Je n’ai rien contre la relaxation, même si le terme recouvre tellement de techniques diverses et d’écoles variées qu’il ne veut pas dire grand chose. Disons plutôt : je n’ai rien contre les stratégies de diminution du stress, de l’anxiété.
Mais je suis plus circonspect quand je vois qu’on troque facilement relaxation contre sophrologie, et ça, aussi bien en crèche que dans l’Éducation Nationale (et même à l’université ! dans MON Université ! Des fois je me demande si on y lit mon travail.1). Or ça, la sophrologie, je connais, et malheureusement, c’est une version très très… mysticoïde de la recherche de la relaxation, sans compter qu’il n’y a pas de reconnaissance des divers « diplômes ». Ce n’est pas un simple point de vue ! J’ai passé assez de temps à le documenter avec mes collègues la psychologue Gwladys Demazure et le kinésithérapeute Albin Guillaud (dans un article ici). Si vous n’aimez pas lire, alors je vous mets une conférence en ligne sur la question, tout en bas.
Donc je suis vraiment étonné de voir pléthore de collèges et lycées se laisser emmener dans cette voie, comme le lycée Le Corbusier, de Versailles. Et pire, voir la promotion qu’en fait le réseau Canopé (ici) ou une Délégation Formation à l’Innovation et à l’Expérimentation de l’Académie de Lyon (là). Il faut dire qu’on ne manque pas de conseils donnés par le syndicat de sophrologie SSI pour faire des conventions avec les établissements https://www.syndicat-sophrologues-independant.fr/pages/syndicat/la-sophrologie-et-l-education-nationale.html
Pourtant, la DSDEN (Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale) est on ne peut plus claire, et un courrier a été diffusé aux enseignant·es et chef·fes d’établissement indiquant que sophrologie (et yoga) « ne sont pas référencées dans le code du sport et ne peuvent donc pas être considérées comme des activités physiques sportives et artistiques. À ce jour, aucun diplôme d’état n’est reconnu dans ces spécialités. Conformément à l’article L.212–1 du Code du sport, seuls les titulaires d’un diplôme ou certificat de qualification enregistré au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) peuvent enseigner, animer, encadrer une activité physique ou sportive, contre rémunération.
À ce titre, aucun agrément ne peut être délivré par les services de la direction des services départementaux de l’Éducation nationale à des intervenants dans ces spécialités. »
La page Wikipédia est également bien troussée :
La sophrologie est une pratique pseudo-scientifique utilisée par plusieurs courants comme méthode de relaxation, psychothérapie, pratique psycho-corporelle et technique de développement personnel. Créée à partir de 1960 par le neuropsychiatre Alfonso Caycedo, celui-ci la définit comme une « nouvelle école scientifique qui étudie les modifications de la conscience humaine ». Les sources d’inspiration de la sophrologie sont multiples : l’hypnose, la phénoménologie, la relaxation progressive d’Edmund Jacobson, le training autogène de Schultz, ainsi que le yoga, la méditation zen, tibétaine, et le toumo. La sophrologie n’a pas validé scientifiquement ses fondements et méthodes, et des critiques concernent notamment l’absence d’efficacité thérapeutique prouvée ou certains aspects pseudoscientifiques. Malgré son absence d’efficacité démontrée au-delà de l’effet placebo, elle est également utilisée dans le sport et le monde de l’entreprise ou encore dans la gestion du stress. Elle a fait l’objet de mises en garde concernant le risque d’emprise ou de dérive sectaire.
Que faut-il de plus ?
Pour résumer, j’ai envie de dire que c’est comme pour le rôle de la parole en psychologie. Il n’est pas besoin, pour revendiquer la parole, d’avaler tout l’héritage de Freud. Il n’est pas besoin, pour revendiquer du bien-être, d’avaler tout cru le chamanisme transsibérien. Quand on mange une salade, on n’avale pas les liserons et autres séneçons qui ont poussé autour. Manger une châtaigne, on enlève la bogue.
Et si le seul critère d’appréciation, c’est que « celleux qui y viennent se sentent mieux », alors qu’allons-nous répondre si des collègues commencent à proposer des ateliers religieux pour retrouver leur bien-être ? Accepter la relaxation, c’est évident, mais accepter la sophrologie dans l’Éducation nationale, c’est créer une brèche, non seulement pour des concepts aussi bizarroïdes que l’énergie Ompsilon ou la « contemplation du corps limité et de l’illimité de la conscience », mais aussi pour l’accès à d’autres courants vendant du bien-être. Il est évident que les gens apportant de la sophrologie à l’école le font gentiment, mais comme l’écrivait Bernard de Clairvaux dès le XIIe siècle : « L’enfer est plein de bonnes volontés ou désirs« 2.
Ci-dessous, une conférence éclairante, tenue en 2017, conjointe CORTECS/Observatoire zététique.
Notes
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Le centre de santé de l’Université Grenoble-Alpes propose des ateliers de sophrologie, de même que le SUAPS (Service universitaire des activités physiques et sportives) pour le personnel.
- Cité par François de Sales, lettre à Jeanne de Chantal, 1604.
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