« Les igno­rants », d’E­tienne Davo­deau

Une dame fort aimable, qui parle de mes cours et les applique sur la bio­dy­na­mie.

Vin : la biodynamie ou l’ivresse des convertis

par Ophé­lie Nei­man, Le Monde, 19 février 2020 (pdf)

Pseu­dos­cience par excel­lence, la bio­dy­na­mie n’a jamais pu prou­ver son effi­ca­ci­té. Pour­tant, les résul­tats sont là. Des domaines répu­tés s’y mettent désor­mais, gri­sés par le cos­mos. L’humain est d’une inven­ti­vi­té sans limite lorsqu’il s’agit d’occuper son temps libre. De la lec­ture aux séries télé­vi­sées, de l’aquabike à la vieille à roue… Je ne juge pas, je constate. Mes hob­bies du moment n’ont rien à envier aux vôtres.
Actuel­le­ment, ils concernent la bro­de­rie et la zété­tique. Mer­ci, à votre tour, de ne pas juger. Dif­fi­cile d’évoquer le point de chaî­nette dans une chro­nique vin. Le champ de la zété­tique peut en revanche aisé­ment s’y glis­ser. Plus je l’étudie, plus je me ques­tionne sur ce que je crois savoir du vin. Car c’est de cela dont il s’agit, lorsqu’on évoque la zété­tique. Apprendre à dis­tin­guer le savoir de la croyance. L’adhésion de l’acte de foi. La zété­tique est géné­ra­le­ment défi­nie comme « l’art du doute ». Le doute comme un moyen, non une fin. Il ne s’agit pas de dou­ter de tout ni d’empêcher tout un cha­cun de croire en ce qu’il sou­haite. Les reli­gions sortent de son champ. Elle consiste plu­tôt à réflé­chir sur ce qu’on nous affirme être vrai en y appli­quant une méthode scien­ti­fique rigou­reuse. A condi­tion de res­ter ouvert d’esprit, de ne pas pré­su­mer d’un résul­tat, pour évi­ter les biais de confir­ma­tion. Elle per­met alors de mieux tra­quer les tra­vers de notre cer­veau, ou de débus­quer une pseu­dos­cience.

« Et pourtant ça marche »

Cri­tère de Pop­per, rasoir d’Ockham, théière de Rus­sell, licorne rose invi­sible et autres joyeu­se­tés de cette récente dis­ci­pline sont détaillés dans d’excellents ouvrages. L’intégralité du cours de « zété­tique et auto­dé­fense intel­lec­tuelle » ensei­gné à l’université Gre­noble Alpes est même en accès libre sur You­Tube, [Nde­Ri­chard : sur Peer­tube aus­si] et c’est un régal (vingt-quatre heures de vidéo, pré­voyez un gros car­net et un siège confor­table).
C’est au milieu de mon appren­tis­sage que ma conscience s’est fra­cas­sée sur un para­doxe très gênant : com­ment pou­vais-je plus long­temps plé­bis­ci­ter la bio­dy­na­mie, pseu­dos­cience par excel­lence, issue du cou­rant éso­té­rique de l’anthroposophie, irré­fu­table et figée par nature, basée sur des dogmes qui échappent à toute expé­ri­men­ta­tion scien­ti­fique, qui enfin n’a jamais pu prou­ver son effi­ca­ci­té en pré­sence d’un pro­to­cole rigou­reux ? Il est si facile de rica­ner. L’influence des forces cos­miques. La bouse enter­rée dans une corne de vache, dyna­mi­sée dans un vor­tex d’eau. Les nœuds pla­né­taires des connexions zodia­cales. Nombre de pra­tiques et de pré­pa­ra­tions relèvent, pour tout obser­va­teur car­té­sien, de l’absurde. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Cer­tains de mes confrères n’hésitent pas, mépri­sant au pas­sage le vin qui en est issu. « Et pour­tant ça marche », me jurent des vigne­rons à lon­gueur d’année. Que je refuse de prendre pour des poires. Pour deman­der la cer­ti­fi­ca­tion en bio­dy­na­mie (label Deme­ter ou Bio­dy­vin), ils doivent d’abord être cer­ti­fiés en bio. Ce qui n’est pas rien, à l’heure où la Cour des comptes vient encore de consta­ter l’échec des poli­tiques publiques de réduc­tion des pes­ti­cides. Par­mi les quelque 500 vignobles cer­ti­fiés, cer­tains sont conduits par des œno­logues, diplô­més après cinq années d’études de chi­mie ou bio­lo­gie, a prio­ri pas des tanches en sciences du vivant. Ces car­té­siens pur jus côtoient aus­si des doux poètes mais s’accordent sur ce point : ils se sont « conver­tis » (le mot n’est pas ano­din), pous­sés par leurs conclu­sions empi­riques. La vigne se por­tait bien, les vins
sem­blaient meilleurs.

Romanée Conti et Château Yquem

Mon constat est iden­tique : nom­breux furent mes coups de cœur de dégus­ta­tion, à l’aveugle, au milieu de flo­pées bou­teilles mas­quées, pour des vins en bio­dy­na­mie. Les cham­pagnes de Fran­çoise Bedel, Leclerc Briant ou Benoit La- haye, les alsaces de Valen­tin Zuss­lin, les mus­ca­dets de Jo Lan­dron, les rous­sillons du Roc des Anges, les cahors du Mas del Per­ié… m’ont séduite avant de connaître leur label.
Ce n’est pas tout : les ico­niques domaines de la Roma­née Conti en Bour­gogne, de La Cou­lée de Ser­rant dans la Loire et Châ­teau Pal­mer à Bor­deaux, y adhèrent. Ber­nard Arnault, patron de LVMH qu’on ima­gine mal se dégui­ser en druide le week-end, a annon­cé en 2019 que son Châ­teau Yquem s’engageait dans la bio­dy­na­mie. Les vignobles de Cha­pou­tier (Rhône), ceux de Gérard Ber­trand (Lan­gue­doc), qui savent aus­si bien vendre que comp­ter, sont en bio­dy­na­mie. Qui a encore envie de rire ?

Plu­tôt que de se décla­rer pour ou contre, il serait temps de cher­cher ce qui se passe là-des­sous. Au sein de la bio­dy­na­mie, les moti­va­tions divergent. Cer­tains la pra­tiquent par empi­risme, d’autres par croyance idéo­lo­gique. Ce qui m’importe, c’est de com­prendre ce qui fonc­tionne. Car vous l’avez sai­si, je ne pense pas que dyna­mi­ser l’eau ait une effi­ca­ci­té quel­conque. Je suis en revanche cer­taine qu’il y a bien quelque chose : une obser­va­tion accrue, une atten­tion redou­blée, une réac­ti­vi­té affû­tée, par exemple. On l’a sou­vent vu en sciences, il est pos­sible d’obtenir un résul­tat juste mal­gré un rai­son­ne­ment faux. Un jour, je vous racon­te­rai com­ment j’ai devi­né tous les mil­lé­simes d’une dégus­ta­tion grâce à la tech­nique de la lec­ture à froid des atti­tudes de mes hôtes. Les illu­sions peuvent éclip­ser la rai­son. La bio­dy­na­mie mérite donc davan­tage d’attention. Elle pour­rait nous mener plus loin qu’il n’y paraît.

 

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