu’on va dire que je radote), mais une cer­taine jus­tesse morale. Confondre les deux, on est pas loin de ce que Hume appe­lait le is-ought fal­la­cy, ou guillo­tine de Hume : en termes non jar­gon­nant tirer de ce qui est ce qui doit être. la 2nde, c’est le « ça se sau­rait ». Je tra­vaille depuis trop long­temps sur des sujets comme ça pour savoir qu’il y a des choses fausses qui se savent trop, et des choses solides qui ne se savent pas. Voi­là, par­don de m’être mêlé à la cau­sette, je repars mon kir à la main vers une autre table :))

      • Stan dit :

        Bonne remarque ! J’ai peut-être écrit un peu vite, je vais donc pré­ci­ser ma pen­sée :
        Ok pour le terme « véri­té », rem­pla­çons-le par « jus­tesse morale » si vous le sou­hai­tez, le sens de ce que je veux dire est fran­che­ment le même. A savoir : tout le monde à l’im­pres­sion d’être dans le bon camp ! Les gens de droite ne sont pas moins juste mora­le­ment que les gens de gauche, et vice ver­sa. Que ce soit chez les per­sonnes modé­rées ou bien por­tées vers les extrêmes. Niveau jus­tesse morale : cha­cun voit midi à sa porte ! Sinon, le XX ème siècle n’au­rait pas connu NI le tota­li­ta­risme fas­ciste, NI le tota­li­ta­risme com­mu­niste.
        Quand je dis « ça se sau­rait », je veux dire par là que si c’é­tait le cas, s’il y avait entre droite et gauche une manière d’être – de toute évi­dence – plus morale que l’autre, plus juste, alors il n’y aurait pas une telle répar­ti­tion gauche/droite dans la popu­la­tion, qua­si­ment 50/50 à peu de choses près. Si l’é­vi­dence morale d’un « camp » trans­pa­rais­sait plus que l’autre, alors tous le monde s’en reven­di­que­rait, et donc… il n’y aurait plus « deux camp », mais bien un seul (et des pous­sières). Bref, la dicho­to­mie se ferait ailleurs. Or, on parle tou­jours de droite/gauche et cette dicho­to­mie est tou­jours valable. Donc encore une fois « ça se sau­rait » veut dire : « gauche et droite existent tou­jours » ! Est-ce plus clair ain­si ?

        • Oui c’est plus clair, mais je pense que jus­te­ment, la dicho­to­mie droite / gauche n’est plus opé­ra­toire en sciences poli­tiques.
          Par ailleurs je sou­mets à votre reflexion ce point : de mes lec­tures des phi­lo­sophes moraux, trans­pa­rait quand même qu’il y a des vies meilleures que d’autres, au sens de plus sym­pas à vivre (style : mieux vaut être quel­qu’un d’ai­mé qui aide les gens, qui est heu­reux en famille et avec beau­coup d’a­mi sans mala­die, qu’une enfant noire malade sous-nutrie uni­jam­biste que tout le monde déteste parce qu’al­bi­nos. Or (à condi­tion de prendre la même pré­misse consé­quen­tia­liste que moi qui est qu’il vaut mieux réduire la souf­france chez 2 per­sonnes plu­tôt que chez une) ce sont tou­jours des chan­ge­ments pro­gres­sistes (donc « de gauche » dans la vieille grille de lec­ture) qui ont ame­né à moins de souf­france, en ouvrant tou­jours plus de droit. Je ne connais pas bcp de cas de chan­ge­ments conser­va­teurs qui ait appor­té un bien-être coillec­tif à long terme (à court terme oui, Soli­dar­nosc, Ceau­ses­cu 1ère décen­nie, etc, mais à long terme c’est le retour en arrière). Si le lexique que j’emploie n’est pas clair, regar­dez mon der­nier cours en ligne de la série Zété­tique & auto­déf. intel­lec­tuelle (you­tube, ou mieux peer­tube, n°12 je crois, phi­lo morale). A +

  5. Stan dit :

    Disons que cette dicho­to­mie a subie des vas-et-vient, cer­taines idées sont pas­sées de gauche à droite (le natio­na­lisme par exemple), d’autres de droite à gauche, elle est en effet sou­vent dis­cu­tée et sa per­ti­nence est régu­liè­re­ment remise en ques­tion, mais dans l’en­semble, admet­tons-le, elle reste lar­ge­ment uti­li­sée par tous, on parle tou­jours d’EG, d’ED, d’ul­tra-gauche, d’ul­tra-droite, etc sans que per­sonne ne soit per­du (on voit de quoi on parle « en gros »), et certes, les sciences poli­tiques sont plus nuan­cées, mais ne l’ont pas éva­cuée pour autant il me semble.

    Et de toute façon, peu importe ces nuances, puisque votre article se fiche pré­ci­sé­ment de celle-ci ! Elle parle bien de « droite » et de « gauche » sans que cela ne pose de pro­blème à aucun lec­teur héhé.

    Quant à votre réflexion, pré­ci­sé­ment, vous recen­trez la dicho­to­mie sur progressiste/conservateur, qui n’est en réa­li­té pas tout à fait la même sépa­ra­tion que gauche/droite ! Pour reprendre une for­mule bien connue, la gauche n’a pas le mono­pole du pro­grès, et la droite n’a pas non plus le mono­pole de la conser­va­tion ! Donc on ne se place fina­le­ment plus du tout sur les mêmes pro­blèmes. Exemple simple : l’é­co­lo­gie se doit d’être conser­va­trice car elle veut pré­ser­ver « ce qui est » dans la nature, or, l’ex­ploi­ta­tion de la la nature, c’est ce qui a fait que l’homme a la meilleure espé­rance de vie jamais éga­lée dans l’His­toire, que le PIB de l’hu­ma­ni­té n’a jamais été aus­si éle­vé, etc. (vous connais­sez le tableau je pense). Bref, le bon­heur de l’homme actuel, il passe aus­si par la souf­france de l’homme de demain ! C’est déjà plus déli­cat à gérer comme pro­blème, n’est ce pas ? On n’est pas dans le simple « Dilemme du Tram­way » trop réduc­teur. Le pro­grès n’est pas sans consé­quence. N’ou­blions pas éga­le­ment que dans l’His­toire, le mou­ve­ment futu­risme, son amour du pro­grès, de la vitesse, etc. a été pro­fon­dé­ment liée au fas­cisme ! Donc tout ça est beau­coup plus com­plexe qu’il n’en a l’air, encore une fois.

    Sur votre exemple pour illus­trer qu’il y aurait des cri­tères objec­tifs de « bonne morale », certes ! Encore une fois, sur des cri­tères simples, c’est facile de tran­cher : mieux vaut être en bonne san­té que malade, mieux vaut être riche que pauvre, mieux vaut être bien­veillant qu’égoïste, etc. Sauf que tous les mondes est d’ac­cord avec ça ! Ca n’en fait donc pas une phi­lo­so­phie morale. Vous me pro­po­sez un exemple volon­tai­re­ment cari­ca­tu­ral, je vais donc vous répondre avec un contre-exemple aus­si cari­ca­tu­ral : si le but d’une « bonne » phi­lo­so­phie morale est de rendre heu­reux le plus grand nombre de per­sonnes pos­sible, alors est doit auto­ri­ser les viols col­lec­tifs ! En effet, lors d’un viol col­lec­tif, 9 per­sonnes sur 10 (ou 19/20, etc.) sont a prio­ri heu­reuses ! C’est donc un très bon score ! Si vous me par­don­ne­rez cet exemple, vous voyez bien que c’est plus com­pli­qué que juste « réduire la souf­france chez 2 per­sonnes plu­tôt que chez une » !

    • Fred V. dit :

      [trig­ger alert : viol]
      Bon­jour,

      De ce que j’ai com­pris de mes lec­tures, le bon­heur n’est pas à consi­dé­rer comme un état binaire (j’ob­tiens du plai­sir = je suis heu­reux ; j’ai du déplai­sir = je suis mal­heu­reux). Il y aurait plein de choses à redire sur la défi­ni­tion du bon­heur de manière géné­rale, mais pour pas faire un post trop long, je vais par­tir du prin­cipe que vous seriez prêt à accep­ter qu’il ne suf­fit pas d’a­voir du plai­sir pour être heu­reux, ou du déplai­sir pour être mal­heu­reux.
      Par ailleurs, que l’on attri­bue le bon­heur au plai­sir ou non, dans tous les cas, je suis sûr que vous seriez tout aus­si prêt à admettre qu’il y a des niveaux de plai­sir ou de bon­heur variés, que ce n’est pas binaire : il y a des choses qui rendent plus ou moins heu­reuses et plus ou moins mal­heu­reuses. Si mon enfant décède, on peut très vite ima­gi­ner que pour la plu­part des gens ce sera per­çu comme quelque chose qui contri­bue beau­coup plus à mon mal­heur que si ma voi­ture tombe en panne. C’est je crois en ce sens que le rela­ti­visme moral pose pro­blème : il est qua­si­ment uni­ver­sel (en prin­cipe du moins, en action les choses sont dif­fé­rentes) qu’il vaut mieux sacri­fier sa voi­ture pour sau­ver son enfant que l’in­verse. Les évé­ne­ments sont pon­dé­rés par un niveau de contri­bu­tion au bon­heur ou au mal­heur.

      Je pars du prin­cipe que vous par­ta­gez le même constat : à par­tir de là on voit que votre exemple du viol col­lec­tif ne répond pas à ces cri­tères. Même en regar­dant la tra­gé­die sous un angle uti­li­ta­riste, on peut je crois faci­le­ment consi­dé­rer pour­quoi ça reste pro­fon­dé­ment immo­ral, au moins pour ces trois rai­sons :
      1) Déjà évo­qué, il y a le flou entre plai­sir et bon­heur. On peut pro­fon­dé­ment dou­ter qu’un plai­sir sexuel violent puisse être une brique qui contri­bue au bon­heur, au contraire il paraît com­pli­qué de dou­ter qu’a­voir subi une telle vio­lence ne contri­bue pas au mal­heur de la per­sonne qui a du subir cet évé­ne­ment tra­gique.
      2) Quand bien même on consi­dé­re­rait que ça contri­bue au bon­heur des cri­mi­nels, ce dont je doute très sin­cè­re­ment, à quel point ? Si l’on pon­dère les évé­ne­ments, j’ai l’im­pres­sion qu’on peut rai­son­na­ble­ment pen­ser que même si cela contri­bue­rait au bon­heur de 20 per­sonnes, la contri­bu­tion est extrê­me­ment mar­gi­nale com­pa­rée à la des­truc­tion de la vie et de l’é­tat men­tal d’une per­sonne. Du coup même d’un point de vue uti­li­ta­riste cela ne se jus­ti­fie pas.
      3) On pour­rait je pense aller plus loin que ce que le point 1 déve­loppe : non seule­ment il est selon moi très rai­son­nable de pen­ser que cela ne contri­bue pas au bon­heur des agres­seurs mais même que cela contri­bue au mal­heur de ceux-ci, au moins sur le long-terme. J’ai peine à croire, ou alors peut-être à quelques excep­tions cli­niques très rares, que même chez la pire des ordures il n’y a pas un gramme d’hu­ma­ni­té caché au fond d’une géante pile de caca. J’ai la convic­tion qu’un sin­cère bon­heur ne peut réel­le­ment sub­ve­nir si ces par­ties humaines qui sont en nous sont com­plè­te­ment niées. Est-ce une intui­tion ou un héri­tage de l’é­vo­lu­tion, je ne sais pas, ou alors le fait de vivre dans une Socié­té avec tout de même quelques bases morales uni­ver­sa­li­sées, en tout cas je crois que tout le monde peut sen­tir en lui pour­quoi le viol c’est mora­le­ment mau­vais. C’est pas très ratio­na­liste ce que je vais dire, mais je crois que ça se passe de rai­son­ne­ment en fait. Ou alors faut être dans un déni de ouf, puisque ça revient soit à consi­dé­rer que le viol n’est pas source de mal­heur, soit que la vic­time du viol n’a pas le droit au bon­heur ou à l’ab­sence de mal­heur. Mais je doute qu’on puisse être heu­reux dans le déni, ou alors que ce déni soit éter­nel : la chute sera d’au­tant plus ter­rible, lorsque les agres­seurs sor­ti­ront de leur déni (je crois d’ailleurs que c’est un des angles sur les­quels on essaie de tra­vailler en jus­tice res­tau­ra­tive, où des agres­seurs vont ren­con­trer des familles de vic­times qui ont subi le même type de tra­gé­dies qu’ont infli­gé ces agres­seurs, et les aider à entrer en empa­thie et prendre la mesure de la souf­france qu’ils ont géné­ré, en somme sor­tir de ce déni). Ou alors il faut que l’a­gres­seur ait per­du tota­le­ment tout sens moral, soit entré dans un pro­fond nihi­lisme, ou alors un état cli­nique qui conduit à l’im­pos­si­bi­li­té de res­sen­tir des choses, mais dans ce cas aus­si on peut sérieu­se­ment dou­ter que ce soient les condi­tions idéales pour accé­der au bon­heur.

      Là j’ai sur­tout décrit le consé­quen­tia­lisme de l’acte mais si on est plus convain­cu par le consé­quen­tia­lisme de la règle, cela per­met tout de même d’ar­ri­ver à des conclu­sions simi­laires : si l’on consi­dère que vio­ler apporte plus de bon­heur col­lec­ti­ve­ment aux agres­seurs que la quan­ti­té de mal­heur infli­gée indi­vi­duel­le­ment aux vic­times (ce qui est une conclu­sion irra­tion­nelle, mais soit), on ne vou­drait quand même pas que cette règle soit géné­ra­li­sée : si l’on consi­dère que l’on peut vio­ler, alors on peut être aus­si soi-même vic­time de viol, et donc ce sup­po­sé bon­heur col­lec­tif est contre­car­ré par le mal­heur indi­vi­duel quand je me retrouve moi-même vic­time de cette morale.
      Au même titre, si je consi­dère que je peux infli­ger des mal­heurs à des per­sonnes au regard de leurs dif­fé­rences avec moi, alors je peux moi aus­si me voir infli­ger des mal­heurs au regard de mes dif­fé­rences avec eux : il n’y a rien qui jus­ti­fie ration­nel­le­ment que je sois du côté des « pri­vi­lé­giés » selon cette morale. La seule chose qui per­met de jus­ti­fier cela, c’est si l’on consi­dère que je ne peux pas être vic­time de cette morale, parce que je consi­dère que les dif­fé­rences des autres jus­ti­fient un écart entre leurs droits et les miens, ce que vient défendre l’es­sen­tia­lisme (je déve­loppe plus loin).
      On peut aus­si en déduire aus­si des prin­cipes en éthique déon­to­lo­gique, ce avec quoi Kant serait peut-être d’ac­cord : si je consi­dère que je peux vio­ler alors je consi­dère que je peux être vio­lé (à par­tir du moment où j’ad­met une éga­li­té de droits et un prin­cipe de non-contra­dic­tion, évi­dem­ment), or si je suis d’ac­cord pour être vio­lé, ce n’est plus un viol, or si ce n’est pas un viol je ne peux pas être d’ac­cord ou pas d’ac­cord avec : il y a contra­dic­tion évi­dente. Et selon les règles de la morale déon­to­lo­gique, je ne peux pas adop­ter une règle morale qui se contre­dit.
      Bref, il y a dif­fé­rentes visions de voir la ques­tion sous des angles moraux dif­fé­rents avec une démarche ration­nelle, à condi­tion de déve­lop­per un rai­son­ne­ment logique évi­dem­ment.

      Ce qu’il se passe dans la réa­li­té, selon ma vision, c’est que la plu­part essaient de ratio­na­li­ser ce qu’ils croient déjà, ce qui peut en effet don­ner l’im­pres­sion que tout le monde pos­sède « une morale », puisque celle-ci trouve ses argu­ments pour la jus­ti­fier. Par exemple, pour pou­voir jus­ti­fier l’es­cla­vage de manière morale, il suf­fit de consi­dé­rer que les per­sonnes domi­nées ne sont pas des personnes/des humains. Du coup, même sous un angle uti­li­ta­riste, peut faci­le­ment venir l’i­dée que puisque telle com­mu­nau­té a plus de valeur qu’une autre, alors même une contri­bu­tion mini­male (sup­po­sée) au bon­heur de telle com­mu­nau­té sera consi­dé­rée comme mieux qu’une contri­bu­tion maxi­male au bon­heur d’au­trui, puisque l’on pon­dère le bon­heur de l’un tel qu’il soit supé­rieur au bonheur/malheur de l’autre.

      C’est dans ce sens là que l’es­sen­tia­lisme vient jouer son rôle : il suf­fit de consi­dé­rer que telle popu­la­tion pos­sède telles carac­té­ris­tiques, puis de consi­dé­rer que ces carac­té­ris­tiques sont mau­vaises (en terme moral, ou autre : « immo­rales » ou « amo­rales », « per­verses », « contre-nature », « dan­ge­reuses », etc), et ensuite de hié­rar­chi­ser tout ça dans une pers­pec­tive axio­lo­gique (basée sur les valeurs), et on obtient le cock­tail par­fait pour manu­fac­tu­rer une morale dis­cri­mi­na­toire.

      Et en fait cette morale est cohé­rente en elle-même, c’est ce qui fait qu’on peut effec­ti­ve­ment l’en­vi­sa­ger (à tort) comme une « morale cohé­rente » dans l’ab­so­lu, et donc « une morale par­mi d’autres », d’où une cer­taine forme de rela­ti­visme morale.

      Mais quelque soit la morale à laquelle on aspire (déon­to­lo­gique, ou uti­li­ta­riste par exemple), si on accepte une méthode ratio­na­liste (et peut-être que c’est là que réside le pro­blème fina­le­ment : dans le refus d’être ration­nel), alors il est pos­sible de démon­trer l’in­co­hé­rence de cette morale essen­tia­liste en démon­trant l’ir­ra­tio­na­li­té des axiomes, c’est-à-dire le pré­sup­po­sé faux sur lequel se base l’es­sen­tia­lisme (je ne vais pas le faire ici, on peut trou­ver de nom­breux tra­vaux en sciences sociales sur le sujet).

      A par­tir du moment où l’on sait que l’es­sen­tia­lisme n’est pas un bon modèle pour décrire le genre humain, alors les posi­tions morales ration­nelles doivent nous conduire vers des idéo­lo­gies qui ne confortent pas cette idée essen­tia­liste mais au contraire la démontent, donc des idéo­lo­gies qui visent à plus d’é­ga­li­té plu­tôt qu’à créer des dis­sen­sions, apar­theid, camps de concen­tra­tion et autres outils de ségré­ga­tion et de des­truc­tion d’en­ti­tés ou groupes sociaux essen­tia­li­sés, réduits à des por­teurs en eux-mêmes d’une carac­té­ris­tique qu’il faut com­battre. A par­tir du moment où l’on accepte que la pro­blé­ma­tique ne se situe pas dans ce que sont les gens (ou ce qu’on croit qu’ils sont), et que cette défi­ni­tion onto­lo­gique n’est pas immuable, alors on peut accep­ter de ne plus juger les indi­vi­dus sur ce que l’on pense qu’ils sont et au contraire se concen­trer sur la Socié­té que l’on sou­haite obte­nir, en pous­sant dans cette direc­tion tout le monde, quels qu’ils soient, non pas en reje­tant la dif­fé­rence mais en s’en enri­chis­sant, dans une pers­pec­tive d’un bon­heur géné­ra­li­sé, de ce qu’ap­porte autrui mais sur­tout en consi­dé­rant que cha­cun et cha­cune pos­sède les mêmes droits d’ac­cès à ce bon­heur. C’est essen­tiel­le­ment en agran­dis­sant le « pool » d’in­di­vi­dus que l’on consi­dère comme pos­ses­seurs du même droit d’ac­cès au bon­heur que l’on avance vers un pro­gres­sisme social qui génère plus de bon­heur (même sous un angle pure­ment arith­mé­tique), ce qui a pu se faire his­to­ri­que­ment (et que par­tiel­le­ment hélas), en incluant dans la sphère des déten­teurs de droits les indi­vi­dus d’o­ri­gine eth­nique dif­fé­rente de la nôtre, en incluant les femmes, etc, et peut-être à l’a­ve­nir en incluant les ani­maux. Pour ça il faut faire le constat que le « jeu du bon­heur » n’est pas un jeu à somme nulle : tout comme pour le savoir, le bon­heur dans le monde n’est pas en quan­ti­té limi­tée, ce n’est pas un vase plein qui se déverse dans un vase vide, je n’ai pas besoin de vider quel­qu’un de son bon­heur pour pou­voir me rem­plir de bon­heur : comme pour le savoir, c’est en géné­ral même plu­tôt l’in­verse, c’est-à-dire que j’ai plus de pro­ba­bi­li­tés d’être heu­reux si tous les autres sont heu­reux (et d’ac­qué­rir du savoir si les autres ont du savoir). Ca se par­tage, c’est conta­gieux. Du coup il devient ration­nel effec­ti­ve­ment d’aug­men­ter l’en­semble des indi­vi­dus qui ont le droit au bon­heur : plus d’op­por­tu­ni­tés de rendre des indi­vi­dus heu­reux, c’est plus d’op­por­tu­ni­tés d’aug­men­ter le bon­heur géné­ral. Et de même, je peux aus­si en déduire ration­nel­le­ment que s’il y a une petite pro­ba­bi­li­té que j’ai oublié d’in­té­grer dans ce droit au bon­heur une cer­taine caté­go­rie d’in­di­vi­dus (les ani­maux par exemple), alors que j’au­rais du, les consé­quences de l’af­flic­tion d’un mal­heur ou d’un déni de bon­heur sont tel­le­ment impor­tantes qu’elles contre­ba­lancent le fait même de consi­dé­rer que cette pro­ba­bi­li­té soit petite.

      Déso­lé j’ai été un peu long.

      PS : il existe tout à fait des limites à l’u­ti­li­ta­risme moral, j’es­père ne pas avoir don­né l’illu­sion que je les niais. La nou­velle d’Ur­su­la Le Guin, « Ceux qui partent d’O­me­las », illustre assez bien ces limites avec une expé­rience de pen­sée : dans cette œuvre, le bon­heur de l’en­semble de la popu­la­tion (vrai bon­heur et pour toute la popu­la­tion, donc assez loin de l’exemple du viol col­lec­tif) est direc­te­ment et pro­por­tion­nel­le­ment lié au mal­heur d’un enfant unique dans une geôle. Il est assez facile je crois de res­sen­tir en quoi c’est situa­tion est mora­le­ment inac­cep­table, mais la ques­tion morale en phi­lo­so­phie est très com­pli­quée et non entiè­re­ment réso­lue.

      PPS : ma croyance pro­fonde est que tout se base sur l’illu­sion d’une cohé­rence qui résulte d’un mau­vais rai­son­ne­ment. Les axiomes (pos­tu­lats, pré­misses, pré­ju­gés), sont mau­vais, et comme tout le rai­son­ne­ment qui suit déroule de ces axiomes, il est ration­nel­le­ment faux mais reste valide donc cohé­rent. Or l’on retrouve ces défauts de rai­son­ne­ment dans l’en­semble du spectre poli­tique, y com­pris dans les mou­ve­ments éco­lo­gistes ou de gauches radi­caux, même si je crois que ces per­sonnes ont (par chance, par intui­tion ou édu­ca­tion) réus­sit à tom­ber sur des conclu­sions justes (selon moi), le rai­son­ne­ment qui les sous-tend peut par­tir d’axiomes qui sont tout aus­si faux que ceux qu’on peut trou­ver à l’ex­trême-droite par exemple. Pour don­ner un exemple : deux per­sonnes peuvent être d’ac­cord sur la conclu­sion scien­ti­fique et consen­suelle qu’il y a un chan­ge­ment cli­ma­tique d’o­ri­gine anthro­pique, mais l’une peut déduire cette conclu­sion des résul­tats d’une méthode scien­ti­fique et ration­nelle qui conduit à cette conclu­sion, et l’autre obte­nir la même conclu­sion parce que « un ami/Dieu/un esprit lui a dit », ou parce qu’elle en a « l’in­tui­tion ». Mon intui­tion (pour le coup) c’est quand même que cette situa­tion est moins grave qu’à l’ex­trême-droite, même si le même défaut de rai­son­ne­ment est à l’o­ri­gine des deux (et il faut lut­ter contre ce défaut de rai­son­ne­ment), les conclu­sions du pre­mier (pro­té­ger la pla­nète, amour uni­ver­sel etc) ont quand même des consé­quences plus posi­tives que les conclu­sions du second (exclu­sion, haine, ségré­ga­tion, vio­lence), entre autres choses parce qu’on peut consi­dé­rer qu’une Socié­té basée sur l’a­mour de l’autre a plus de chances de contri­buer au bon­heur géné­ral qu’une Socié­té basée sur la haine de l’autre.

      • Stan dit :

        Voi­là ma réponse rema­niée pour Fred V :

        Tout ce long déve­lop­pe­ment pour finir sur une conclu­sion à la Yann Arthus Ber­trand ! Le fameux “bon­heur natio­nal brut” du Bhou­tan peut-être ? Comme cha­cun sait, mieux vaut le bon­heur plu­tôt que le mal­heur ! L’amour du pro­chain plu­tôt que la haine de l’autre ! La paix plu­tôt que la guerre ! Les bisous plu­tôt que les baffes !

        C’est vrai­ment ce qu’on apprend en cours de phi­lo­so­phie ? Dis­ser­ter sur 20 000 signes pour ter­mi­ner par des évi­dences, pire, des pla­ti­tudes digne des soi­rées Miss France ? C’est loin de ce que je croyais mais j’espère me trom­per…

        Tout ce déve­lop­pe­ment pour rien d’ailleurs, comme je le disais d’emblée : à “exemple cari­ca­tu­ral” je pro­po­sais un “contre-exemple cari­ca­tu­ral”, il n’y avait donc là rien de phi­lo­so­phique a pro­pre­ment par­lé, juste une simple bou­tade ! Rien de plus. Mais visi­ble­ment, com­prendre une bou­tade semble tout aus­si dif­fi­cile que répondre sur le fond du mes­sage.

        Pour recen­trer jus­te­ment l’échange sur le sujet de base, à savoir : le NSBM, et la com­pré­hen­sion de l’extrême-droite par l’auteur : croire que celle-ci aurait le mono­pole de la haine, et que l’amour n’existe que d’un seul côté de l’échiquier poli­tique, c’est avoir un réel pro­blème de céci­té, c’est tout ce que je rele­vais. Ces deux sen­ti­ments sont d’ailleurs loin de résu­mer ces deux pôles. De manière géné­rale, bien avant que les notions de droite et de gauche aient d’ailleurs un sens, les civi­li­sa­tions humaines se sont avant tout construites sur des valeurs (ou des morales si vous le sou­hai­tez) emprun­tant à des sen­ti­ments bien plus sub­tils et com­plexes que juste l’amour ou la haine, et pri­vi­lé­gier l’un à l’autre n’a pas ren­du les civi­li­sa­tions plus (ou moins) “durables” en quoi que ce soit. Cela n’en fait donc pas des cri­tères per­ti­nent pour pen­ser (au sens sérieux du terme) une quel­conque mou­vance poli­tique et donc encore moins un cou­rant musi­cal (le sujet de base, pour rap­pel !). Pour le dire sim­ple­ment : il n’est pas ques­tion de morale ici.
        Se poser la ques­tion de la morale sur le NSBM, c’est répondre en fait à côté de la plaque. J’es­père m’être mieux fait com­prendre.

        • Fred V. dit :

          Bon­jour,
          déso­lé pour le retard, ma vie était trop rem­plie pour prendre le temps d’une réponse ici, j’es­père que tu seras noti­fié que j’ai répon­du.

          Sur la pre­mière par­tie de ton mes­sage : je trouve que c’est un résu­mé assez cari­ca­tu­ral de l’entièreté de mon mes­sage, à la limite de l’homme de paille, mais soit, je vais quand même essayer de déce­ler ton argu­men­taire der­rière.

          Le fait de décrire quelque chose qui te semble être une pla­ti­tude, c’est jus­te­ment ce qui per­met de par­tir de constats com­muns (les pos­tu­lats ou axiomes dont je parle dans mon mes­sage). Si pour toi c’est une pla­ti­tude, non seule­ment ça n’en fait pas un contre-argu­ment (le fait d’être une pla­ti­tude n’in­dique pas que quelque chose est faux), mais par ailleurs je dirais même au contraire puisque ça sug­gère plu­tôt que la plu­part des humains seraient d’ac­cord avec ces constats (ce qui pour le coup en ferait une pla­ti­tude).

          L’a­van­tage, c’est que ça fait donc un point de départ pour ten­ter de décrire un pro­jet poli­tique de manière ration­nelle (qui découle aus­si d’un pro­jet moral : le lien entre morale et poli­tique est d’une telle évi­dence que je n’ar­rive pas à com­prendre com­ment tu peux consi­dé­rer que la ques­tion morale n’a rien à faire dans une dis­cus­sion sur la poli­tique). Si on accepte le constat que tout le monde veut être heu­reux (qui est une pla­ti­tude), alors on peut donc s’in­ter­ro­ger sur ce qui per­met au maxi­mum de monde d’être heu­reux. Il me semble qu’il s’a­git d’une suite logique.
          Et donc, à par­tir de là, peut en décou­ler une réflexion sur le pro­jet poli­tique : quel pro­jet peut, ration­nel­le­ment, per­mettre d’al­ler dans la direc­tion qui maxi­ma­lise le bon­heur ? Quels com­por­te­ments, quelles déci­sions poli­tiques per­mettent d’aug­men­ter le bon­heur chez plus d’in­di­vi­dus ?

          Donc pla­ti­tudes ou pas, peu importe, il me semble que ce sont les bonnes ques­tions à se poser si on veut ana­ly­ser et com­pa­rer des pro­jets poli­tiques à la lumière de leur cohé­rence par rap­port à un socle moral com­mun, ou plu­tôt leur cohé­rence logique à par­tir de constats com­muns (comme le bon­heur géné­ra­li­sé).

          Oui, je parle encore de la morale, cela dit je te rap­pelle que tu as abor­dé le sujet avant moi, puisque voi­ci la pré­ci­sion sur ton pre­mier argu­men­taire ici même : « Quand je dis “ça se sau­rait”, je veux dire par là que si c’était le cas, s’il y avait entre droite et gauche une manière d’être — de toute évi­dence — plus morale que l’autre, plus juste, alors il n’y aurait pas une telle répar­ti­tion gauche/droite dans la popu­la­tion, qua­si­ment 50/50 à peu de choses près. Si l’évidence morale d’un “camp” trans­pa­rais­sait plus que l’autre, alors tous le monde s’en reven­di­que­rait, et donc… ».

          C’est en réponse à cet argu­ment que tu nous pro­poses (et ceux qui en découlent, où tu ne nommes pas la morale spé­ci­fi­que­ment mais la sug­gère) que j’a­borde donc la ques­tion morale. Mon angle n’est en revanche pas de confir­mer ou infir­mer si l’en­semble de l’é­chi­quier poli­tique dis­pose d’une morale et si cette morale est cohé­rente en elle-même (j’ai déjà défen­du que oui dans mon mes­sage pré­cé­dente), mais bien de défendre l’i­dée que l’en­semble de l’é­chi­quier poli­tique ne dis­pose pas du même niveau de cohé­rence avec les constats de départ des­quels nous sommes cen­sés décou­ler, dit autre­ment, si l’on part des mêmes axiomes, ou pla­ti­tudes (bon­heur géné­ra­li­sé par exemple), et que par un pro­ces­sus logique on arrive sur un pro­jet poli­tique, je crois qu’on a plus de chances d’ar­ri­ver à cer­tains pro­jets poli­tiques plu­tôt que d’autres. Mon opi­nion per­son­nelle consi­dé­rant que de cette façon on arrive plu­tôt vers des pro­jets poli­tiques dits « de gauche » que vers des pro­jets poli­tiques dits « de droite ».

          Sur ta « blague », alors il faut admettre que t’as pas lais­sé beau­coup d’in­dices qui lais­saient pen­ser que c’é­tait une blague, tu m’en excu­se­ras, mais sur­tout cette blague est pré­ci­sé­ment l’exemple que tu donnes pour illus­trer un de tes argu­ments (en pro­po­sant un contre-exemple pour défendre ta posi­tion par l’ab­surde). Donc, si je veux m’op­po­ser à ton argu­ment, il était logique que je prenne ta démons­tra­tion par l’ab­surde, blague ou non, pour mon­trer que cette démons­tra­tion n’est pas conclu­sive et ne peut donc pas ser­vir à illus­trer ton argu­ment, qui du coup n’en demeure pas convain­cant.

          Sur la deuxième par­tie de ton mes­sage : per­sonne n’a par­lé de « mono­pole de l’a­mour ou de la haine » il me semble, mais soit. On va dire que la ques­tion ici c’est est-ce qu’un ou l’autre sen­ti­ment (amour ou haine, ou des décli­nai­sons plus sub­tiles) contri­bue ou a contri­bué à la « dura­bi­li­té » des civi­li­sa­tions.

          Bon alors pour ça je vois deux approches : la pre­mière, c’est de décli­ner tout sim­ple­ment cet objec­tif. Peut-être que jus­te­ment l’ob­jet d’un pro­jet poli­tique ne doit pas (ou pas seule­ment) être de pro­lon­ger la « dura­bi­li­té », disons la rési­lience, du genre humain ou des civi­li­sa­tions humaines, mais d’aug­men­ter le bon­heur. J’en ai déjà pas mal par­lé, donc je ne veux pas y reve­nir, mais j’i­ma­gine qu’on pour­ra tom­ber d’ac­cord, sans démons­tra­tion, que tout humain ou presque sou­haite sur­vivre oui (ou per­sé­vé­rer dans son être) mais aus­si être heu­reux. A par­tir de là, on peut donc se ques­tion­ner si l’a­mour ou la haine, même s’ils ne chan­geaient abso­lu­ment rien à l’ob­jec­tif « sur­vie » (ce qu’il reste à démon­trer), en revanche changent beau­coup à l’ob­jec­tif « être heu­reux ». M’est avis que l’a­mour est dans l’en­semble beau­coup plus effi­cace pour rendre heu­reux, que la haine pré­ci­sé­ment (avis qu’on pour­rait décli­ner et nuan­cer à tous les sen­ti­ments sub­tils que tu pour­ras glis­ser entre l’a­mour et la haine). Le fait que ce soit une pla­ti­tude, ne rend pas cette croyance fausse à mes yeux. Pour la suite, se réfé­rer à mon argu­men­taire pré­cé­dent.

          La deuxième approche, c’est s’op­po­ser à l’i­dée que la haine et l’a­mour n’ont pas d’im­pact sur la rési­lience des civi­li­sa­tions humaines, voire, pour aller plus loin, sur la sur­vie du genre humain. Moi j’ai quand même l’im­pres­sion que les sciences aujourd’­hui (entre autre l’ap­proche évo­lu­tion­niste mais pas seule­ment) nous sug­gèrent quand même que la sur­vie de l’es­pèce humaine est très lar­ge­ment favo­ri­sée dans un élan coopé­ra­tif. Donc même avec une approche pure­ment bio­lo­gique, il semble quand même que tout ce qui favo­rise la coopé­ra­tion de manière géné­rale, donc tout ce qui per­met d’être accep­té dans un groupe humain (et qui donc per­met d’aug­men­ter ses chances de sur­vie et de se repro­duire, c’est-à-dire les bases de se qui défi­nie la sélec­tion natu­relle), est quelque chose à l’a­van­tage de l’hu­main. Dans cette pers­pec­tive, on peut donc en décou­ler que favo­ri­ser une phi­lo­so­phie morale et/ou un pro­jet poli­tique qui favo­risent la coopé­ra­tion, qui en somme maxi­misent la pro­ba­bi­li­té pour un humain don­né d’être accep­té par une plus grande plu­ra­li­té d’hu­mains, aug­men­tant ses chances de sur­vive et sa pro­ba­bi­li­té de se repro­duire, est une approche cohé­rente encore une fois avec ce que nous dit l’é­tat actuel des connais­sances scien­ti­fiques. Et là encore, mon opi­nion est que les pro­jets poli­tiques dits « de gauche » sont là aus­si plus cohé­rents avec cette vision évo­lu­tion­niste, que les pro­jets poli­tiques dits « de droite ». En terme de sur­vie on peut aus­si men­tion­ner évi­dem­ment le soin accor­dé à l’en­vi­ron­ne­ment (et donc la ques­tion éco­lo­gique), mais c’est un sujet de dis­cus­sion bien trop long et qui s’é­loigne un peu du sujet de départ (même si l’ap­proche de la ques­tion éco­lo­gique n’est pas du tout la même « à gauche » et « à droite », et témoigne donc là aus­si d’une dif­fé­rence de rap­port entre le pro­jet poli­tique et la cohé­rence avec ce que nous disent les sciences).
          Pour l’ap­proche évo­lu­tion­niste je conseille les vidéos de vul­ga­ri­sa­tion de Homo Fabu­lus, qui ne traitent pas notre sujet direc­te­ment mais qui sont éclai­rantes.

          Du coup pour conclure et bou­cler avec le sujet de départ, il semble qu’il y a effec­ti­ve­ment un « camp poli­tique » qui pos­sède une plus grande jus­tesse morale qu’un autre (ce que tu ne sembles pas accep­ter et qui a moti­vé ton pre­mier mes­sage), dans le sens ou celui-ci serait plus cohé­rent avec l’en­semble des connais­sances scien­ti­fiques à la fois sur le plan évo­lu­tion­niste et bio­lo­gique (aug­men­ter la coopé­ra­tion plu­tôt que la com­pé­ti­tion) et à la fois sur le plan moral (aug­men­ter le bon­heur d’un maxi­mum d’in­di­vi­dus), à par­tir du moment où on part du même constat de départ moral (que chaque humain sou­haite être heu­reux). Je ne l’ai pas abor­dé (mais ça rejoint l’angle évo­lu­tion­niste), mais selon moi on arrive aux mêmes constats si on pense à la sta­bi­li­té d’une socié­té (une socié­té est stable si elle n’est pas en guerre, or là encore, les pro­jets poli­tiques des dif­fé­rents « camps » n’ont pas le même rap­port à la guerre, qu’elle soit externe ou interne).

          Cor­dia­le­ment,
          Fred

          • Stan dit :

            Tout d’abord, mer­ci pour votre réponse ! C’est tou­jours agréable de voir que l’on ne parle pas dans le vide.

            Je com­prend votre volon­té de ten­ter une « objec­ti­va­tion » de la poli­tique par une objec­ti­va­tion de la morale, votre volon­té de défi­nir des « piliers moraux » pour mieux com­prendre les pro­jets poli­tiques (la « volon­té de sur­vivre » ou « le bon­heur » que vous citez par exemple). Sauf qu’à mon sens, ce sont des cri­tères assez flous, que vous défi­nis­sez assez mal, et qu’en plus, ils ne sont pas suf­fi­sant à mon sens pour déter­mi­ner une bonne poli­tique (je vais y reve­nir). J’aimerai déjà que vous répon­diez à cette ques­tion simple : com­ment défi­nis­sez-vous le bon­heur ? Com­ment le mesu­rez-vous ? Sur quel cri­tère ? Sur quelle échelle de valeur ? Et com­ment choi­sis­sez-vous ces valeurs ? On aime­rait plus de concret, car ce sont des termes vagues, et j’ai bien peur qu’on retombe dans mon para­doxe pré­cé­dent, où cha­cun voit le bon­heur où il veut.

            Pour com­men­cer, je tiens à rap­pe­ler qu’à aucun moment je nie le lien (effec­ti­ve­ment évident) entre morale et poli­tique, je dis, et vous sem­blez l’avoir très bien com­pris, que ce n’est pas un cri­tère per­ti­nent pour par­ler poli­tique. Pour­quoi je le pense ? Pour la rai­son déjà évo­quée au tout début de mon inter­ven­tion, excu­sez-moi de me citer : « Niveau jus­tesse morale : cha­cun voit midi à sa porte ! ». Tout sim­ple­ment. Vous me dites que je suis le pre­mier à avoir par­lé de morale ? Mais jus­te­ment pour dire que ce n’est pas per­ti­nent ! Pour­quoi insis­ter ? Je me dois encore une fois de détailler mon argu­men­taire. En effet, quand les uns se battent pour « la jus­tice sociale », les autres pour « l’émancipation humaine » et encore pour « la gran­deur de tel pays ou de tel peuple », à quel moment peut-on rai­son­na­ble­ment tran­cher sans être d’accord avec tout le monde ? Qui aurait la légi­ti­mi­té pour tran­cher d’ailleurs ? Tout le monde se bat pour le bien, le juste, le beau, le vrai ! Du com­mu­nisme au nazisme, du régime le plus auto­ri­taire au régime le plus liber­taire, cha­cun pense agir au nom du bien ! C’est simple, trou­vez-moi UN contre-exemple pour me don­ner tort ! Ce que vous ne sem­blez pas com­prendre, c’est que tout le monde à la morale de son côté ! Et per­sonne, jusqu’à preuve du contraire, n’est omni­scient au point de pou­voir avoir le recul néces­saire pour juger de la réelle jus­tesse ou de la réelle faus­se­té d’une morale don­née. Même si c’est votre sou­hait, visi­ble­ment. Pre­nons quelques exemples concrets : quand les algé­riens se battent pour leur indé­pen­dance en 1954, est-ce mora­le­ment juste ? Et quand les cata­lans se battent pour les mêmes rai­sons encore aujourd’hui, est-ce tou­jours mora­le­ment juste ? Et les bri­tan­niques avec le Brexit ? On voit bien que pour une même « pul­sion morale », une même volon­té éman­ci­pa­trice, les points de vues seront radi­ca­le­ment dif­fé­rents selon les per­sonnes ! Car le contexte l’est éga­le­ment. Preuve que la « morale » ne per­met pas tou­jours de tran­cher. Il n’y a pas tou­jours de lien de cau­sa­li­té entre une bonne morale et une bonne poli­tique.

            J’ajouterai que se battre pour une « bonne » morale est une chose, mais cela se com­plique lorsqu’on parle (comme ici), non pas de poli­tique direc­te­ment, c’est-à-dire d’un pro­jet poli­tique don­né dans une socié­té don­née, mais d’un mou­ve­ment musi­cal, à savoir ici le NSBM, donc de groupes de Black Metal se reven­di­quant du nazisme ! Pour­quoi est-ce dif­fé­rent ? Car de la même manière qu’un groupe de Reg­gae a cer­tai­ne­ment une morale, mais pas de réel pro­jet poli­tique à pro­po­ser der­rière, juste des sen­ti­ments à faire pas­ser, de la même manière que sa morale affi­chée est plus de l’ordre du « pic­tu­ral » et de l’émotionnel, un groupe de NSBM n’a pas plus de pro­jet poli­tique sérieux à pro­po­ser, juste des sen­ti­ments à faire pas­ser. Et typi­que­ment, un « sen­ti­ment de révolte » par exemple, n’a pas de cou­leur poli­tique, il peut aus­si bien être de droite que de gauche, pro­gres­siste que réac­tion­naire, ou que sais-je encore comme anta­go­nisme. Bref, un groupe de musique, encore une fois, ne pose pas de morale, mais des sen­ti­ments. Je me répète, mais par­tir de la morale pour juger une musique, ou plus lar­ge­ment un cou­rant musi­cal, c’est une erreur, et cela le sera tou­jours. Est-ce j’arrive à me faire com­prendre là-des­sus ?

            Du reste, j’ai bien com­pris que vous étiez « de gauche », mais de fait, vous admet­tez un biais idéo­lo­gique fla­grant : toute pen­sée éti­que­tée de gauche aura plu­tôt votre faveur que votre défa­veur ! Ce qui est assez cocasse, car vous vous reven­di­quez d’une méthode « objec­tive », que vous dites cohé­rente avec la science (je vous cite : « cohé­rente encore une fois avec ce que nous dit l’état actuel des connais­sances scien­ti­fiques. »), et qui per­met­trait de conclure « ô miracle » à une supé­rio­ri­té des pro­jets poli­tiques de gauche ! C’est aus­si ridi­cule et gros­sier que si un chi­nois met­tait au point une méthode « objec­tive » pour affir­mer que le peuple chi­nois est supé­rieur à tous les peuples ! Per­sonne ne le pren­drais au sérieux. Excu­sez-moi d’en faire de même ici.
            En outre, j’attire votre atten­tion sur le fait que cette dicho­to­mie droite/gauche est extrê­me­ment récente à l’échelle de l’Histoire. De fait, com­ment décrire un « pro­jet poli­tique » comme l’Empire Romain par exemple ? Droite ou gauche ? Moral ou immo­ral ? Est-ce même per­ti­nent ? Pas sûr…

            C’est tout le pro­blème de votre approche, elle se donne des airs d’objectivité, alors qu’elle ne l’est pas du tout. Quand vous dites : « Mon angle [est] bien de défendre l’idée que l’ensemble de l’échiquier poli­tique ne dis­pose pas du même niveau de cohé­rence avec les constats de départ des­quels nous sommes cen­sés décou­ler », ma ques­tion est en toute logique : par quels outils jugez-vous le niveau de cohé­rence d’un dis­cours ? Par quelle méthode ? D’où vient-elle ? Car jusqu’à preuve du contraire, il n’existe pas de « consen­sus scien­ti­fique » mon­dial en poli­tique ! Ce n’est pas une science exacte. Il existe un consen­sus sur les lois phy­siques (la gra­vi­té, l’électromagnétisme, etc.), mais il n’existe pas de consen­sus sur le « bon­heur d’un peuple » par exemple, ni sur son carac­tère « éman­ci­pé » ou je ne sais quel autre cri­tère. Donc quand vous ajou­tez : « si l’on part des mêmes axiomes, ou pla­ti­tudes (bon­heur géné­ra­li­sé par exemple), et que par un pro­ces­sus logique on arrive sur un pro­jet poli­tique, je crois qu’on a plus de chances d’arriver à cer­tains pro­jets poli­tiques plu­tôt que d’autres. », vous dites une contre-véri­té, car ce que vous appe­lez « pro­ces­sus logique » n’existe tout sim­ple­ment pas en science poli­tique ! C’est une chi­mère. Il n’y pas de « loi du bon­heur » en poli­tique. En réa­li­té, vos axiomes ne sont pas stables. Car encore une fois, je l’ai dit : cha­cun voit midi à sa porte ! Cha­cun se bat pour « le bon­heur » de son peuple en théo­rie, et on voit bien qu’en pra­tique, les résul­tats ne sont jamais les mêmes !

            Pre­nons un exemple simple pour se faire com­prendre, un exemple que vous appré­cie­rez : le socia­lisme ! Les axiomes sont clairs, le but louable (le pri­mat du lien sur l’individu), pour­tant, his­to­ri­que­ment, il a don­né aus­si bien le Socia­lisme Liber­taire, les Anar­chistes et la Com­mune de Paris que le Socia­lisme scien­ti­fique, le fas­cisme (Mus­so­li­ni vient du socia­lisme), le mar­xiste-léni­niste, le Sta­li­nisme et les Gou­lags ! Dans un cas, on a effec­ti­ve­ment obser­vé une éman­ci­pa­tion humaine et des sur­sauts révo­lu­tion­naires, dans l’autre, un état tota­li­taire, des camps de tra­vail et des mil­lions de morts ! Preuve que même si les axiomes sont bons et la morale bonne, le résul­tat pour­ra être très dif­fé­rents selon le contexte, car l’histoire est bien plus com­plexe que ça. La morale n’est donc ici, encore une fois, d’aucune uti­li­té pour juger de jus­tesse d’un pro­jet poli­tique. Juger le socia­lisme sur son carac­tère « moral » n’est d’aucune uti­li­té pour déter­mi­ner si un pro­jet poli­tique sera bon ou non. Vous com­pre­nez mon point de vue ? Je ne dis rien d’autre, en réa­li­té. Mes axiomes, ce sont les faits his­to­riques, par les idées morales abs­traites.

            Au final, j’ai l’impression que vous essayez de cal­quer le rai­son­ne­ment des sciences dures à la poli­tique, alors que ça ne marche pas du tout comme ça. C’est plu­tôt naïf de croire qu’il suf­fi­rait de par­tir d’une « bonne » morale (qui fait la liste d’ailleurs ?) pour ensuite arri­ver à une « bonne » poli­tique. Les liens de cau­sa­li­té n’existent pas aus­si clai­re­ment que vous pou­vez le croire. J’ai cité quelques exemples plus haut pour le com­prendre.

            Quant à votre approche « évo­lu­tion­niste », excu­sez-moi, mais elle est un brin naïve elle aus­si, et par­cel­laire, car l’évolution n’est pas QUE dans la coopé­ra­tion, lire par exemple le best-sel­ler de Richard Daw­kins : « Le Gène égoïste », qui montre très bien cela, à savoir que les gênes qui nous consti­tuent visent uni­que­ment leur inté­rêt propre, pas ceux des autres gênes. Ca ne veut pas dire que la coopé­ra­tion n’y a pas sa place à plus grande échelle (on voit très bien cela dans des tas d’espèces), mais l’évolution ne se résume évi­dem­ment pas à la coopé­ra­tion, en réa­li­té, c’est une com­bi­nai­son de plu­sieurs com­por­te­ments anta­go­nistes. Bref, c’est une vision par­cel­laire du réel que vous avez, donc non scien­ti­fique (la base d’un tra­vail scien­ti­fique, c’est l’état de l’art !). Exemple basique : notre diges­tion. Elle se fait grâce à des mil­liers de bac­té­ries non-humaines, « égoïstes », dont nous tirons nous, un béné­fice coopé­ra­tif, mais qui n’est fina­le­ment pas altruiste à la base ! On pour­rait mul­ti­plier les exemples, mais en réa­li­té, c’est bien plus com­plexe que de résu­mer les bien­faits de l’évolution à la coopé­ra­tion.

            Quant à dire que les pro­jets poli­tiques seraient « plus cohé­rents avec cette vision évo­lu­tion­niste », on est à deux doigts de faire revivre un Dar­wi­nisme Social, qui n’a pas don­né que dans l’altruisme si vous voyez ce que je veux dire, mais aus­si dans le colo­nia­lisme, l’eugénisme et le nazisme ! Au hasard. C’est bal­lot…

            Votre rap­port à la guerre est aus­si pro­fon­dé­ment naïf. Il faut (re?)lire Carl Schmitt, spé­cia­liste de cette ques­tion : la guerre, c’est avant tout l’art de dési­gner l’ennemi ! Or, comme le disait Julien Freund, pro­lon­geant les réflexions de son ainé : « vous pen­sez que c’est vous qui dési­gnez l’ennemi, comme tous les paci­fistes. Du moment que nous ne vou­lons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, rai­son­nez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son enne­mi, vous pou­vez lui faire les plus belles pro­tes­ta­tions d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son enne­mi, vous l’êtes. Et il vous empê­che­ra même de culti­ver votre jar­din. »

            Tout est là ! C’est infi­ni­ment plus sub­tile et phi­lo­so­phique (votre domaine je crois) que de dire que la coopé­ra­tion est plus louable que la com­pé­ti­tion, ou que le bon­heur est le but le plus louable en poli­tique ! Sauf erreur, les croi­sés comme les dji­ha­distes se sont bat­tus et se battent encore pour le bon­heur ! Sont-ils moraux pour autant ? Pas sûr…

            En espé­rant avoir éclair­ci mon approche. Au plai­sir de vous lire.
            Stan.

          • Fred V. dit :

            Bon­jour,

            Avant de ren­trer à nou­veau dans ce qui semble (pour moi) être le cœur du sujet (rela­ti­visme moral, lien entre poli­tique et sciences, etc). Je vais répondre dans le désordre pour ten­ter d’é­car­ter les remarques que vous avez faites qui pour­raient nous éloi­gner de l’en­jeu du sujet.

            Sur le lien entre groupe de musique et poli­tique : alors même si un groupe de musique n’est pas une struc­ture qui porte un pro­jet poli­tique en tant que tel, il s’a­git bien évi­dem­ment d’un medium pour com­mu­ni­quer tel pro­jet poli­tique, de chambre d’é­cho média­tique si vous vou­lez. Ici, le genre est bien NSBM, c’est-à-dire que le pro­jet poli­tique (natio­nal-socia­lisme) est même inclus (et donc reven­di­qué) dans le nom du genre. Dans les paroles, c’est très clair aus­si. Je trouve ça un peu facile de refu­ser d’ad­mettre qu’un groupe social ne serait pas poli­tique sous pré­texte qu’il s’a­git d’un groupe de musique : la musique est tout autant un vec­teur de com­mu­ni­ca­tion qu’un autre. Alors certes par­fois ça peut être com­plè­te­ment dépo­li­ti­sé (j’ai pas l’im­pres­sion qu’A­li­zée reven­dique un pro­jet poli­tique dans ses chan­sons), mais par­fois c’est com­plè­te­ment poli­tique, au même tire qu’un livre, qui est un autre vec­teur de com­mu­ni­ca­tion, peut par­fois être dépo­li­ti­sé (comme un roman pour enfants par exemple, encore que), ou par­fois être com­plè­te­ment poli­tique. Dans le NSBM il y a une volon­té très clair de reven­di­quer les idées du natio­nal-socia­lisme, à la fois théo­riques et pro­jets (d’ac­tion) poli­tiques, et les témoi­gnages comme celui de Tho­mas semblent nous sug­gé­rer aus­si qu’elles jouent un rôle dans la for­ma­tion poli­tique (orien­tée du coup) des audi­teurs.

            Sur le fait que je sois « de gauche » : en fait, c’est sur­tout par hon­nê­te­té intel­lec­tuelle que je vous le dis. Alors effec­ti­ve­ment, il y a un risque de conflit d’in­té­rêt (c’est pour ça que je suis hon­nête), main­te­nant je trouve que c’est conclure bien vite que du fait que j’ai une orien­ta­tion poli­tique, alors tout ce que je dirais sera for­cé­ment biai­sé. J’ai conscience de mon conflit d’in­té­rêt, et même si je ne peux garan­tir 100% d’ob­jec­ti­vi­té, j’es­saye tout de même de faire le maxi­mum, en par­ti­cu­lier, j’es­saye de pro­po­ser un argu­men­taire ration­nel, avec des argu­ments qui peuvent s’é­va­luer en dépit de toute cou­leur poli­tique.
            Dit autre­ment, si vous jugez mes pro­pos à la seule lumière de l’é­ti­quette que vous déci­dez de m’at­tri­buer, vous com­met­tez ce qu’on appelle un ad homi­nem, qui est un nom savant pour sim­ple­ment dire que vous ne jugez plus mes pro­pos pour ce qu’ils sont, mais pour la per­sonne qui les dit. Noter mon conflit d’in­té­rêt est quelque chose qu’il est sain de faire, ce que devrait vous pous­ser à ana­ly­ser mes argu­ments avec d’au­tant plus de pru­dence, mais ça ne dit rien sur la valeur propre de mes argu­ments, ni leur carac­tère objec­tif. Ce que vous devriez faire, c’est ana­ly­ser mes argu­ments pour ce qu’ils sont. Ima­gi­nez-vous que je sois nazi et que je dise exac­te­ment les mêmes choses, si ça vous aide. En plus vous com­met­tez un autre sophisme au pas­sage je trouve (quelque chose dans le goût d’un Cum hoc ergo prop­ter hoc), parce que la dis­cus­sion c’est essen­tiel­le­ment « est-ce que un pro­jet poli­tique de gauche peut être plus proche d’une jus­tesse morale qu’un pro­jet de droite », à par­tir du moment où je défends la posi­tion du « oui », c’est clair que ma posi­tion poli­tique sera plu­tôt orien­tée à gauche. Sauf que vous sem­blez en déduire que c’est parce que je suis de gauche que je prends cette posi­tion, or c’est peut-être pré­ci­sé­ment l’in­verse : c’est peut-être parce que je consi­dère qu’un pro­jet poli­tique de gauche est plus proche d’une jus­tesse morale qu’un pro­jet moral que je me défi­nis poli­ti­que­ment à gauche (parce que pré­ci­sé­ment j’ai envie de défendre le pro­jet poli­tique qui me semble le plus près d’une jus­tesse morale).
            Plu­tôt que dénon­cer mon affi­lia­tion idéo­lo­gique, je vous pro­pose de plu­tôt dénon­cer la jus­tesse de mes argu­ments, quitte à poin­ter du doigt quand vous pen­sez que c’est ma sub­jec­ti­vi­té qui rend un argu­ment spé­ci­fique inva­lide. Si mes argu­ments sont struc­tu­rel­le­ment valides et se basent sur des pré­misses valides elles aus­si, alors vous devriez accep­ter la conclu­sion qui suit, peu importe mes affi­lia­tions poli­tiques.

            Sur la dicho­to­mie droite/gauche : alors en pre­mier lieu, le fait que ce soit une défi­ni­tion moderne ne change rien à la dis­cus­sion je pense. D’a­bord parce qu’il me semble que nous dis­cu­tons dans une pers­pec­tive actuelle donc autant nous rap­por­ter à des notions qui nous concernent direc­te­ment, plu­tôt que de prendre pour réfé­rence des concepts qui ne s’ap­pliquent plus aujourd’­hui, car vieux de 2000 ans. Ensuite, parce qu’il s’a­git d’un point de réfé­rence jus­te­ment, enga­gé par Tho­mas dans son témoi­gnage et qui a conduit la dis­cus­sion jus­qu’à main­te­nant. En tant que point de réfé­rence, il est cen­sé nous faire gagner du temps en fai­sant réfé­rence à dif­fé­rents concepts qui me semblent assez par­ta­gés en France, je veux dire par là que même si c’est gros­sier et récent, la sépa­ra­tion « droite/gauche » per­met tout de même de manière assez clair sur plu­sieurs sujets de sou­li­gner les dif­fé­rences en terme de pro­jets poli­tiques. Alors si cela ne vous convient pas, on peut uti­li­ser d’autres termes (tant qu’on ne s’é­loigne pas du sujet de départ), main­te­nant ça risque d’être plus long et confus que ça l’est déjà. « Pro­gres­siste » et « conser­va­teur » peut-être, c’est-à-dire d’un côté les pro­jets poli­tiques plu­tôt prompts à chan­ger ce qui selon eux doit être chan­gé dans la Socié­té, oppo­sé aux pro­jets poli­tiques plu­tôt prompts à conser­ver ce qui selon eux doit être conser­vé dans la Socié­té. Mais là encore, c’est pas­ser à côté du réel (à gauche on est plu­tôt conser­va­teurs en ce qui concerne la Sécu­ri­té Sociale, par exemple). Bref, il me semble que la dicho­to­mie droit/gauche, que je n’ai pas intro­duite dans la dis­cus­sion pour rap­pel, est un résu­mé gros­sier mais quand même suf­fi­sant pour savoir à peu près de quoi on parle.
            En second lieu, je ne sais pas si l’i­déo­lo­gie natio­nal-socia­liste aurait été per­ti­nente à l’Em­pire Romain, peut-être qu’un groupe NSBM aurait été popu­laire à l’é­poque, je ne sais pas, mais je ne suis pas sûr que ce soit per­ti­nent d’es­sayer de rap­por­ter la poli­tique de l’é­poque à notre monde contem­po­rain. En tout cas, per­son­nel­le­ment ça m’in­té­resse sur un plan his­to­rique mais ça ne m’in­té­resse pas vrai­ment pour dis­cu­ter de pro­jets poli­tiques modernes. En par­ti­cu­lier, je pense que ce serait un ana­chro­nisme de juger les romains sur le plan moral sur la ques­tion de l’es­cla­vage, mais aujourd’­hui je sup­pose que vous seriez d’ac­cord pour dire qu’à notre époque c’est plu­tôt majo­ri­tai­re­ment admis que l’es­cla­vage est un acte immo­ral.

            Sur le dar­wi­nisme social : vous faites un sophisme de la pente glis­sante. Le fait de réflé­chir sur l’in­fluence de l’é­vo­lu­tion dans le com­por­te­ment humain n’im­plique pas for­cé­ment (et loin de là) d’y voir la pro­mo­tion d’un pro­jet poli­tique qui jus­ti­fie­rait mora­le­ment la domi­na­tion d’in­di­vi­dus dis­po­sant de cer­tains cri­tères phy­siques sur d’autres indi­vi­dus. Et du coup ce sophisme de la pente glis­sante vous sert éga­le­ment à créer un déshon­neur par asso­cia­tion.
            En outre, c’est quand même vous qui avez par­lé d’aug­men­ter la « dura­bi­li­té des civi­li­sa­tions », soit en d’autres termes l’adaptabilité des socié­tés humaines, je trouve ça gon­flé de m’at­tri­buer une thèse qui n’est pas la mienne, alors même que c’est vous qui abor­dez le sujet, et ce en usant de plu­sieurs sophismes. Je vous cite, vous faites l’af­fir­ma­tion sui­vante : « les civi­li­sa­tions humaines se sont avant tout construites sur des valeurs[…] emprun­tant à des sen­ti­ments bien plus sub­tils et com­plexes que juste l’amour ou la haine, et pri­vi­lé­gier l’un à l’autre n’a pas ren­du les civi­li­sa­tions plus (ou moins) “durables” en quoi que ce soit ». Mon apar­té sur la dimen­sion évo­lu­tive pro­pose de réfu­ter cette affir­ma­tion, c’est tout.
            Je ne vais pas insis­ter plus là-des­sus, mais je vous demande de faire atten­tion aux méthodes que vous employez dans cette dis­cus­sion, sinon il n’y a pas d’in­té­rêt pour moi à pas­ser des heures à vous faire des réponses construites si en retour je me reçois des vieilles astuces de Scho­pen­hauer pour réponse.

            Sur l’é­vo­lu­tion­nisme : là encore, vous faites un sophisme de l’homme de paille. J’ai bien pré­ci­sé, à plu­sieurs reprises, que je par­lais de l’é­vo­lu­tion de l’es­pèce humaine, donc pas « l’en­semble du monde vivant ». Du coup, par­ler du carac­tère non-coopé­ra­tif de la bac­té­rie est en dehors de mon pro­pos. Ce que les sciences nous disent aujourd’­hui c’est que dans un cadre col­lec­tif (donc pas à l’é­chelle indi­vi­duelle), chez l’es­pèce humaine (donc peut-être pas chez le lion, la bac­té­rie, le para­site ou le cham­pi­gnon), les groupes les plus coopé­ra­tifs amé­liorent leur fit­ness (leur pro­ba­bi­li­té de sur­vivre et de trans­mettre leurs gènes). C’est tout. Alors vous pou­vez réfu­ter ce constat ci, je ne vais pas éplu­cher l’en­tiè­re­té de la lit­té­ra­ture scien­ti­fique et asphyxier mon mes­sage de liens mul­tiples vers des articles, je vous pro­pose de trou­ver les publi­ca­tions qui parlent de ça ou de me faire confiance sur ce point. En tout cas, il ne semble pas que cette décou­verte rentre en contra­dic­tion avec la thèse de Daw­kins.

            Sur la guerre : je vois pas en quoi mon pro­pos est naïf ? Je n’ai fait que deux affir­ma­tions (je donne la contra­po­sée pour la pre­mière, qui me semble plus juste) : (1) une socié­té en guerre n’est pas stable (2) la gauche et la droite n’ont pas le même rap­port à la guerre. Je ne vous ai vu réfu­ter ni l’ar­gu­ment 1 ni l’ar­gu­ment 2. Vous pen­sez qu’une socié­té en guerre peut être stable ? Vous pen­sez que la gauche et la droite ont le même rap­port à la guerre ? C’est l’u­ti­li­sa­tion du terme « rap­port » qui vous dérange ? Alors je peux pré­ci­ser (d’ailleurs, vous avez le droit de me deman­der de pré­ci­ser une notion qui ne vous semble pas clair, plu­tôt que de sug­gé­rer que ma posi­tion serait « naïve ». Faites preuve de cha­ri­té intel­lec­tuelle) : quand je dis qu’ils n’ont pas le même rap­port à la guerre, je veux dire qu’ils ne vont pas for­cé­ment adop­ter les mêmes stra­té­gies C entre autre pour arri­ver à un objec­tif B (en admet­tant qu’il soit iden­tique) d’une socié­té paci­fiée. Entre autre, ils ne vont pas for­cé­ment pro­po­ser les mêmes bud­gets au Minis­tère de la Défense, ni prendre les mêmes déci­sions concer­nant le droit d’in­gé­rence, etc. En par­ti­cu­lier, la tolé­rance sur la guerre comme moyen n’est pas je crois au même niveau. Si vous vou­lez un exemple, on pour­ra noter que l’op­po­si­tion à la guerre du Viet­nam par exemple était lar­ge­ment située à gauche dans l’é­chi­quier poli­tique. C’est donc un fort indice que oui, la gauche et la droite, n’ont pas le même rap­port à la guerre. Je crois que la majo­ri­té des conflits mili­taires contem­po­rains ont reçu une réponse dans un équi­libre à peu près simi­laire.

            Ceci cla­ri­fié, je vous pro­pose de retour­ner dans le cœur du débat.

            Sur le lien entre sciences et poli­tique : alors en pre­mier lieu, les sciences poli­tiques nous apportent tout de même des réponses. Je ne sais pas si on est ici dans le débat (dans lequel je ne veux pas ren­trer) qui consiste à dire que les sciences humaines et sociales ne sont pas vrai­ment des sciences, mais je crois qu’au­jourd’­hui c’est quand même admis en épis­té­mo­lo­gie que l’on peut tirer des connais­sances scien­ti­fiques de domaines en dehors de ce qu’on appelle les « sciences exactes » (ou sciences dures). En par­ti­cu­lier, l’ap­proche his­to­rique que vous sem­blez appré­cier nous donnent des indices sur les consé­quences que peuvent avoir tel pro­jet poli­tique, quand mis à exé­cu­tion. Bien sûr, il s’a­git d’être rigou­reux : il ne s’a­git pas de dire « X se reven­dique de telle idéo­lo­gie poli­tique / morale », « X a mis à exé­cu­tion tel pro­jet poli­tique qui a pour consé­quence Y » donc « l’i­déo­lo­gie poli­tique ou morale de X a pour consé­quence Y », qui serait une ana­lyse gros­sière, mais on peut effec­ti­ve­ment ana­ly­ser quels actions dans tel pro­jet poli­tique entre en cohé­rence avec l’i­déo­lo­gie reven­di­quée au départ (est-ce que ça per­met effec­ti­ve­ment d’a­van­cer vers l’ob­jec­tif dési­ré), et on peut ana­ly­ser si les consé­quences sont sou­hai­tables ou non. Les sciences poli­tiques entrent au croi­se­ment de plu­sieurs autres sciences sociales. Quand vous dites par exemple qu’il n’y a pas de défi­ni­tion objec­tive (ou qui tend à être) de ce qu’est être « éman­ci­pé » par exemple, je ne suis pas d’ac­cord. Il me semble qu’au­jourd’­hui c’est quand même par­fai­te­ment admis que l’é­du­ca­tion joue un rôle posi­tif dans l’é­man­ci­pa­tion des indi­vi­dus. Alors effec­ti­ve­ment (parce que la ques­tion n’est jamais simple), cela ne nous dit pas direc­te­ment quelle édu­ca­tion est la meilleure pour éman­ci­per (c’est d’ailleurs pour cela entre autre qu’il existe les sciences de l’é­du­ca­tion il me semble. Si notre ami Richard Mon­voi­sin passe par là et sou­haite nous éclai­rer là-des­sus, il me semble que c’est son domaine d’ex­per­tise), mais on peut objec­ti­ve­ment admettre qu’il y a des édu­ca­tions qui éman­cipent plus que d’autres. Le fait d’en­sei­gner le créa­tion­nisme par exemple, comme c’est encore d’ac­tua­li­té aux États-Unis, c’est-à-dire d’en­sei­gner une « véri­té » sor­tie d’un livre reli­gieux, plu­tôt que d’en­sei­gner l’é­tat des sciences actuelles (et les méthodes qui vont avec) sur des domaines comme l’é­vo­lu­tion, la géo­lo­gie, etc, c’est clai­re­ment moins éman­ci­pa­teur, non pas spé­cia­le­ment par le conte­nu (le fait d’adhé­rer à la théo­rie de l’é­vo­lu­tion plu­tôt qu’à Adam et Eve n’est pas éman­ci­pa­teur en tant que tel) mais par le fait qu’on enseigne à accep­ter une véri­té pro­cla­mée par une auto­ri­té reli­gieuse plu­tôt que d’u­ti­li­ser des méthodes scien­ti­fiques, de l’es­prit cri­tique et des pro­ces­sus au maxi­mum objec­tifs pour accé­der à une connais­sance, ce que la socio­lo­gie ou la psy­cho­lo­gie pour­ront nous confir­mer comme plus éman­ci­pa­teur pour l’in­di­vi­du que l’in­verse.
            Petite apar­té, mer­ci pour cette ques­tion, cela m’a pous­sé à télé­char­ger des articles sur l’é­pis­té­mo­lo­gie en sciences poli­tiques, ce qui me don­ne­ra sûre­ment des billes sup­plé­men­taires pour répondre à ce type d’ar­gu­ment.

            Ce que mon exemple sur le créa­tion­nisme nous sug­gère, c’est le deuxième point que je vou­lais abor­der, à savoir que les pro­jets poli­tiques se construisent (selon moi) sur deux piliers que sont la dimen­sion pres­crip­tive et la dimen­sion des­crip­tive. Si je devais résu­mer un pro­jet poli­tique, je dirais qu’il se construire comme suit : l’on part d’un point A (situa­tion actuelle), et l’on sou­haite aller vers un point B (l’ob­jec­tif poli­tique, la Socié­té que l’on veut construire, etc), en uti­li­sant des stra­té­gies C (pour aller de A à B).
            L’ob­jec­tif B, cela cor­res­pon­drait à la dimen­sion pres­crip­tive du pro­jet poli­tique, c’est-à-dire que ça cor­res­pond effec­ti­ve­ment à ce que les indi­vi­dus veulent. Ici, il y a effec­ti­ve­ment une forte dimen­sion sub­jec­tive, parce que les indi­vi­dus ne veulent pas for­cé­ment la même chose, que c’est notam­ment for­te­ment influen­cé par la dimen­sion axio­lo­gique (sur les valeurs).
            En revanche, le pro­jet poli­tique se défi­nit aus­si à par­tir de la dimen­sion des­crip­tive : en par­ti­cu­lier, le point de départ (A) doit être cohé­rent avec la réa­li­té. Si mon pro­jet poli­tique se base sur le pré­misse a prio­ri faux que, par exemple, tous les êtres humains sont des simu­la­tions infor­ma­tiques, alors for­cé­ment mon objec­tif (B) risque d’être en inco­hé­rence (mal­gré sa dimen­sion sub­jec­tive) avec la réa­li­té, puis­qu’il part d’un constat qui n’est lui-même pas cohé­rent avec la réa­li­té. Rem­pla­cez l’exemple de la simu­la­tion infor­ma­tique avec tout pré­misse qui vous semble évi­dem­ment et objec­ti­ve­ment faux. Pour un exemple plus concret, aujourd’­hui, selon moi, tout pro­jet qui nie le réchauf­fe­ment cli­ma­tique d’o­ri­gine anthro­pique, qui est consi­dé­ré comme un consen­sus scien­ti­fique, sera for­cé­ment inco­hé­rent avec la réa­li­té. Même dans le cas où l’on admet qu’il n’y a pas de « consen­sus poli­tique », il y a bien des consen­sus scien­ti­fiques sur les­quels ou à par­tir des­quels se basent les pro­jets poli­tiques. Un pro­jet poli­tique qui vou­drait aller dans une Socié­té où l’on peut se dépla­cer plus vite que la lumière ne le pour­rait pas, et l’on peut consen­suel­le­ment admettre que ce pro­jet poli­tique est mau­vais, ou tout du moins n’est pas cohé­rent (sur le plan scien­ti­fique ou logique) avec le monde réel, car le monde réel semble nous dire qu’il n’est pas pos­sible de se dépla­cer plus vite que la lumière. Et si vous vou­lez me répondre que vou­loir se déplace plus vite que la lumière n’est pas un pro­jet poli­tique, alors je vous pro­pose d’être créa­tif en ima­gi­nant un pro­jet poli­tique qui implique d’al­ler plus vite que la lumière (par exemple conqué­rir des exo­pla­nètes situées à des mil­liers d’an­nées lumières).
            Enfin, les stra­té­gies C sont elles aus­si des­crip­tives. Alors il y a une dimen­sion pros­pec­tive éga­le­ment, dans le sens où on pré­dit que telle stra­té­gie va effec­ti­ve­ment mener vers tel objec­tif (et on est pas tou­jours cen­sé le savoir, nos pré­dic­tions ne sont pas tou­jours exactes). Néan­moins, là aus­si les sciences (sociales ou dites « exactes ») peuvent éga­le­ment nous ren­sei­gner sur l’ef­fi­ca­ci­té d’une stra­té­gie C pour aller du point A au point B. Soit parce qu’on veut employer des stra­té­gies que l’on connaît déjà et dont on peut ana­ly­ser la cohé­rence au vue de l’ex­pé­rience (en gros, on sait ce qui marche ou ce qui ne marche pas, ou plu­tôt on peut anti­ci­per qu’à par­tir de A avec la stra­té­gie C, on ne pour­ra pas avoir B), soit parce que divers modèles ou autres argu­men­taires (logiques, oui) arrivent à pré­dire avec une grande pro­ba­bi­li­té que la stra­té­gie C ne per­met pas d’al­ler de A à B, même si elle n’a jamais été tes­tée. Par exemple, on sait que les chlo­ro­fluo­ro­car­bones (CFC) réduisent les gaz à effet de serre (en action immé­diate) mais contri­buent de manière très impor­tante à la des­truc­tion de la couche d’o­zone. Du coup, un pro­jet poli­tique qui vou­drait lut­ter contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique en sug­gé­rant comme stra­té­gie C de déployer des CFC, ne serait pas un pro­jet poli­tique cohé­rent avec la réa­li­té. Là j’ai pris pour exemple quelque chose d’à peu près cré­dible, évi­dem­ment on peut pen­ser à des stra­té­gies encore plus absurdes, comme quel­qu’un qui vou­drait, pour le même objec­tif poli­tique, brû­ler tous les arbres du monde : il est évident que cette stra­té­gie C ne per­met pas d’ar­ri­ver à l’ob­jec­tif B. C’est d’une évi­dence absurde, mais ça nous démontre qu’ef­fec­ti­ve­ment un pro­jet poli­tique, aus­si sub­jec­tif et « non-consen­suel » qu’il soit, doit quand même se baser sur (A) des constats sur le monde qui sont cohé­rents avec la réa­li­té et employer (B) des stra­té­gies qui elles-mêmes sont cohé­rentes avec la réa­li­té, soit en elles-mêmes (doivent pou­voir être employées), soit dans leur fina­li­té, c’est-à-dire per­mettre de pas­ser de A à B.
            En consé­quence, affir­mer que la poli­tique est « non-consen­suelle », en sous-enten­dant qu’elle est donc 100% sub­jec­tive et ne peut se baser sur des notions objec­tives, je trouve que c’est pas­ser à côté de com­ment se construit un pro­jet poli­tique. Le pro­jet poli­tique s’ins­crit bien dans notre monde, et donc il doit par­tir de ce qu’est effec­ti­ve­ment et réel­le­ment notre monde, ce qui implique d’a­voir une lec­ture cohé­rente de ce qu’il est, et cette lec­ture se doit d’être objec­tive au maxi­mum du pos­sible, et tout pro­jet poli­tique implique des actions poli­tiques qui là aus­si doivent être cohé­rentes avec le monde.

            Sur le bon­heur et le rela­ti­visme moral : est-ce qu’il y a une défi­ni­tion stricte et objec­tive de la notion de « bon­heur » ? Non je ne pense pas. Si j’en avais une, qui en plus était rigou­reuse, j’i­ma­gine que je serais éli­gible pour un prix Nobel de la Paix ou équi­valent. Main­te­nant oui je crois qu’on peut quand même défi­nir des cri­tères à peu près uni­ver­sels, peut-être pas de bon­heur mais en tout cas de « vie bonne », « vie pai­sible », etc, ou en tout cas s’y appro­cher. C’est ce qu’es­saient d’ap­pro­cher (je dis bien appro­cher) des indi­ca­teurs comme l’IDH par exemple, ou cer­tains des ODD. Si vous trou­vez que la notion de « bon­heur » est trop floue, alors on peut la rem­pla­cer par dif­fé­rents « sous-thèmes » que nous serions d’ac­cord d’at­tri­buer au bon­heur, ou équi­valent. A prio­ri on peut consi­dé­rer que chaque indi­vi­du aime­rait être libre de pen­ser par soi-même ? La fameuse « liber­té de pen­ser » de Pagny ? A par­tir de là, on peut consi­dé­rer que toute action poli­tique (donc tout pro­jet poli­tique), qui per­met à l’in­di­vi­du de pen­ser par lui-même, per­met de répondre au besoin de chaque indi­vi­du de pen­ser par lui-même, ce qui peut ulti­me­ment conduire à l’aug­men­ta­tion de son bon­heur (ou autre, peu importe, mon rai­son­ne­ment n’est pas atta­ché aux notions par­ti­cu­lières). Et là on peut com­plé­ter avec l’ar­gu­men­taire pré­cé­dent sur l’é­man­ci­pa­tion, et dire que tout pro­jet poli­tique qui pro­pose d’en­sei­gner le créa­tion­nisme ne favo­rise pas la liber­té de pen­ser par soi-même et donc ne contri­bue pas à l’é­man­ci­pa­tion ou au bon­heur de l’in­di­vi­du. Après on peut consi­dé­rer que ça apporte d’autres choses hein (on peut croire qu’ac­cep­ter le créa­tion­nisme per­met de ne pas trop se poser de ques­tions sur le pas­sé, et donc mieux vivre le moment pré­sent et être plus heu­reux, pour­quoi pas). Néan­moins il ne me semble pas si impos­sible que ça de tirer des fils entre un pro­jet poli­tique et en quoi ils contri­buent ou non à une valeur, ni qu’il me semble impos­sible de trou­ver des valeurs qui peuvent être plus ou moins uni­ver­selles. Autre exemple, on peut admettre que vivre heu­reux implique entre autre de jouir d’une cer­taine sécu­ri­té, c’est-à-dire de ne pas ris­quer au quo­ti­dien de mou­rir bru­ta­le­ment, d’être agres­sé ou vio­lé et d’a­voir pour consé­quence une dimi­nu­tion de la san­té phy­sique ou psy­chique. Tout pro­jet poli­tique à peu près rai­son­nable je pense peut admettre un objec­tif (B) d’aug­men­ter la sécu­ri­té d’un maxi­mum d’in­di­vi­dus. Alors oui, effec­ti­ve­ment, cela ne nous dit rien sur ce que le dit pro­jet poli­tique fait comme constats ini­tiaux (A) ni sur les stra­té­gies qu’ils sou­haitent abor­der ©. Mais à par­tir du moment où l’ob­jec­tif (B) est déter­mi­né, alors il est pos­sible de manière objec­tive et ration­nelle oui, je crois, de faire un constat (A) cohé­rent avec le monde réel (et donc les consen­sus scien­ti­fiques) et à par­tir de là déter­mi­ner les stra­té­gies © cohé­rentes avec le réel et qui per­mettent effec­ti­ve­ment d’al­ler de A à B. Dans notre exemple sur la sécu­ri­té des indi­vi­dus, il s’a­git donc de déter­mi­ner des actions poli­tiques qui per­mettent effec­ti­ve­ment d’aug­men­ter la sécu­ri­té des indi­vi­dus, soit parce qu’on les a déjà tes­tées et on sait que ça aug­mente de fait la sécu­ri­té des indi­vi­dus (comme une Loi qui oblige le port de la cein­ture en voi­ture, par exemple) ou parce que des modèles ou expé­ri­men­ta­tions pré­disent qu’ef­fec­ti­ve­ment il y a une grande pro­ba­bi­li­té que ça aug­mente la sécu­ri­té des indi­vi­dus.

            En fin de compte, je ne crois pas que la dif­fi­cul­té en poli­tique soit réel­le­ment de trou­ver des cri­tères objec­tifs ou uni­ver­sels pour pen­ser le poli­tique. Comme j’ai essayé de le démon­trer, il y a beau­coup d’en­droits où de la rigueur scien­ti­fique peut nous éclai­rer sur ce qui est un bon ou un mau­vais pro­jet poli­tique. Je crois que la véri­table dif­fi­cul­té soit dans l’op­po­si­tion entre cer­taines valeurs (ou ce qui semble s’op­po­ser), et l’im­por­tance que l’on accorde à telle valeur plu­tôt qu’une autre, par exemple la fameuse dicho­to­mie liberté/sécurité : est-ce qu’au nom de la sécu­ri­té je dois mettre ma cein­ture en voi­ture, ou ai-je le droit de ne pas le faire au nom de la liber­té ? Vous note­rez que ces ques­tions sont furieu­se­ment d’ac­tua­li­té, avec les masques, les vac­cins, etc.
            L’autre dif­fi­cul­té, évi­dem­ment, c’est que les indi­vi­dus ne font pas for­cé­ment les mêmes constats (A). Mais là il s’a­git avant tout de rigueur scien­ti­fique, ou plu­tôt du cré­dit que cha­cun accorde à telle méthode pour acqué­rir des connais­sances. Ce sont évi­dem­ment des ques­tions essen­tielles, qui sont peut-être plus impor­tantes que l’autre point encore (oppo­si­tions de valeurs). Effec­ti­ve­ment si on n’ar­rive pas à se mettre d’ac­cord sur le monde tel qu’il est, ou sur la cohé­rence des stra­té­gies avec le monde tel qu’il est, alors le pro­jet poli­tique peut être dif­fé­rent même avec un objec­tif com­mun. Mais comme ici j’ai l’im­pres­sion que notre dis­cus­sion porte plu­tôt sur la dimen­sion « ratio­na­li­sa­tion poli­tique », je pré­fères par­tir du prin­cipe qu’on est d’ac­cord qu’il y a au moins une des­crip­tion du monde qui nous semble plus réa­liste qu’une autre, en terme de pro­ba­bi­li­té, à la lumière de l’é­tat des connais­sances actuelles héri­tées de la méthode scien­ti­fique. En outre, il y a des pro­blèmes de constats et de méthodes à droite comme à gauche (j’en avais déjà par­lé dans un mes­sage pré­cé­dent), or ce qui m’in­té­resse ici c’est bien d’es­sayer de défi­nir quel pro­jet poli­tique est meilleur consi­dé­rant son objec­tif (B) et les stra­té­gies qu’il pro­pose d’a­dop­ter ©, ensuite c’est à moi de déter­mi­ner s’il me semble cohé­rent au vu du constat (A) que je fais sur le monde.

            Votre men­tion du dji­ha­disme est par­fai­te­ment juste en ce sens. Si on est sur une défi­ni­tion rela­ti­viste de la morale, alors de fait oui on pour­rait consi­dé­rer qu’ils sont moraux, dans le sens où ils s’ins­crivent pro­ba­ble­ment dans une cohé­rence par rap­port à leur morale et leur concep­tion du monde. Mais pré­ci­sé­ment, c’est parce que leur vision cora­nique du monde ne semble pas cor­res­pondre au monde réel (A), et du coup les stra­té­gies qu’ils adoptent © ne semblent pas per­mettre d’at­teindre l’ob­jec­tif B (de bon­heur) parce qu’elles partent d’un point A qui n’est pas cohé­rent. Si l’on admet­tait que leur vision du monde est cor­recte, alors effec­ti­ve­ment il y a quelque chose de moral dans cette action : si tu crois vrai­ment qu’une vie de ce que tu défi­nis comme étant des péchés va te conduire à souf­frir éter­nel­le­ment en enfer, alors net­toyer le monde de ces « péchés » qui conduisent l’hu­ma­ni­té à une éter­ni­té de souf­france devient un acte moral, et se faire atro­ce­ment assas­si­ner, aus­si immo­ral que ça puisse nous paraître, devient presque déri­soire face à une éter­ni­té de souf­france. Mais ici aus­si, on voit bien que même s’il n’y a pas de consen­sus moral ou poli­tique qui per­met de juger objec­ti­ve­ment le dji­ha­disme, on constate quand même que celui-ci part de constats qui eux sont dans le domaine des­crip­tif et donc peuvent êtres sou­mis à une ana­lyse ration­nelle et scien­ti­fique.

            Cor­dia­le­ment,
            Fred

  6. Stan dit :

    @Fred : je vais com­men­cer par vous répondre sur cer­tains points en par­ti­cu­lier avant de reprendre le fil du « pro­jet poli­tique » en tant que tel (bien déve­lop­pé, mer­ci !). Quand vous dites :

    « Je trouve ça un peu facile de refu­ser d’ad­mettre qu’un groupe social ne serait pas poli­tique sous pré­texte qu’il s’a­git d’un groupe de musique »

    Je tiens à dire que n’ai jamais pré­ten­du cela ! J’ajoute le mot « sérieux » der­rière les mots « pro­jet poli­tique », ce n’est pas pour faire joli. Qu’il y ai un dis­cours poli­tique, ça ne fait aucun doute, mais je ne vais pas refaire ma démons­tra­tion avec le groupe de Reg­gae : un dis­cours ne vaut pas pro­jet ! En musique, les émo­tions priment sur le reste. Connaître l’engagement poli­tique d’un groupe n’a fina­le­ment que peu d’intérêt dans l’appréciation de sa musique. Ça peut en avoir, je ne dis pas le contraire, mais en règle géné­ral ça n’a que peu d’intérêt, quand on y réflé­chie un peu. Se pose-t-on la ques­tion pour un acteur ? Un chef cui­si­nier ? Un bou­lan­ger ? Non, car l’essentiel est dans le résul­tat final, pas dans le pro­ces­sus (ici l’engagement poli­tique) qui peut moti­ver un artiste à faire un type de musique. Pour bien me faire com­prendre je vais prendre un exemple cari­ca­tu­ral : un com­mu­niste enga­gé peut cer­tai­ne­ment trou­ver du plai­sir à écou­ter un groupe de NSBM ! (à son insu vous me direz…), et ça ne devrait d’ailleurs pas chan­ger ses idées ! Car encore une fois, en musique, l’émotion prime sur le fond. D’ailleurs, on voit bien dans le témoi­gnage de Tho­mas ci-des­sus qu’il était orien­té poli­ti­que­ment AVANT d’écouter cette musique (je le cite : « J’ai éga­le­ment été pétri de valeurs répu­bli­caines et patriotes », « J’ai éga­le­ment gran­di avec énor­mé­ment de racisme et anti­sé­mi­tisme autour de moi sous cou­vert d’humour. »). CQFD. Le NSBM ne le cho­quait pas au départ car c’était nor­mal pour lui. De fait, l’influence existe, mais pour ren­for­cer les a prio­ri de Tho­mas, non l’inverse ! Après, je crois com­prendre où se situe notre dis­sen­sus. C’est peut-être notre habi­tude (fran­çaise) de la chan­son qui nous fait croire qu’écouter Renaud par exemple, c’est for­cé­ment adhé­rer au mes­sage car au centre de sa musique, et donc être de gauche, et vice-ver­sa. Sauf que dans les Metal, et a for­tio­ri le Black Metal, il faut gar­der à l’esprit que les textes sont sou­vent secon­daires et incom­pré­hen­sibles ! A moins de les avoir sous les yeux ou de lire des inter­views sur chaque groupe, c’est dif­fi­cile de connaître leurs idées. Cer­tains, avec des paroles très vio­lentes, ne choquent per­sonne car il est presque impos­sible de com­prendre quoi que ce soit ! C’est étrange d’ailleurs, per­sonne ne voit de pro­blème chez les groupes de Thrash Metal lorsqu’ils parlent de guerre nucléaire ou de meurtres, ni chez les groupes de Death Metal à par­ler de la mort, de viols ou de nécro­phi­lie, les groupes sata­nistes ne choquent plus per­sonne, par contre, dès qu’on touche au « natio­nal-socia­lisme », là, bizar­re­ment, les groupes deviennent sus­pect ! Pour­quoi ? Pour­quoi le doute n’est plus per­mis ? Pour­quoi la carte « c’est pour cho­quer, rien d’autre » n’est plus per­mise ? A la réflexion, je trouve ça très étrange comme manière de pen­ser.

    Ensuite, sur la gauche. Quand vous dites :

    « si vous jugez mes pro­pos à la seule lumière de l’é­ti­quette que vous déci­dez de m’at­tri­buer »

    Pas du tout ! Je n’ai aucun pro­blème avec cela, au contraire, j’apprécie votre hon­nê­te­té ! J’en pro­fi­tait juste pour sou­le­ver un para­doxe évi­de­ment dans votre rai­son­ne­ment (on est tous biai­sé d’une manière ou d’une autre), pas pour vous le rap­pro­cher en soi. Par contre, excu­sez-moi mais pour le coup, vous vous éti­que­tez vous-même (je ne vous ai rien deman­dé en ce sens) donc ne me repro­chez pas le faire svp ! J’ai d’ailleurs fait ce que vous me deman­dez : ana­ly­sé vos argu­ments pour ce qu’ils sont. Et je conti­nue de le faire. Sur la dicho­to­mie droite/gauche, j’ai pris un exemple ancien uni­que­ment pour rap­pe­ler son carac­tère his­to­ri­que­ment situé, et donc néces­sai­re­ment rela­tif à une période don­née. La nôtre, en effet ! Ça tombe bien. Vous avez rai­son de le dire. Mais je tenais à rap­pe­ler son carac­tère rela­tif. Pour­quoi ? Car lorsque vous par­lez de morale, vous sem­blez ne par­tir d’aucun encrage en par­ti­cu­lier (pour faire court : le « bon­heur » n’a pas d’histoire ! Alors que la gauche, si.), ce qui, à mon sens, n’est pas com­pa­tible avec les conclu­sions que vous en tirez. Si cer­taines valeur à gauche sont uni­ver­selles, la gauche, elle, n’est pas uni­ver­selle ! C’est d’ailleurs là son prin­ci­pal para­doxe. Sou­le­vé par Marx lui-même, si je ne m’abuse, mais dit autre­ment je crois. Après, je me trompe peut-être de per­sonne, j’ai un trou de mémoire et je n’arrive plus à retrou­ver qui, à gauche, avait le pre­mier sou­le­vé ce para­doxe (uni­ver­sa­li­té des concepts VS non-uni­ver­sa­li­té des idées).

    Pour le dar­wi­nisme social, vous sur-inter­pré­tez mes pro­pos ! Je ne cher­chais pas à vous « désho­no­rer » mais à rap­pe­ler les limites (et impasses) his­to­riques d’un tel rai­son­ne­ment. A savoir : en poli­tique, tout rame­ner au bio­lo­gique est une erreur ! Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire du tout, mais on voit que votre réflexe (vous le répé­tez plu­sieurs fois) c’est de par­tir de la sacro-sainte « Science » et de son « approche évo­lu­tion­niste » pour jus­ti­fier le besoin de coopé­rer entre indi­vi­dus ! Je vais vous don­ner un scoop : on peut jus­ti­fier la coopé­ra­tion entre indi­vi­dus sans invo­quer la science ni la théo­rie de l’évolution ! Dar­win peut res­ter où il est ! Puisque vous aimez nom­mer les sophismes, vous en faites un beau ici : l’appel à la Nature ! Ou l’argument d’autorité, au choix (la science ayant sou­vent valeur d’autorité). Visi­ble­ment, connaître Scho­pen­hauer ne vous aide pas plus que moi à faire de meilleurs « réponses construites » huhu ! Je taquine, mais comme ça revient sou­vent dans votre mes­sage, vous serez gen­tils de ne pas jouer au jeu de celui-qui-fait-le-plus-de-sophismes, car vous voyez bien qu’au final, nous en fai­sons tous, vous éga­le­ment, sans que je n’en tienne rigueur outre mesure (le fond, pas la forme). Je me répète donc, la poli­tique se FOUT de la théo­rie évo­lu­tion­niste, pas parce qu’elle n’aurait rien à nous dire sur l’homme (c’est bien le cas) mais parce que la poli­tique est infi­ni­ment plus com­plexe pour se résu­mer à ses seuls fac­teurs bio­lo­giques. Pour faire une image : on n’apprend pas à pilo­ter un avion de ligne juste en appre­nant les lois de la gra­vi­té ou celles de la ther­mo­dy­na­mique ! C’est cer­tai­ne­ment néces­saire, mais non suf­fi­sant. Dont acte. Ne cam­pez pas sur les théo­ries évo­lu­tion­nistes pour assoir votre sou­hait d’une plus grande col­la­bo­ra­tion entre les hommes. C’est ni néces­saire, ni suf­fi­sant ! Et cela vous évi­te­ra de dire des énor­mi­tés comme celle-ci :

    « il ne semble pas que cette décou­verte rentre en contra­dic­tion avec la thèse de Daw­kins. »

    En fait, si, c’est ce que vous ne com­pre­nez pas. C’est d’ailleurs le prin­cipe de la science : la contra­dic­tion. Si je puis me per­mettre, ça se voit que vous n’avez pas l’esprit scien­ti­fique huhu ! (c’est juste une bou­tade, encore une fois). Je n’ai aucune rai­son de vous faire confiance sur ce point puisque vous n’êtes ni spé­cia­liste de cette ques­tion, ni scien­ti­fique de métier (alors que je le suis ! Mais pas en bio­lo­gie, en phy­sique. Voi­là, moi aus­si je raconte un peu ma vie his­toire d’être trans­pa­rent). J’aurai pu par­ler du dilemme du pri­son­nier, sur­abon­dant dans la lit­té­ra­ture scien­ti­fique à ce sujet pour illus­trer cet anta­go­nisme entre coopé­ra­tion et com­pé­ti­tion. C’est bien beau d’invoquer « la science » pour appuyer un dis­cours et prou­ver que vous avez rai­son, mais quand les scien­ti­fiques trouvent des choses contra­dic­toires, ou ne sont tou­jours pas d’accord entre eux sur des points pré­cis (ici, de savoir si le carac­tère coopé­ra­tif serait plus pro­fi­table à l’espèce que le carac­tère com­pé­ti­tif), com­ment fait-on ? D’ailleurs, c’est amu­sant, suite à votre mes­sage, n’étant pas moi-même un pro­fes­sion­nel de ces ques­tions (bien qu’ayant beau­coup lu sur ces sujets, Daw­kins, Labo­rit, Monod, Jac­quard, etc.) j’ai jus­te­ment fait une recherche sur Google Scho­lar his­toire d’éclairer mes lan­ternes en tapant les mots clés « coope­ra­tion com­pe­ti­tion fit­ness » pour véri­fier si ce que vous dites est vrai. L’un des pre­miers articles à res­sor­tir, un des plus cités aus­si, dit très exac­te­ment : « Coope­ra­tion bet­ween humans will the­re­fore be most like­ly when repea­ted inter­ac­tions take place on a local scale bet­ween small num­bers of people, and com­pe­ti­tion for resources takes place on a more glo­bal scale among large num­bers of people. » Un comble ! Ce n’est pas du tout ce que vous dites. Visi­ble­ment, dans les grands « cadres col­lec­tifs » pour reprendre vos termes, c’est plu­tôt l’inverse qui se passe. Donc excu­sez-moi, mais c’est très facile de trou­ver des argu­ments contra­dic­toires avec les vôtres, chez les spé­cia­listes de ces ques­tions. Ne croyez pas que la science donne néces­sai­re­ment rai­son à votre vision morale du monde. Pour reprendre une for­mule que j’aime beau­coup de Mar­tin Hei­deg­ger : « Ls science ne pense pas » ! Vous devez cer­tai­ne­ment connaître le contexte de cette phrase (c’est votre domaine, je vous fait plei­ne­ment confiance pour le coup), donc je ne vous ferez pas l’affront de l’expliquer ou de la contex­tua­li­ser. Mais je la trouve très à pro­pos dans notre dis­cus­sion. Dit autre­ment, la science est des­crip­tive, pas pres­crip­tive ! Ce n’est pas parce que coopé­ra­tion il y a dans la « nature », que coopé­ra­tion il doit y avoir. C’est encore une fois un sophisme, mais bon, j’ai dit qu’on arrê­tait de rele­ver, alors oublions. En tout cas, j’espère que vous com­pre­nez ce que je cherche à dire. Après tout, vous pou­vez uti­li­ser la science, je n’ai pas de pro­blème avec ça, mais faites-le JUSQU’AU BOUT, pas de manière par­cel­laire, car ce sera for­cé­ment sus­pect, et décré­di­bi­li­ser votre pro­pos.
    Cela me per­met de vous répondre sur un autre point que vous sou­le­viez : je ne fais pas par­tie de ceux qui pensent que les sciences poli­tiques font par­tie des « non-sciences », au contraire, c’est tout à fait res­pec­table d’appliquer des méthodes « qui marchent » dans des champs de la vie com­pli­qués à ana­ly­ser sans cela. Mais je reste méfiant par prin­cipe, car je ne connais que trop bien les sciences dures pour me rendre compte que, même en leur sain, tout n’est pas clair, les « croyances » existent aus­si d’une cer­taine manière ! Donc je valide la méthode, et c’est cette der­nière qui m’impose d’être méfiant sur beau­coup de choses.
    D’ailleurs, apar­té, mais la phi­lo­so­phie, bien que rigou­reuse à sa manière, me semble échap­per (à juste titre) à l’enfermement de la méthode scien­ti­fique (on revient à ce que je disais plus haut sur « la science ne pense pas », contrai­re­ment à la phi­lo­so­phie qui est jus­te­ment « l’art de pen­ser » il me semble, je serai inté­res­sé d’échanger là-des­sus avec vous, vous avez cer­tai­ne­ment un avis dif­fé­rent). J’ai ten­dance à pen­ser que la science a plus besoin de la phi­lo­so­phie que l’inverse. Donc éclai­rer un point de vue phi­lo­so­phique par la science me sem­ble­ra tou­jours peu per­ti­nent. C’est plu­tôt l’inverse qui me semble per­ti­nent, mais je peux me trom­per…

    Sur la guerre, on nage encore une fois dans le flou com­plet avec vous. 1) Une socié­té stable n’existe pas (« stable » ne veut rien dire, stable par rap­port à quoi ? Défi­ni­tion svp ?). 2) « La guerre est la conti­nua­tion de la poli­tique par d’autres moyens » (Clau­se­witz). Ça résume mieux le pro­blème. Exemple simple : Les Etats-Unis sont en guerre per­ma­nente dans le monde entier depuis des années, sont-ils plus instables que d’habitude ? Non, au contraire, cela semble par­ti­ci­per à main­te­nir le pays en place ! Autre exemple, plus proche : la France est en guerre au Mali depuis 2012 (sous Hol­lande ! La gauche !), vous avez l’impression de vivre dans l’instabilité depuis ? Je veux dire, plus qu’avant ? Le pays est-il dans une insta­bi­li­té cri­tique ? Pas à cause de la guerre au Mali en tout cas ! Ce que vous dites a donc beau­coup de mal à trou­ver un ancrage dans le réel. La preuve, vous êtes inca­pable de me citer le moindre exemple après cette affir­ma­tion ! Quand vous dites « une socié­té est stable si elle n’est pas en guerre », pou­vez-vous me don­ner un exemple de socié­té stable svp ? Ça m’intéresse ! Mer­ci.
    Après, je devine en par­tie ce que vous allez me dire « oui, mais c’est pas pareil, ces guerres ne sont pas sur le ter­ri­toire ! Et puis c’est pas la même échelle ! », en quoi cela change-t-il quelque chose, fon­da­men­ta­le­ment ? Il n’y a pas que le 1ère GM et la 2e GM comme échelle de guerre ! Ni comme forme. Les guerres sont per­ma­nentes et mul­ti­formes, qu’on le veuille ou non, si ce n’est pas sur le ter­ri­toire à un ins­tant t, ça peut le deve­nir à un temps t+1. Exemple simple : les ter­ro­ristes isla­mistes actifs sur le sol fran­çais ne viennent pas de nulle part ! Ils sont là car la France, comme la plu­part des autres pays dans le monde (les grandes puis­sances disons), sont actifs mili­tai­re­ment par­lant, face à un enne­mi tou­jours décla­ré (Daesh récem­ment). La « paix réelle » (si ce terme à un sens, disons l’absence total de conflit pour faire simple) n’existe jamais. Il y a tou­jours quelqu’un pour avoir des choses à repro­cher à un autre. Il y a tou­jours un exploi­tant et un exploi­té, un fort et un faible. Le sta­tus quo n’existe que dans les livres ! Pas dans le monde réel. Le mou­ve­ment des Gilets Jaunes, récem­ment, était une forme de conflit entre deux camps. Pour uti­li­ser un voca­bu­laire de gauche qui devrait vous par­ler, la « lutte des classes » est une forme de guerre éga­le­ment, d’instabilité si vous pré­fé­rez. Quoique, le mot guerre n’est pas exa­gé­ré : les com­mu­nistes ont long­temps été armés ! A rai­son. Autre exemple de gauche ? Che Gue­va­ra, a prio­ri plus de votre bord poli­tique que Charles Mau­ras (!), il avait très bien com­pris la néces­si­té de s’armer et de « dési­gner l’ennemi ». Bref, tout ça pour dire que je ne com­prend pas bien où vous vou­lez en venir en disant «  la gauche et la droite, n’ont pas le même rap­port à la guerre. » Certes, peut-être, mais pour dire quoi au final ? Que la gauche est plus paci­fiste que la droite ? C’est fac­tuel­le­ment faux. Qu’il vaut mieux être paci­fiste que guer­rier ? Je serais prêt à l’admettre, mais sur quelle base ? Depuis quand le paci­fisme fonc­tionne ? Tout ceci n’est pas clair du tout. Gand­hi, figure de réfé­rence quand on parle de non-vio­lence, n’a pas gagné l’indépendance de l’Inde juste avec des boy­cotts, mais avec des armes ! Face à l’injustice, et devant une force illé­gi­time et supé­rieure, mieux vaut res­ter paci­fique et désar­mé ? Pas sûr…

    Enfin, sur votre expli­ca­tion de la construc­tion d’un pro­jet poli­tique, pour le coup, elle est on ne peut plus claire et j’y sous­crit tota­le­ment ! Je vous remer­cie d’avoir pris le temps de détailler à ce point. C’est inté­res­sant que vous pre­niez l’exemple de la sécu­ri­té comme cri­tère pos­sible du bon­heur, car, si dans votre exemple de la cein­ture de sécu­ri­té c’est évident, ça l’est beau­coup moins pour pleins d’autres cas. Met­tons tout de suite les pieds dans le plat avec le sujet de l’insécurité en France par exemple ! Si on est a prio­ri tous d’accord sur B, l’objectif (plus de sécu­ri­té), il y a un véri­table désac­cord sur le constat (A), à savoir l’état actuel de l’insécurité en France. Les gens de droite vont plu­tôt dire qu’elle monte, voire que ça explose, chiffre de la police à l’appui, etc. (est-ce scien­ti­fique ? Est-ce fiable ? Vaste ques­tion, ne ren­trons pas là-dedans), les gens de gauche vont plu­tôt dire l’inverse, que cela reste des faits divers et que le pas­sé était bien plus violent que le pré­sent, là aus­si, chiffres à l’appui (lire par exemple le livre de Ste­ven Pin­ker sur le sujet, La Part d’Ange en nous, 2017). Au final, le monde n’a jamais vécu de manière aus­si apai­sée qu’aujourd’hui. Bref, qui croire du coup ? Quels constats (A) ? ceux chif­frés de la police, ou les constats d’un pro­fes­seur à Har­vard ? Déjà, c’est plus fas­ti­dieux comme approche. Pire ! Même par­mi les gens qui font le même constat (A), celui de l’explosion de la délin­quance par exemple, les solu­tions pro­po­sées © sont toutes dif­fé­rentes ! Les uns vont dire que la jus­tice est trop laxiste, les autres vont dire qu’il faut sim­ple­ment plus de moyen sur le ter­rain, et d’autres encore vont dire que la police est jus­te­ment trop répres­sive, et qu’ils fau­drait la désar­mer pour cal­mer le jeu ! Bref, même en étant d’accord sur A et sur B, C pose­ra encore des pro­blèmes, car cer­taines stra­té­gies avan­cées se révèlent anta­go­nistes. Donc vous voyez bien qu’en pra­tique, tout ne coule pas de source ! Vous avez pris un exemple simple avec la cein­ture de sécu­ri­té, alors for­cé­ment ça marche, mais dans un monde com­plexe, les pro­blème sont com­plexes et ne peuvent se décom­po­ser aus­si sim­ple­ment qu’une chaine de cau­sa­li­té linéaire. Il y a néces­sai­re­ment des boucles de rétro­ac­tions posi­tives, néga­tives, des variables cachées, des cau­sa­li­tés incon­nues, etc. Bref, A, B et C, ça marche en théo­rie, mais pas en pra­tique ! C’est bien le reproche cen­tral que j’aimerai vous faire ici. Trop de théo­rie, pas assez de pra­tique. Mais on pour­rait déve­lop­per des heures là-des­sus…

    Sur ce. Au plai­sir de vous lire.
    Stan

  7. Pierre dit :

    Bon­jour, témoi­gnage très inté­res­sant et bien écrit. Moi-même issu d’un milieu rural, il me rap­pelle nombre de connais­sances qui ont glis­sé vers l’ex­trême droite, voire plus loin. Après cette lec­ture je me dis que l’au­teur pour­rait l’é­tof­fer pour éven­tuel­le­ment le faire publier. Ce genre de témoi­gnage a sa place, à mon sens, en librai­rie.

  8. Pierre dit :

    Ce n’est effec­ti­ve­ment pas évident ! Peut-être un edi­teur qui traite déjà de ce sujet, en effet, je suis sûr qu’il en existe, mais faut-il le trou­ver et arri­ver à éveiller son inté­rêt ! Les édi­tions la ville brûle, orien­tées en sciences humaines et socio, me semblent assez ouvertes sur le sujet, mais ce n’est qu’un avis per­son­nel.

  1. 29 novembre 2022

    […] Nazi-outing 2 : ou com­ment j’ai moi aus­si arrê­té d’être nazillon […]

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