N‑ième documentaire en carton abordant les barreurs de feu sur France 2, mardi dernier (Les pouvoirs extraordinaires du corps humain), encore une fois effectué sans contrepoint scientifique – je le sais puisque hormis quelques personnes en socio-anthropologie, je suis probablement le seul à ma connaissance à étudier leur efficacité. Or non seulement on ne me contacte pas, mais pire, les journalistes ne s’emparent pas de l’explication prosaïque que je radote depuis plus de dix ans maintenant. Tous les journalistes ? Non, il arrive parfois que certain·es se frayent un chemin, pourtant peu semé d’embûches jusqu’à moi. Je pense aux deux derniers, Fabienne Chauvière sur France Inter, et Matthieu Brandely, de Yahoo ! (oui oui, Yahoo!, ici), grâce leur soit rendue.
Voici la bande-annonce, pour nous mettre en jambes.
Alors j’ai résumé ici l’essentiel. Si vous connaissez Adriana Karembeu ou Michel Cymès, faites-leur lire s’il vous plaît (et faites-leur un coco sur la tête en passant, parce que bon, quand même).
Qu’est-ce qu’un coupeur de feu ?
Un barreur ou coupeur de feu est une personne qui, jointe par téléphone pour soigner une brûlure, va penser au membre blessé, réciter une prière (chrétienne essentiellement),en vue d’une guérison. J’en ai rencontré des centaines (je mâche mes mots) et je peux assurer que ce sont des gens affables, sincères et souvent désintéressés. Disons « désintéressés financièrement » (car nous sommes toutes intéressé·es par le capital symbolique que ça procure d’être connu comme « guérisseur »).
Est-ce que ça marche ?
Le diable est dans le mot « marche ». Est-ce que le malade est satisfait ? La réponse est assurément oui : après l’appel au barreur, la douleur baisse drastiquement, et c’est vraiment appréciable. De fait, quand bien même il douterait de son propre don, le barreur, voyant la satisfaction des malades, n’a d’autres choix que de conclure à l’efficacité de la méthode. Certains invoquent un « don » naturel, d’autres un « secret » transmis dans certaines conditions.
Mais nous savons maintenant pourquoi avoir un don n’est pas nécessaire dans cette affaire. Si vous n’avez pas peur de savoir, je vous explique.
Peut-on expliquer l’efficacité des barreurs de feu scientifiquement ?
J’étudie ce sujet depuis plusieurs années, j’ai lu à peu près tous les travaux, études primaires, littérature secondaire sur la question et je peux dire que la réponse est… oui. D’ailleurs si je vous explique, vous pourrez vous-même prétendre barrer le feu si vous le souhaitez.
Prenons un cas classique : je me brûle. Généralement, c’est sur une petite zone, très douloureuse, mais pas au point d’appeler le SAMU. J’appelle le barreur, et moins d’une heure après, la douleur s’en va. Mieux encore, à long terme, je n’ai pas de cicatrice
A ce stade, il y a trois choses à savoir.
La première, c’est que la douleur ressentie d’une brûlure n’indique pas sa gravité. Si elle est douloureuse, c’est que les terminaisons nerveuses sont encore là, donc que ce n’est pas très profond.
La deuxième chose, c’est que quoi que je fasse, que ce soit une danse de la pluie ou allumer un cierge, la douleur va s’envoler dans l’heure. Ce n’est pas l’action du barreur qui agit, c’est un mécanisme neuro-cérébral. Mais comme ça vient après l’action du barreur, on y voit un lien causal. Les plus pointu·es appellent ça un Post hoc ergo propter hoc, biais qui consiste à intuiter que parce que B arrive juste après A, alors A est la cause de B.
La troisième chose, c’est que les brûlures de degré léger (1er, 2ème léger) ne laissent pas de trace. Donc qu’il n’y ait pas de trace après intervention d’un barreur de feu pour des gens qui appellent pour une brûlure douloureuse est… prévisible. D’ailleurs, dans les cas plus profond, il reste une trace. Et là, j’entends souvent le patient dire « heureusement qu’il m’a barré le feu, sinon la trace aurait été plus grande ! ». Ce qui est peut être vrai, mais .. invérifiable, puisqu’il n’y a rien pour comparer. Et si vous vous demandez si ça a déjà été fait, la réponse est non ; d’abord parce que personne n’y avait peut être pensé, mais maintenant que j’aimerais le faire, ce sont des raisons éthiques recevables qui m’en empêchent : brûler des gens à deux endroits, et comparer « avec » ou sans » barreur de feu, c’est un peu immoral, et les comités d’éthique ne le permettraient pas. A la rigueur pourrait-on envisager de travailler sur des gens brûlés, et comparer soin+barreur versus soin tout court, mais cela soulève un certain nombre de problèmes éthiques et méthodologiques.
En attendant, nos connaissances actuelles nous permettent d’expliquer complètement le phénomène, sans faire intervenir une nouvelle entité comme un don à distance par téléphone – ce qu’on appelle couramment souscrire au principe de parcimonie des hypothèses (voir ici).
Par conséquent, l’intervention d’un barreur de feu est un accessoire sympathique et stimulant, mais non nécessaire pour comprendre ce qui se passe.
Mais alors pourquoi les hôpitaux font appel à des barreurs de feu ?
Ce n’est pas tout à fait ça. J’ai étudié ce point avec plusieurs groupes d’étudiant·es.
Pendant les deux dernières décennies, les services de grands brûlés « toléraient » une liste un peu sauvage de coupeurs de feu, avec numéros de téléphone. Il semble qu’il y ait maintenant des barreurs attitrés à certains services (ce qui pose la question de savoir comment on choisit le meilleur barreur de feu parmi plusieurs). Pourquoi cela ? Il faut bien comprendre : le personnel soignant est là pour soigner. Tout ce qui peut aider est vu d’un bon œil, car on sait que plus un patient est placé dans un contexte qui lui plaît, plus son cerveau va secréter un cocktail de substances qui vont, non le guérir, mais l’aider réellement à moins souffrir. On a appelé ça longtemps effet placebo, mais le terme est un peu désuet maintenant, on dit « effets contextuels ».
Alors mettons-nous à la place des soignants : si la venue d’un curé, d’un imam, ou d’un magnétiseur, ou d’un barreur de feu fait du bien au soigné, que ferions-nous pas ? Je ferais sûrement ce choix pragmatique moi aussi.
Pourquoi cette pratique fait débat alors ?
Pour une raison assez simple : si on fait rentrer dans l’hôpital des pratiques mobilisant des « dons » sans preuve, alors on crée une brèche : nous n’aurons plus d’argument pour refuser les autres pratiques sans preuves. Si quelqu’un vient en disant qu’égorger un poulet dans le service peut aider les patients, que pourra-t-on lui dire ?
Au fond, le dilemme actuel est le suivant : faut-il utiliser tout ce qui maximise l’ « effet placebo », même si c’est sans fondement, même si ça crée un rapport ésotérique ou religieux au monde ?
Si vous voulez mon avis, la solution est dans une troisième voie : garder éventuellement ces pratiques, puisqu’elles sont réclamées, mais à condition d’être assorties d’une explication de ce que sont les effets à l’œuvre. Ainsi le public saura à quoi s’en tenir, et fera ses choix ultérieurs en connaissance de cause. C’est sur ce sujet que nous travaillons, entre autres avec Nicolas Pinsault et Léo Druard, au laboratoire TIMC.
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Si vous êtes très pressé·e, alors vous pouvez me regarder ici, ce n’est pas long.
https://youtu.be/xj7uJdV2CQI
ou alors écouter cette émission, mais je ne cautionne pas tous les propos de mes collègues autour de la table.
Enfin, vous pouvez aller voir un décorticage en règle sur le sujet, effectué il y a quelques années par ma collègue Nelly Darbois, ici. Errare humanum est, sed persevere diabolicum.
Si je trouve le temps un jour, je finirai le livre en préparation sur le sujet. Un jour…
Bonjour et merci pour les précisions sur ce sujet.
Petite question concernant cette partie :
« garder éventuellement ces pratiques, puisqu’elles sont réclamées, mais à condition d’être assorties d’une explication de ce que sont les effets à l’œuvre. Ainsi le public saura à quoi s’en tenir, et fera ses choix ultérieurs en connaissance de cause. »
Le fait d’expliquer clairement qu’il s’agit d’effet contextuel ne va t’il pas réduire l’efficacité de la pratique ?
Ps : vous avez
Bonjour Aurélien, les études ne sont pas complètement stables, mais il semble qu’un placebo ouvert marche « presque » aussi bien que fermé (ce qui serait proprement une révolution)
alors je suis peut-être hors sujet mais si la douleur s’en va quoiqu’on fasse, même l’eau froide « ne marche pas »???
Coucou Myriam, si, ça accélère le truc, du fait du refroidissement rapide de la brûlûre
Sauf erreur de moi, il est plutôt conseillé de faire couler de l’eau tiède, pas froide sur une brûlure (il y a 3/4 ans c’est ce qui etait enseigné lors de la formation PSC1 par ex.)
Argh, je n’ai pas le temps d’aller chercher, mais c’est possible ! Si vous tranchez la question, vous m’écrivez, je compte sur vous
Bonjour Richard,
En espérant ne pas te donner le travail de rechercher trop loin dans ta biblio, j’avais déjà vu que tu travaillais la dessus ; aussi aurais-tu des références (scientifiques ou moins) sur l’efficacité des placebos ouverts vs placebos standards ?
Y compris, au delà de l’efficacité elle-meme, en termes explicatifs plus approfondis sur un plan neuro et psycho ? (Ou, sur le même axe, pour les divers effets contextuels en général)
Je trouve la question tres intéressante, et si tu as sous la main de bonnes ressources, fiables, sélectionnées par tes soins, je t’en serais reconnaissant.
Merci d’avance (merci aussi pour tout ton travail en général) et bonne journée ! 🙂
Hello Rod, la question est compliquée, car elle se décompose en plusieurs autres questions. Mais ce qui me vient là, loin de mes dossiers c’est Kaptchuk & al 2010 et Charlesworth 2017, avec Placebos without Deception comme équation de recherche
Amicalement
Merci beaucoup pour ta réponse, je vais regarder ça 🙂
Bonjour, il existe un métier pour utiliser des effet de contexte tout en les expliquant : psychologue
Oui, mais il persiste encore un certain nombre de zones d’ombre