Dans quelle affaire me suis-je four­ré ?

Si vous connais­sez ce blog, vous savez que mon sta­tut d’en­sei­gnant de pen­sée cri­tique m’a­mène à lire des ouvrages de toute fac­ture, ren­con­trer des pra­tiques étranges, regar­der des docu­men­taires New Age, et d’en tirer par­fois une séquence de cours ou une ana­lyse. Quand je lis un livre de chi­ro­man­cie, ou du Nostra­da­mus, ça va. Mais ce n’est pas tout à fait la même chose lorsque je cri­tique des mor­ceaux d’hé­ri­tage freu­dien (l’é­tio­lo­gie sexuelle des névroses ou le com­plexe d’Œdipe par exemple), la théo­rie homéo­pa­thique, la pyra­mide de Mas­low ou l’intel­li­gent desi­gn (ce faux-nez créa­tion­niste), tous frap­pés d’ob­so­les­cence, mais par­fois encore uti­li­sés dans des conte­nus d’en­sei­gne­ment sur mon cam­pus. J’ai beau y mettre la forme, ça froisse les col­lègues qui uti­lisent ces sur­vi­vances, au nom d’une simi­li-confra­ter­ni­té que j’en­dom­ma­ge­rais. Mais je ne vois pas com­ment invo­quer la confra­ter­ni­té si le fond est fait de conte­nus péri­més ou spi­ri­tua­listes. Entre­te­nir des idées fausses est une chose déjà ambi­guë, qui témoigne de l’ab­sence de mise à jour des connais­sances. Mais les trans­mettre à la nou­velle géné­ra­tion, ça me laisse pan­te­lant, alors je vais au char­bon. Mais c’est pénible, je suis sou­vent tout seul et assez expo­sé – cela m’a­vait ame­né à pous­ser ce cri déchi­rant il y a deux ans : qui m’a­chè­te­ra une armure ?

Quand je dis que Jean Staune, qui défend une récon­ci­lia­tion science-reli­gion n’a pas à venir faire de confé­rence sur un cam­pus (hor­mis venir étu­dier la théo­rie de l’é­vo­lu­tion), j’ai l’im­pres­sion de ne faire qu’u­ti­li­ser le cadre épis­té­mo­lo­gique et le contrat laïc du cher­cheur préa­lable à toute pré­ten­tion de savoir scien­ti­fique. De même lorsque j’ex­plique que l’u­ni­ver­si­té n’a pas à accueillir en tant qu”  »experts » Jacques Salo­mé ou Pierre Rabhi. Pour­tant, je sens bien que ça gêne aux entour­nures, et que le sobri­quet de « police de la pen­sée » n’est pas loin. Mais sans refaire un cours d’é­pis­té­mo­lo­gie de base, ce n’est pas être un flic à bras­sard que d’en­tre­te­nir a mini­ma ce que le bio­lo­giste Ste­phen Jay Gould appe­lait le NOMA (non over­lap­ping magis­te­ria), le non-recou­vre­ment des magis­tères. A mini­ma car en réa­li­té, ce NOMA est un peu une couar­dise intel­lec­tuelle, mais le sujet n’est pas là : faire entrer dans le giron du savoir col­lec­tif une enti­té sans preuve, un concept sans démons­tra­tion, est plus qu’une ques­tion de res­pect de légis­la­tion. C’est non négo­ciable,  car sinon, c’en est fini de la connais­sance scien­ti­fique ! N’im­porte quelle enti­té sans preuve pour­ra s’en­gouf­frer, puisque nous aurons créé un pré­cé­dent, une brèche, et tous les concepts désuets, gem­mules de Dar­win, éther, homon­cules, âme, etc. se ré-échap­pe­ront de la boite de Pan­dore. La démons­tra­tion sert en quelque sorte de sas : si tu pré­sentes suf­fi­sam­ment d’ar­gu­ments pour convaincre tout le monde de ce que tu avances, quels que soient ses pré­sup­po­sés, alors on valide col­lec­ti­ve­ment ce que tu avances. Sinon, on met ce que tu avances dans du for­mal­dé­hyde, et on des­cend l’en­tre­po­ser à la cave. Ce qui me semble pour­tant assez simple à sai­sir, peut-être parce que je le radote depuis 20 ans en cours, ne l’est pas for­cé­ment pour tout le monde.

 

L’af­faire

Fin juin 2022, on m’é­crit sur les réseaux sociaux pour me faire remar­quer que la mai­son d’é­di­tion de mon éta­blis­se­ment a pro­duit un livre qui semble pro­blé­ma­tique. Et sur les réseaux sociaux on m’in­time (on peut même me dire qu’on me somme d’une manière assez cava­lière, comme dirait Zor­ro) de me pro­non­cer, alors que je suis en train de siro­ter de l’an­té­site dans l’Oi­sans.

Là, vous voyez le truc ? Mon champ des pos­sibles est res­treint. Si je ne dis rien, et fais celui qui sif­flote et n’a pas vu, c’est l’an­ti­chambre du conflit d’in­té­rêt. Comme je déclare chaque année mes liens d’in­té­rêt (zéro ; je le fais depuis que j’adhère au FORMINDEP), ça serait un peu la loose : je devrais pré­ci­ser « je cri­tique tout, sauf quand il s’a­git de mon éta­blis­se­ment ». Le seum.
Et si je fais une cri­tique ? Non seule­ment je froisse les col­lègues qui ont édi­té – je connais un peu l’une d’entre elles, nous sommes dans le même syn­di­cat –, mais en outre je ruine pro­ba­ble­ment mes pos­si­bi­li­tés éven­tuelles de publi­ca­tion chez eux, chez moi, donc. Dans mon mal­heur, j’ai au moins la chance de ne connaître aucun·e des douze auteur·es. C’est déjà ça de plus simple.

Puis on m’en­voie une recen­sion du livre, la seule dis­po­nible, celle d’A­gri­Genre, menée par Valé­ry Ras­plus (voir réfé­rence plus bas). Cette recen­sion me fait froid dans le dos : le livre, en plus d’être pré­sen­té comme de mau­vaise fac­ture scien­ti­fique, serait une publi­ci­té dégui­sée pour la doc­trine occul­tiste appe­lée anthro­po­so­phie. Or je connais assez bien ce cou­rant, sur lequel je me suis déjà expri­mé plu­sieurs fois (ici, , ), et qui a fait l’ob­jet de nombres d’a­na­lyses cri­tiques, aca­dé­miques ou en dehors, ne serait-ce que par sa vel­léi­té, jus­te­ment, d’en­trisme dans les écoles.

Et V. Ras­plus m’in­dique deux choses étranges. Que sous la page web dédiée au livre, un lien est tou­jours pré­sent, « Bio­dy­na­mie Recherche », une asso­cia­tion mili­tante anthro­po­sophe qui a pour objec­tif de recueillir les articles scien­ti­fiques trou­vant des qua­li­tés à la méthode d’a­gri­cul­ture bio­dy­na­mique. Et que sa recen­sion à lui, cri­tique, a d’a­bord été pla­cée sur la page du livre, puis étran­ge­ment reti­rée. Théo­ri­que­ment, ce devrait être l’in­verse !

Comme j’ai une copine à UGA Édi­tions, je prends contact, me disant qu’il doit y avoir incom­pré­hen­sion ou erreur quelque part, et je passe un coup de fil agréable avec son codi­rec­teur, fort réac­tif, qui m’ex­plique qu’ef­fec­ti­ve­ment, le lien qui reste publié est une erreur – qui n’a pas été cor­ri­gée du fait d’ab­sence de per­son­nel au ser­vice com ; quant à la recen­sion, elle a été mise en ligne, puis reti­rée, car n’en­trant pas dans les stan­dards atten­dus, notam­ment un trai­te­ment cha­pitre par cha­pitre. Moi j’ai confiance, et ces argu­ments me paraissent convain­cants. Mais trois choses me font réflé­chir ensuite :

a) Si ce n’est pas au stan­dard, où sont les stan­dards ?

b) Pour­quoi d’autres trucs sans stan­dard ou non-aca­dé­miques ont été mis en ligne sur leur site ? (comme le lien vers l’as­so­cia­tion occul­tiste)

c) Pour­quoi la recen­sion de V. Ras­plus a été indi­quée, puis reti­rée ? Les stan­dards n’ont pas pu chan­ger en un délai si court.

Autant de ques­tions qui res­tent en sus­pens. Et devant la rafale de tweets sur le sujet qu’ont pos­té des inter­nautes vers le compte @UGA_Editions, je n’ai pas vou­lu en rajou­ter une couche dans cette période esti­vale. le pro­blème, de toute façon, n’a pas de carac­tère urgent.

 

Retrous­sage de manches

Moi, au milieu

Alors je retrousse mes manches, comme Zack dans Sau­vé par le gong, qui aimait bien faire ça. Ensei­gnant aux étudiant·es à pen­ser contre elleux-mêmes, et étant désor­mais cir­cons­pect des cou­rants anti-sectes, qui peuvent avoir ten­dance à faire feu de tout bois, même de contre­pla­qué pour­ri mouillé plein de colle, je me dis que je ne peux effec­ti­ve­ment pas prendre pour argent comp­tant cette recen­sion sans avoir lu le livre.

Car il y a une chose impor­tante à sai­sir pour qui n’est pas coutumièr·e des sciences humaines et sociales. N’im­porte quel concept même pseu­dos­cien­ti­fique, occul­tiste, éso­té­rique, sur­na­tu­rel peut (et doit) faire l’ob­jet d’a­na­lyse socio-éco­no­mi­co-poli­tique. Quand la com­mu­nau­té scien­ti­fique « tombe » sur Ger­maine Han­sel­mann alias Eli­za­beth Teis­sier sur sa thèse, ce n’est pas parce qu’elle fait de la socio­lo­gie de l’as­tro­lo­gie, ça c’est super ! Theo­dor W. Ador­no en avait déjà fait une ébauche d’ailleurs, dans Des étoiles à terre1. Non, c’est parce que sous cou­vert de socio­lo­gie, elle fai­sait pas­ser l’as­tro­lo­gie pour une dis­ci­pline scien­ti­fique. C’est en cela qu’elle fut cri­ti­quée, à juste titre. Ici, j’ap­plique le prin­cipe dit « de cha­ri­té », et je me dis, pen­sant contre moi-même : et si l’au­teur de la recen­sion et ses col­lègues n’a­vaient pas per­çu qu’il ne s’a­git que de la socio-anthro­po­lo­gie des concepts à l’œuvre de Rudolf Stei­ner et dans les usages modernes (si j’ose dire) de l’an­thro­po­so­phie et de ses dési­nences agro­fo­res­tières, médi­cales, péda­go­giques ? Pour le savoir, il me suf­fit de quatre choses :

  • ren­trer de vacances,
  • arrê­ter l’an­té­site,
  • récu­pé­rer le livre, gra­cieu­se­ment envoyé par la mai­son d’é­di­tion (mer­ci !)
  • et me rabattre sur ce que je sais faire : lire.

Et prier le ciel que je pense pour­tant vide que le livre ne soit pas aus­si cri­ti­quable qu’il en a l’air.

 

La réa­li­té, c’est ce qui conti­nue d’exis­ter lors­qu’on cesse d’y croire

Le pro­blème c’est que… si. J’ai tout lu, et j’ai rui­né un sur­li­gneur à sur­li­gner ce qui me parait clo­cher, ou ce qui est fac­tuel­le­ment faux. Bien sûr, le livre est inégal, et il y aurait des nuances à faire. Les cha­pitres de Julien Blanc et de Mat­thieu Ger­vais sont par exemple inté­res­sants et exempts d’é­nor­mi­tés.

Hon­nê­te­ment, je pen­sais faire une recen­sion et prendre au mot UGA édi­tions, cha­pitre par cha­pitre. Mais devant le temps colos­sal que ça va prendre d’ex­pli­quer ce qui cloche et pour­quoi, je baisse les bras, un peu par paresse et indo­lence esti­vale, un peu parce que je me dis que ce temps devrait être consa­cré à quelque chose de construc­tif et non des­truc­tif, ça c’est depuis que j’ai lu des livres d’al­truisme effi­cace, dans la lignée de Peter Sin­ger2. Néan­moins, au nom de la connais­sance scien­ti­fique, mais aus­si au nom de ces modèles agroé­co­lo­giques alter­na­tifs que j’ai long­temps fré­quen­tés de l’in­té­rieur et dont je défends les luttes auto­no­mistes, je vais don­ner en sub­stance les points vrai­ment pro­blé­ma­tiques.

 

S’il s’a­git de lire une ana­lyse socioan­thro­po­lo­gique des nou­veaux mou­ve­ments agri­coles, alors je suis… déçu. Est-ce parce que je ne suis pas anthro­po­logue ? Pour­tant j’en lis de temps en temps. J’ai trou­vé ça ni fait ni à faire. Je laisse donc aux anthro­po­logues de métier d’en faire l’a­na­lyse, mais pour ma part, je ne me suis pas ins­truit, dans beau­coup d’emphase aca­dé­mique, du name drop­ping, des notions pres­qu’aus­si floues qu’en psy­cha­na­lyse, et des concepts para­chutes. Il y a des phrases assez col­lec­tor comme :

  • « Ces pra­tiques agri­coles néces­sitent un type de pen­sée non stric­te­ment réduc­tion­niste (au sens de Des­co­la), mais plu­tôt une logique du « va avec » plu­tôt que du « l’un der­rière l’autre » ou du « l’un à côté de l’autre ». (p.93)
  • « Sur le ter­rain, le soma­tique se mêle éga­le­ment à l’in­time ». (p. 107)
  • « (…) ce que nous pro­po­sons de nom­mer le méta­dis­po­nible, en réfé­rence à Rosa et Simon­don, consiste en cette poten­tia­li­té qu’a un vivant d’apparaître ou non, même là où il est sus­cep­tible d’être pré­sent. Le méta­dis­po­nible devien­drait ain­si une carac­té­ris­tique d’une atten­tion réso­nante du vivant, ouverte à la pos­si­bi­li­té de la pré­sence comme à celle de l’ab­sence, ouverte aus­si au temps long et incer­tain que néces­site sou­vent la ren­contre avec les autres qu’­hu­mains. » (p. 297)

ou encore

  • Ce n’est plus par des inci­sions (reduc­tive traces), qu’il marque le pay­sage, mais par des ampli­fi­ca­tions ou super-impo­si­tions (addic­tive traces) (Ingold 2007 p 43.). En ren­dant pal­pables la diver­si­té des approches et des ethos du soin, le pay­sage fait office de révé­la­teur de la hau­teur, de la cou­leur et de la tex­ture qui les divisent encore » (p.144).

Ce n’est pas ce genre de phrase qui va aider mes ami·es maraîcher·es qui galèrent au soleil.

Et je pense au pauvre Phi­lippe Des­co­la qui est uti­li­sé à peu près par­tout (n’ayant lu que des choses très éparses de lui, je ne sais pas s’il le mérite ou non). Je vois aus­si sur­gir dans pra­ti­que­ment tous les cha­pitres ce concept étrange qu’est l’Occi­den­tal, sans aucune défi­ni­tion ; concept que je cri­tique chaque semestre et dont je savonne les oreilles des étudiant·es, concept que je trouve aus­si pauvre, dual et essen­tia­liste que le concept d’Orien­tal. Les seuls écrits qui me semblent faire à peu près le job atten­du sont ceux de Mat­thieu Ger­vais et Julien Blanc, mais je radote. Même sur l’his­to­ri­ci­té de cer­taines notions, la rigueur n’est pas tou­jours de mise. L’un des piliers de la pen­sée de Hah­ne­mann par exemple vient du pié­tisme pro­tes­tant, tota­le­ment pas­sé sous silence alors qu’il est néces­saire pour com­prendre la genèse de sa « théo­rie ».

 

La cri­tique est thé­sée, l’art est dif­fi­cile

Sur les démons­tra­tions à base d’art, moi qui suis sen­sible au rôle épis­té­mo­lo­gique des pein­tures / des­sins / aqua­relles en bota­nique, je suis res­té comme deux ronds de flanc avec des pho­tos et quelques des­sins. En de nom­breux endroits je lis des concepts un peu péremp­toires, pré­le­vés à Eliade, Sten­gers, Latour, Favret-Saa­da ou Méheust (tou·tes réputé·es pour leur rela­ti­visme cog­ni­tif, le der­nier pour son affi­ni­té avec la para­psy­cho­lo­gie – ce qui n’est pas un mal en soi) et je m’at­tends à une démons­tra­tion, et hop, je prends un vilain tableau arti­fi­ciel en quatre cases sor­ti du cha­peau, un som­maire des­sin de jet d’eau bri­sé de Stei­ner comme méta­phore de la matière (sans une goutte de cri­tique) ou une vague ana­lo­gie entre une pein­ture abo­ri­gène Ngur­ra­ra et le desi­gn d’un jar­din en per­ma­cul­ture, page 158–159. Quel pro­pos cela vient-il ser­vir, je ne le sau­rai pas. Ou alors je n’ai pas com­pris. Mais si moi je ne com­prends pas, alors que je suis curieux et que je lis atten­ti­ve­ment, qui com­pren­dra ? Et puis, l’a­na­lo­gie, disait le regret­té Jacques Bou­ve­resse, offre pro­diges et ver­tiges3.

Je subo­dore des impré­ci­sions his­to­riques sur cer­tains champs. Je ne suis pas his­to­rien de la Socié­té anthro­po­so­phique, mais lire au cha­pitre 1, sous la plume de Madame Cho­né que « La Socié­té Anthro­po­so­phique a été fon­dée à Cologne en 1912 », puis lire dans le cha­pitre 2 de Madame Bre­da que « l’an­thro­po­so­phie a été crée en Suisse en 1913 par Rudolf Stei­ner », laquelle, pour appuyer ses dires, pro­pose une bio­gra­phie de Stei­ner rédi­gée par… Madame Cho­né… Ça me laisse bras bal­lants. D’autres sont de vrais détails, mais de la même trempe : « Alors que la clas­si­fi­ca­tion tra­di­tion­nelle de Lin­né dis­tingue deux règnes (végé­tal) et ani­mal), Stei­ner men­tionne aus­si un règne miné­ral » (p. 46). C’est mani­fes­te­ment faux, puisque Carl von Lin­né indique déjà ce règne miné­ral, et de nom­breux alchi­mistes avant lui.

Je vois aus­si des évi­te­ments mani­festes d’a­na­lyses qui dérangent : pas une seule men­tion de l’a­na­lyse colos­sale de Peter Stau­den­maier sur le fait que les « théo­ries » (disons pour être plus juste les scé­na­rios) de Stei­ner sont racia­listes, mobi­lisent des démons, et ont de nom­breux points com­muns avec les cou­rants pré­cé­dant le natio­nal-socia­lisme alle­mand et autri­chien4.

 

Mais le point qui me chif­fonne le plus est celui-ci : le cadre épis­té­mo­lo­gique choi­si, plus maré­ca­geux que les marais morts du Sei­gneur des anneaux, qui rend arti­fi­ciel­le­ment poreux science et spi­ri­tua­li­té – car n’en déplaise au public, l’on­to­lo­gie de base en science est un maté­ria­lisme métho­do­lo­gique. Cha­cun peut ensuite croire en ce qu’il veut, mais le contrat du cher­cheur est laïc : il peut pui­ser son ins­pi­ra­tion où il le sou­haite, dans Mau­pas­sant ou dans la consom­ma­tion de sub­stances psy­cho­tropes, et même dans les replis de la plus belle sou­tane, de la plus magni­fique gan­dou­ra, dans le nœud de son das­tar sikh, mais une fois qu’il pose un savoir, celui-ci ne doit pas dépendre des­dits replis, ou d’a­voir pris du LSD pour com­prendre. « Pré­tendre « dépas­ser le dua­lisme entre science et spi­ri­tua­li­té » ou (p. 17) et faire « la réha­bi­li­ta­tion du sen­sible » (emprun­té à Pineau, p 25) sont exac­te­ment les mêmes stra­té­gies concor­distes déve­lop­pées par l’U­ni­ver­si­té Inter­dis­ci­pli­naire de Paris, qui tente par tous les moyens (sur­tout ceux de la Fon­da­tion Tem­ple­ton d’ailleurs) de réin­tro­duire les reli­gions en science et de faire un retour dans le pas­sé de deux siècles. Mobi­li­ser des « onto­lo­gies à géo­mé­trie variable » (p.15) pour inté­grer la bio­dy­na­mie me fait l’ef­fet de pro­po­ser des règles du jeu variables pour un sport : plus pos­sible de conclure qu’un coup ou une action est irré­gu­lière, puisque la règle est topo­lo­gique, spa­tiale. Au fond, tout devient vrai, n’im­porte quel escroc intel­lec­tuel peut pré­tendre à la vrai­sem­blance, et il n’est pas éton­nant que des popu­listes comme Donald Trump ou Jair Bol­so­na­ro s’y soient éga­le­ment engouf­frés. Si on dilue le sta­tut de la preuve, si on nivelle tout ! Emma­nuel Macron peut pré­tendre que la France ne vend pas d’armes aux Émi­rats Arabes Unis ou à l’Égypte du maré­chal Al-Sis­si, et Anne Poi­ret l’in­verse5 : tout est équi­valent. Et tant qu’on y est, chaque nou­vel objet peut venir dic­ter son « onto­lo­gie », sa phi­lo­so­phie de l’exis­tant. Ima­gi­nez : si je vous sors l’af­fir­ma­tion que « les dra­gons existent, nous n’a­vons pas les moyens théo­riques de les appré­hen­der mais ils impliquent un uni­vers nou­veau », vous allez sûre­ment vous étouf­fer un peu. Mais les auteur·es de l’in­tro­duc­tion n’ont pas craint d’é­crire p. 18 : « La bio­dy­na­mie pra­ti­quée dans cette com­mu­nau­té anthro­po­sophe n’im­plique pas, selon Nadia Bre­da, un monde seule­ment maté­ria­liste, natu­ra­liste et ratio­na­liste, mais aus­si un uni­vers où matière et esprit sont imbri­qués selon des prin­cipes ana­lo­giques (fon­dés sur des cor­res­pon­dances), holo­gra­phiques (selon les­quels « tout est dans tout) et méta­mor­phiques. », ce qui est à mes yeux exac­te­ment la même chose. Ou encore : « À un niveau plus fon­da­men­tal de la praxis des agri­cul­tures alter­na­tives, la sen­si­bi­li­té peut même débor­der sur la supra­sen­si­bi­li­té (Foyer 2018) et, plus lar­ge­ment, sur des sphères onto­lo­giques moins clai­re­ment maté­ria­li­sées où peuvent se déployer dif­fé­rentes forces et éner­gies, voire des enti­tés spi­ri­tuelles. » (p 25). C’est presque de la science-fic­tion.

 

« Pour rendre la glèbe féconde, de rela­ti­visme cog­ni­tif il faut l’a­mol­lir »

(presque) Lamar­tine

Je pense que vous voyez où je veux en venir. Une fois que les stan­dards scien­ti­fiques sont ramol­lis, que le ter­reau est ameu­bli, c’est un peu la fête ! J’ai l’a­van­tage de bien connaître l’é­tat des connais­sances scien­ti­fiques sur ce qui est dans le livre un peu trom­peu­se­ment pré­sen­té comme des « savoirs péri­phé­riques » – péri­phé­riques à quoi, d’ailleurs, on ne le sau­ra pas, comme si les stan­dards d’é­va­lua­tion de la vali­di­té d’une affir­ma­tion était un déco­rum que l’on pou­vait contour­ner. Et c’est là que le bât blesse : s’il est néces­saire d’in­tro­duire toutes les pseu­dos­ciences uti­li­sées pour com­prendre les enjeux et les cos­mo­go­nies en place, est-il néces­saire de les faire pas­ser faus­se­ment pour vrais ? je ne sais pas si les auteur·es le font sciem­ment ou non, mais à maintes reprises, des choses fausses sont assé­nées, sans même le contre­point d’un condi­tion­nel pour ne serait-ce que dou­ter légè­re­ment. Non, lire ce livre, hor­mis expli­ci­te­ment le cha­pitre 7, et peut être un peu le cha­pitre 6, c’est subir au mieux un expo­sé naïf non cri­tique car non docu­men­té, au pire l’é­loge et la réclame de tech­niques, de thé­ra­pies et de pseu­do-concepts, depuis la méde­cine anthro­po­so­phique jus­qu’à l’i­ri­do­lo­gie. On peut comme le livre le fait, mettre sur un même plan des « savoirs » médi­caux comme l’al­chi­mie (?), l’al­lo­pa­thie (? terme inven­té par Hah­ne­mann pour dési­gner tout ce qui n’é­tait pas l’ho­méo­pa­thie) et l’ho­méo­pa­thie jus­te­ment (p.46) ; pré­sen­ter l’ho­méo­pa­thie comme une « péri-science », ce qui est une escro­que­rie intel­lec­tuelle, on le sait depuis plus d’un siècle ; et colo­rer les concepts anthro­po­so­phiques des atours de la scien­ti­fi­ci­té. Il me semble être de néces­si­té publique de faire savoir, même sans juger dure­ment leur uti­li­sa­tion, même en les inté­grant dans une ana­lyse socio-cultu­relle, que ces tech­niques sont relé­guées au gre­nier des théo­ries que l’on SAIT fausses. Pas qu’on a décré­tées fausses : qu’on SAIT fausses. Pour­tant une des auteur·es pré­cise que « ce cha­pitre (1) a cher­ché [à mieux com­prendre] sans aucune inten­tion d’en faire l’a­po­lo­gie » – je vais donc mettre les affir­ma­tions sans condi­tion­nel sur le compte de l’im­pru­dence rédac­tion­nelle. Et de telles impru­dences, il y en a, vrai­ment beau­coup.

Je vous en donne une petite sélec­tion.

  • « Les racines des plantes sont liées aux fonc­tions de struc­tu­ra­tion qui s’ap­puient sur le prin­cipe alchi­mique Sal, lequel agit dans les sub­stances cris­tal­li­sées, for­mées, dures, comme le sel ou le cal­caire. Elles sont asso­ciées aux cou­leurs violet/bleu et cor­res­pondent chez l’être humain au pôle neu­ro­sen­so­riel, qui com­prend le moi et le corps astral. Ce pôle est lié au sys­tème ner­veux cépha­lique où siège la conscience, mais où la vie s’é­tiole en rai­son de pro­ces­sus de cris­tal­li­sa­tion et de rigi­di­fi­ca­tion ». (p 59)
  • La ves­sie de cerf per­met selon Stei­ner de décu­pler l’ef­fet du soufre conte­nu à dose homéo­pa­thique dans l’a­chil­lée mil­le­feuille, grâce à l’ac­tion d’un cou­rant cos­mique diri­gé vers l’ex­té­rieur » (p 61).

Pas trace d’un simple condi­tion­nel

  • Stei­ner consi­dère que les cornes d’une vache [grâce à la forme spi­ra­laire de la corne pro­pice à la cap­ta­tion et au rayon­ne­ment de forces cos­miques vers l’in­té­rieur, comme en témoigne l’ob­ser­va­tion de vaches qui accu­mulent les infor­ma­tions par retro-olfaction]ne captent pas les « forces cos­miques de l’ex­té­rieur », mais bien des forces issues de son ali­men­ta­tion, telles des « conden­sa­teurs » ou concen­tra­teurs de « forces astrales ». (p 62)
  • « (Le bio­dy­na­miste) fait appel à son res­sen­ti pour per­ce­voir inté­rieu­re­ment ce que res­sent la plante et déve­lop­per une pen­sée vivante, une forme d’empathie ; il s’a­git donc d’é­du­quer le res­sen­ti, de déve­lop­per ses organes de res­sen­ti (…) le lien entre la démarche qua­li­ta­tive de l’an­thro­po­so­phie et le déve­lop­pe­ment du sens esthé­tique a été déve­lop­pé par ailleurs (Cho­né 2017b). Ce lien conduit dans la bio­dy­na­mie à une esthé­tique du vivant visant à récon­ci­lier art et science, nature et culture, objec­ti­vi­té et sub­jec­ti­vi­té, par-delà l’op­po­si­tion science et spi­ri­tua­li­té » (p 58).

C’est sen­si­ble­ment la même rhé­to­rique que les concor­distes science et chris­tia­nisme de la fin XIXe.

  • « La silice asso­ciée à l’élé­ment air, et aux pla­nètes Saturne, Jupi­ter, Mars, agi­ra plus par­ti­cu­liè­re­ment sur la par­tie aérienne des plantes comme un sur­plus de lumière solaire ». (p. 62)
  • « Pour la plante, l’é­thé­rique cor­res­pond à un plan sub­til de « forces for­ma­trices » où agissent les éthers de lumière, de son, de cha­leur et de vie. » (p. 63)
  • « L’im­por­tance des cycles lunaires amène les pra­ti­ciens en bio­dy­na­mie à uti­li­ser un calen­drier lunaire depuis plu­sieurs décen­nies » (p. 65)
  • « La bio­dy­na­mie par­tage avec les sciences empi­riques l’observation pré­cise et sen­sible des phé­no­mènes vivants et avec les sciences expé­ri­men­tales un tra­vail sur le ter­rain, fait d’es­sais, d’er­reurs, d’ap­pren­tis­sages, en fonc­tion du contexte. » (j’ai oublié la page, et j’ai la flemme d’al­ler cher­cher, mais sur demande, j’i­rai).
  • « [Stei­ner] observe une dégé­né­res­cence des ali­ments (…) les causes de cette situa­tion sont pour lui à recher­cher dans une concep­tion occi­den­tale maté­ria­liste et réduc­tion­niste de la science, com­por­tant un grand nombre de points aveugles » (p.42).

Rem­pla­çons ali­ments par race, par exemple, ou tout le syn­tagme par, met­tons, délin­quance, et nous sau­te­rait aux yeux qu’a­vant de cher­cher la cause, comme disait Fon­te­nelle dans La dent d’or, il faut s’assurer du fait. Or, coup de chance, je me suis fadé le Cours aux agri­cul­teurs, il y a quelques années, et il n’y a ni tests, ni expé­ri­men­ta­tions, ni véri­fi­ca­tions : tout sort d’une extase mys­tique logor­rhéique. Je pense en le lisant que Rudolf n’a jamais plan­té un légume, ni éva­lué ladite « dégé­né­res­cence », si tant est que ce terme ait un sens clair. Donc on part d’un pseu­do-fait, et pouf, on construit un spi­ri­tua­lisme en car­ton. C’est tou­jours la même antienne. Resu­cée d’une stra­té­gie que la ser­vante Mar­tine, congé­diée par Phi­la­minte l’une des « femmes savantes » de Molière, avait bien cer­née : « qui veut noyer son chien l’ac­cuse de la rage » (acte II, scène V).

  • « L’a­gri­cul­teur est ame­né à déve­lop­per peu à peu, grâce à l’observation spi­ri­tuelle et la déduc­tion scien­ti­fique, une dis­po­si­tion inté­rieure lui per­met­tant d’être récep­tif aux rythmes vivants, à la res­pi­ra­tion de la terre ; il peut ain­si savoir par lui-même s’il est bon de semer après la pluie ou à la pleine lune, en fonc­tion des plantes, et réta­blir aus­si l’har­mo­nie entre l’homme et le cos­mos ». (p.65)
  • « Pour trou­ver un glu­ten d’une qua­li­té dif­fé­rente, les cher­cheurs pro­cèdent en « mon­tant » dans la par­tie du cos­mos appe­lé (encore selon les termes de Nas­ta­ti) « l’en­tre­pôt de Dieu », le « tout du tout » que nous avons vu sur la pyra­mide, là où se trouvent toutes les qua­li­tés, y com­pris celles qui ne se sont pas encore expri­mées sur la Terre. » (p. 87)
  • (un vigne­ron est cité) : « Donc, on dyna­mise. On active des bac­té­ries humiques dans l’eau à 35°C. On leur balan­cede l’oxy­gène. Si on dyna­mise pen­dant une heure, on aug­ment ede 80% le taux d’oxy­gène dans la flotte. Ca, c’est pas des conne­ries, ça, c’est de la bio­chi­mie ah ! Balance de l’oxy­gène et des bac­té­ries à 37°C ; elles sont waouh, elles roulent, quoi. Aujourd’­hui, ça on le sait, alors c’est pas éso­té­rique […] Donc c’est de l’ho­méo­pa­thie, mais ça marche ». (p. 111)
  • « Pour ain­si dire, dès ses ori­gines, la bio­dy­na­mie contien­drait le ferment autant de sa « dé-cos­mo­lo­gi­sa­tion » que de sa « re-cos­mo­lo­gi­sa­tion », cette der­nière s’ac­com­pa­gnant d’ac­cep­tions actua­li­sées de ce que pour­rait être une « pen­sée vivante » et « spi­ri­tuelle ». (p. 120)
  • (…) la bio­dy­na­mie se pré­sente de plus en plus comme un objet non-sta­bi­li­sé », au car­re­four entre ses mondes : entre l’é­co­lo­gie, le cos­mo­lo­gique et l’a­gro­no­mique » (p.121)

oubliant que ces trois dis­ci­plines sont des sciences, et qu’au­cun prin­cipe de la bio­dy­na­mie n’a pro­duit consen­sus dans l’un de ces domaines.

  • « Pour gérer un sur­plus de limaces, il va par exemple répandre un élixir d”  »amour-limace » – et non d’anti-limace – sur les lieux où elles sont les bien­ve­nues (…) Cette démarche d’a­jus­te­ment (…) son che­mi­ne­ment est ain­si à cer­tains égards, proche de la démarche scien­ti­fique » (p. 139)
  • « [la per­ma­cul­ture New age] intègre dans les for­ma­tions de per­ma­cul­ture des pra­tiques de médi­ta­tion, de yoga, de radies­thé­sie (pour prendre en compte les éner­gies tel­lu­riques dans le desi­gn de l’es­pace) » (p.169)

Le pom­pon revient au cha­pitre 7, « Les secrets de Fati­ma. Expé­ri­men­ta­tion, simi­li­tude et éner­gie dans l’ho­méo­pa­thie rurale au Bré­sil », où ne serait-ce que sur les prin­cipes de bases de l’ho­méo­pa­thie il y a de grosses erreurs.

  • « En régime de hautes dilu­tions, Allium Cepa per­met jus­te­ment de trai­ter ces mêmes symp­tômes, comme les aller­gies prin­ta­nières » (p. 210)

Aucune source four­nie en dépit de l’im­por­tance de l’af­fir­ma­tion. Je ne cri­tique évi­dem­ment pas le fait que dans la nomen­cla­ture bino­miale, il n’y a pas de majus­cule à l’es­pèce cepa.

  • « L’u­ni­té du CH cores­pond à 100 suc­cus­sions régu­lière, et l’on repro­duit cette opé­ra­tion jus­qu’à obte­nir le CH sou­hai­té. » (ibid.)

C’est fon­da­men­ta­le­ment inexact, les CH dési­gnant le nombre de dilu­tion à 100 dans un sol­vant, et les suc­cus­sions, n’ayant rien à voir avec le CH, sont de 240 secousses en 7.5 secondes (je le tiens d’une usine Boi­ron). L’au­teure grime d’ailleurs plu­sieurs fois l’af­faire de la mémoire de l’eau en une « contro­verse scien­ti­fique », ce qui lais­se­ra pan­tois mon col­lègue le socio­logue Domi­nique Ray­naud, qui connait bien les contro­verses6, et lais­se­ra rêveur tous les gens ayant étu­dié la fraude de 1988.

  • « Dans son dis­pen­saire, soeur Môni­ca éla­bore ses diag­nos­tics par l’i­ri­do­lo­gie, tech­nique qui consiste à lire dans l’i­ris du patient pour y dis­tin­guer les troubles cor­po­rels dont il pour­rait souf­frir, et par la bio­éner­gie (bioe­ner­gia). Cette seconde pra­tique se base sur l’éner­gie cir­cu­lant entre le patient et les thé­ra­peutes pour détec­ter les causes des troubles de la san­té et déter­mi­ner les soins à admi­nis­trer. Dans les réponses thé­ra­peu­tiques, Soeur Môni­ca et ses col­la­bo­ra­trices pour­ront pro­po­ser tout aus­si bien des mas­sages que des infu­sions, des bains, des remèdes homéo­pa­thiques ou de la phy­to­thé­ra­pie, ou encore du magné­tisme et de la gem­mo­lo­gie. » (pp. 217–218).
  • « Place à la géo­pho­nie donc, avec des sons d’eau, de vent, avant que ne s’ins­talle pen­dant plu­sieurs minutes, une poly­pho­nie com­po­sée de sons des microbes au tra­vail dans la cuve. (…) Super­po­sé à ces sons, le son des algues du Beu­vron et un sol dièse issu d’un bol de cris­tal uti­li­sé pour faire des mas­sages sonores, et ain­si invo­quer le soin du corps autant que le soin du lieu. (…) puis très len­te­ment, se greffe un chant humain accom­pa­gné du bat­te­ment lent d’un tam­bour cha­ma­nique. » (p. 304)
  • « Lors de quelques-uns de ces enre­gis­tre­ments, nous avons par exemple chan­té au-des­sus de la cuve de façon tota­le­ment intui­tive, invi­tés au dia­logue sonore [avec les bac­té­ries lac­tiques]. En réécou­tant les bandes-son (…)nous nous sommes aper­çus que l’har­mo­nique se déga­geant du bruit de la fer­men­ta­tion avait chan­gé après cha­cun de nos chants. Notre inter­ven­tion avait modi­fié l’ac­ti­vi­té des levures. (p.307)

Coup au coeur : je lis

  • (…) la vali­di­té des expé­riences et approches spi­ri­tuelles est par­fois défen­due comme étant prou­vée scien­ti­fi­que­ment ou en voie de le deve­nir (en par­ti­cu­lier via la phy­sique quan­tique » (p. 170)

mais page 171, un contre­point : « l’ar­gu­men­taire New Age est com­bat­tu [par Mol­li­son], en expli­quant, par exemple, que la pré­ten­tion selon laquelle la phy­sique quan­tique fini­ra par vali­der les phé­no­mènes spi­ri­tuels dénote d’une mécon­nais­sance de la phy­sique quan­tique et de son domaine de vali­di­té. » Voi­là ! C’est simple pour­tant d’in­tro­duire une dis­tance cri­tique ! Mer­ci Mon­sieur Morel pour ce pas­sage. Ça montre que c’est pos­sible.

 

Anthro­po­so­phy is the new freu­dism ?

 Je m’ar­rête là.

Cette lec­ture, qui m’a été fas­ti­dieuse m’a fait l’ef­fet d’une mal­adroite publi­ci­té semi-occul­tiste – et croyez bien que c’est ce que je redou­tais le plus. Je pense que la palme revient au pre­mier cha­pitre, où la pré­sen­ta­tion de la pen­sée de Rudolf Stei­ner res­semble aux dithy­rambes dont nous gra­ti­fiait des années durant Éli­sa­beth Rou­di­nes­co sur Freud dans les pages du Monde.

« On est en droit d[e] dou­ter [ndr : que le regard que porte la socié­té sur la vision du monde selon Stei­ner] compte tenu des cri­tiques récentes à l’en­contre de l’an­thro­po­so­phie (notam­ment de la bio­dy­na­mie) et même à l’en­contre des uni­ver­si­taires cher­chant à tra­vailler sur cet objet de manière scien­ti­fique » (p. 67 – est citée en note par­mi les cri­tiques un article d’Ar­rêt sur Images). Para­doxa­le­ment, j’é­tu­die modes­te­ment ces notions sous l’angle scien­ti­fique, et je n’ai jamais reçu de cri­tique du fait de tra­vailler des­sus. Peut être y a‑t-il tra­vail scien­ti­fique et tra­vail scien­ti­fique ? Les deux seules fois à ma connais­sance où les cri­tiques ratio­na­listes sont abor­dées, c’est en pages 12 et 105, scé­na­ri­sées comme un « mode de dénon­cia­tion », comme une traque, une chasse, avec une cible, le « char­la­ta­nisme », diluant ain­si ce qui peut ser­vir de contre­point : car n’en déplaise à cel·leux qui aiment croire, “Rea­li­ty is that which, when you stop belie­ving in it, doesn’t go away”, la réa­li­té, c’est ce qui conti­nue d’exis­ter lors­qu’on cesse d’y croire7.

 

Je suis très ennuyé que la mai­son d’é­di­tion de mon éta­blis­se­ment ait édi­té un objet pareil, avec un titre pareil. Et quitte à être par­fai­te­ment trans­pa­rent, moi qui ai été encar­té à la Confé­dé­ra­tion pay­sanne, qui rêve à des modèles agro­fo­res­tiers plus sains, éco­lo­gi­que­ment sou­te­nables, pro­tec­teurs des pay­sans et de leur reve­nu, avec moins de dépen­dance d’in­trants et moins de stran­gu­la­tion par un sys­tème de prêts ban­caires lar­ge­ment dénon­cé ser­vant une agro­lo­gie tech­ni­ciste et réac­tion­naire type FNSEA, je ne vois pas ce que la cause pay­sanne a à gagner à se faire far­cir la tête de prières cha­ma­niques, de cycles lunaires et d’ho­méo­pa­thie vété­ri­naire. Ce n’est pas parce qu’on refuse à juste titre les modèles agro-indus­triels qu’il faut ava­ler n’im­porte quelle cou­leuvre.

 

Par­ci­mo­nie des hypo­thèses

Main­te­nant, si on me demande pour­quoi la publi­ca­tion d’AgriGenre a été reti­rée de la revue de presse du livre, j’ai du mal à com­prendre le pro­ces­sus. Parce qu’elle n’é­tait pas une vraie recen­sion ? Mais dans ce cas :

  • Pour­quoi le site des Édi­tions publie-t-il alors dans la revue de presse des recen­sions non aca­dé­miques, pou­vant être très suc­cinctes (Der­nières Nou­velles d’Alsace, Libé­ra­tion, Le Pari­sien, Le Figa­ro, Media­part, Repor­terre…) ?
  • Pour­quoi la réfé­rence à « Bio­dy­na­mie Recherche » a‑t-elle été conser­vée sur le site des Édi­tions pen­dant deux mois (dont huit jours après la sup­pres­sion d’AgriGenre), elle qui n’é­tait pas une recen­sion non plus ?
  • Pour­quoi cette réfé­rence poin­tait-elle vers cette asso­cia­tion ouver­te­ment anthro­po­so­phique ? (La réponse, je l’ai mais je ne sais pas quoi en pen­ser : l’é­di­tion a don­né le droit à cette asso­cia­tion de publier l’in­tro­duc­tion du livre sur leur site)
  • Pour­quoi ce lien vers l’as­so­cia­tion anthro­po­so­phique a‑t-il été sup­pri­mé seule­ment lorsque l’af­faire a été ren­due publique ?

 

J’ai quatre hypo­thèses.

La pre­mière, c’est que le papier d’A­gri­Genre a déplu à certain·es auteur·es, ou à des militant·es anthro­po­sophes qui ont fait pres­sion pour son retrait.

La deuxième, c’est que l’é­di­tion n’a pas vu le pro­blème, et se retrouve coin­cée aux entour­nures.

La troi­sième, c’est que la recen­sion de Valé­ry Ras­plus est peut être médiocre. Je vous laisse juge en la met­tant ci-des­sous.

La qua­trième, c’est que je ne suis peut être pas assez com­pé­tent, pas assez poin­tu, pas assez connais­seur.

 

Dans le pre­mier cas, (pri­vi­lé­gié par V. Ras­plus, qui le raconte ici) ce serait pro­blé­ma­tique, sur le plan scien­ti­fique. Un savoir scien­ti­fique, c’est comme une corde d’es­ca­lade : il faut tirer des­sus pour voir sa soli­di­té, avant de l’u­ti­li­ser. C’est en met­tant à dis­po­si­tion cette recen­sion, et en lais­sant les auteur·es en faire l’é­ven­tuel contre­point que le savoir ger­me­ra. On ver­ra ce qu’il reste.
Elle est ici : V. Ras­plus, Des agri­cul­tures entre savoir et croyance : per­ma­cul­ture, agri­cul­ture natu­relle et bio­dy­na­mie, Agri­Genre, juin 2022. Je pré­cise que je n’ai jamais ren­con­tré V. Ras­plus.

Le deuxième cas est pos­sible : l’i­dée qu’au fond les idées ne valent que rela­ti­ve­ment au contexte qui les émet est assez répan­due, et flat­tée dans de nom­breux médias. Mais si on pousse ça trop loin, alors n’im­porte quelle théo­ri­cien de la Terre plate reven­dique la même vali­di­té que les géo­logues modernes.

Le troi­sième cas rejoint le qua­trième : peut-être suis-je à côté de la plaque, en trou­vant cette recen­sion inté­res­sante, et sur­tout cohé­rente avec mes propres cri­tiques. Je me suis abs­te­nu de la relire tant que je n’a­vais pas écrit mon propre texte. J’ai relu. Ça me semble cohé­rent. Cepen­dant, comme on le lit p. 94, « L’an­thro­po­so­phie peut être défi­nie comme un « assem­blage épis­té­mo­lo­gique et onto­lo­gique sophis­ti­qué et hau­te­ment com­plexe. » Pos­si­ble­ment trop com­plexe pour moi.

Même si le prin­cipe de cha­ri­té devrait m’en­cli­ner vers la qua­trième solu­tion, j’a­voue que j’ai des doutes. Mais je pré­fère ima­gi­ner la deuxième, car je sais (et n’ai aucune rai­son d’en dou­ter) que les édi­tions UGA sont menées par des gens sin­cères, dévoués et probes.

Voyez, quand je rêvais avec le CORTECS d’ins­tal­ler dans chaque uni­ver­si­té des pôles d’au­to­dé­fense intel­lec­tuelle, c’é­tait entre autres pour ça : pou­voir refi­ler cette ana­lyse à quelqu’un·e qui n’est pas concerné·e. Moi en rédi­geant ceci, je risque de frois­ser ma copine, la mai­son d’é­di­tion, et pro­ba­ble­ment tou·tes les auteur·es du livre. Mais défen­dant le libre choix de chacun·e à croire en ce qu’il/elle veut mais en connais­sance de cause, pré­sen­ter comme vraies ou effi­caces des méthodes fausses ou inef­fi­caces me parait aller à l’en­contre du bien com­mun, alors je le dis. Sur­tout lorsque la pay­san­ne­rie mili­tante est dans une telle souf­france que les taux de sui­cide atteignent des cimes.

Si je me trompe quelque part dans ce texte, je me cor­ri­ge­rai publi­que­ment.

 

Ce texte a béné­fi­cié de l’œil atten­tif de Sha­do­wOmbre.

 

 

 

 

 

 

Notes

  1. Des étoiles à la terre : ana­lyse de la rubrique astro­lo­gique du « Los Angeles Times » : étude sur une super­sti­tion secon­daire (1974), Exils, 2007.
  2. The most good you can do : how effec­tive altruism is chan­ging ideas about living ethi­cal­ly – tra­duit « Altruisme effi­cace, Les Arènes, 2018.
  3. Jacques Bou­ve­resse, Pro­diges et ver­tiges de l’a­na­lo­gie, Rai­sons d’A­gir (1999)
  4. Peter Stau­den­meier, Bet­ween Occul­tism and Nazism, Brill, 2014.Le livre n’est pas tra­duit, il faut se le fader en anglais – mais on peut se rabattre sur la tra­duc­tion fran­çaise de sa thèse de doc­to­rat de 2010, d’où pro­vient le livre (ici).
  5. Dans Mon pays vend des armes, Les Arènes (2018)
  6. Socio­lo­gie des contro­verses scien­ti­fiques, nou­velle édi­tion, revue et aug­men­tée, Maté­rio­lo­giques, 2018.
  7. C’est une cita­tion de Phi­lip K. Dick, dans un livre de 1981 (I Hope I Shall Arrive Soon) que je n’ai pas lu

5 réponses

  1. Damien dit :

    Mer­ci pour cet article qui m’a per­mis de savoir que cette ignoble bois­son por­tant le nom d’an­té­site, que ma mère m’o­bli­geait de boire, est tou­jours dis­tri­buée 🙂

    Non, sans rire, mer­ci pour ton tra­vail !

  2. Le cleach dit :

    Il est un scan­dale qui inva­lide tout votre pro­pos : dans la note numé­ro 7 on lit deux fois « que je n’ai pas lu ». Et ce serait une sacrée prouesse d’ar­ri­ver plu­sieurs fois à n’a­voir jamais fait.
    Sinon mer­ci infi­ni­ment .

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