Période de florai­son de la pas­si­flore (enfin, d’une des 500 pas­si­flores. Celle-ci c’est Pas­si­flo­ra cae­ru­lea, ou gre­na­dille).

Chaque fois que j’en vois une, je frôle la crise mys­tique, comme le bota­niste espa­gnol Nico­las Monardes (1493–1588) qui lui don­na son nom de fleur de la pas­sion car selon lui, elle était « pré­ci­sé­ment faite pour repré­sen­ter la Pas­sion du Christ ». Jugez plu­tôt, on est dans le cham­pion­nat du monde de la parei­do­lie :

les 10 pétales et sépales repré­sentent les dix apôtres fidèles (à l’ex­clu­sion de Pierre et Judas, pour­quoi, mys­tère),
les 5 éta­mines évoquent les 5 stig­mates du Christ,
les 3 stig­mates du pis­til rap­pel­le­raient les 3 clous de la Croix,
les 72 fila­ments, entou­rant la par­tie cen­trale, sug­gèrent les 72 épines de la Sainte Cou­ronne,
la coupe cen­trale de la fleur repré­sen­te­rait le Saint Graal,
la tren­taine de taches rondes ornant l’in­té­rieur de la fleur est asso­ciée aux 30 pièces d’argent que Judas reçut pour prix de la tra­hi­son,
les feuilles poin­tues sug­gèrent la lance ayant per­cé le flanc de Jésus,
et les vrilles de la plante rap­pellent le fouet.

Cette fleur est autre­ment plus utile pour illus­trer ce qu’on appelle en bio­lo­gie la « théo­rie de la Reine rouge ». Extrait d’un article que j’ai écrit pour la revue Espèces n°35, en mars 2020.

Pre­nez le couple dia­bo­lique for­mé par le genre Heli­co­nius (de gen­tils papillons) et le genre Pas­si­flo­ra (de mignonnes plantes des jar­dins, la plus connue étant la fleur de la pas­sion). Les papillons femelles pondent leurs œufs sur la pas­si­flore, qui devient l’hôte, et le repas, de leurs che­nilles. Les pas­si­flores se font donc savam­ment cro­quer, sauf celles qui, par­mi les innom­brables varia­tions géné­tiques mélan­gées au gré du bras­sage sexuel, ont eu la chance de déve­lop­per un alca­loïde qui fait mou­rir les che­nilles. Dès lors, les che­nilles mortes se ramas­sèrent à la pelle, sauf celles qui, par bras­sage sexuel, se révé­lèrent résis­tantes à l’alcaloïde en ques­tion. La nou­velle popu­la­tion de che­nilles mâchon­na donc les plantes et les seules pas­si­flores alors capables de s’en sor­tir furent celles pour­vues d’une forme de feuille légè­re­ment dif­fé­rente, déjouant ain­si les che­nilles un peu miro. Dès lors, les che­nilles se trom­pèrent, jusqu’à ce que cer­tains Heli­co­nius “com­prennent” l’entourloupe et reviennent sur les nou­velles pas­si­flores, à nou­veau dévo­rées. Une autre varia­tion se retrou­va alors gagnante : ce qui aurait pu res­ter une vilaine acné juvé­nile, risée de toutes les autres feuilles, devint un avan­tage majeur. Les rares feuilles qui avaient des petites vési­cules trom­pèrent les mamans papillons qui crurent y voir des œufs et, jugeant la place de ponte déjà prise, s’en furent vers d’autres cieux. Il était pré­vi­sible que par­mi les mamans, l’une d’entre elles se ren­dît compte de l’illusion et recrée une popu­la­tion de papillons impos­sibles à ber­ner avec ces faux œufs. En peu de temps, on dit que ce sont près de 40 espèces dif­fé­rentes qui ont vu le jour dans cette coévo­lu­tion, chaque genre s’étant com­plexi­fié. Pour­tant il y a tou­jours le même rap­port de force entre Heli­co­nius et Pas­si­flo­ra.

Anec­dote : ce matin, j’é­cou­tais « La science, CQFD » sur France Culture, et ça cau­sait de l’ap­pa­ri­tion d’un hybride de papillon Heli­co­nius, jus­te­ment. C’est là : « Un croi­se­ment très inha­bi­tuel entre deux papillons a don­né nais­sance à une autre espèce ».

Le papillon ama­zo­nien Heli­co­nius ele­va­tus est issu du croi­se­ment entre deux autres espèces, H. par­da­li­nus et H. mel­po­mene. – Kan­chon Das­ma­ha­pa­tra

Je pense que les créa­tion­nistes vont en faire une syn­cope.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *