Magni­fique étude de Debo­ra Can­ter­gi, Bhu­va­nesh Awas­thi et Jason Fried­man sur les mou­ve­ments à l’œuvre lors­qu’une per­sonne tient un pen­dule de radiés­thé­siste. Elle s’in­ti­tule Moving objects by ima­gi­na­tion ? Amount of fin­ger move­ment and pen­du­lum length deter­mine suc­cess in the Che­vreul pen­du­lum illu­sion, qu’on peut tra­duire par « Dépla­cer des objets par ima­gi­na­tion ? La quan­ti­té de mou­ve­ment des doigts et la lon­gueur du pen­dule déter­minent le suc­cès de l’illu­sion du pen­dule de Che­vreul » (le pré-print est à télé­char­ger ici).

Pour­quoi Che­vreul ? C’est en réfé­rence au monu­ment de la cri­tique que fut le chi­miste Michel-Eugène Che­vreul (1786–1889), que m’a fait décou­vrir mon ami (chi­miste aus­si) Emma­nuel Riguet il y a exac­te­ment vingt ans. J’en ai déjà par­lé ici (de Che­vreul, pas de Manu). Che­vreul avait tout com­pris sur les mou­ve­ments qu’on appe­lait pas encore idéo­mo­teurs, dans son livre De la baguette divi­na­toire, du pen­dule dit explo­ra­teur et des tables tour­nantes, au point de vue de l’his­toire de la cri­tique et de la méthode expé­ri­men­tale (1854), que j’ai relu l’an der­nier en le char­geant depuis Gal­li­ca, le site de la Biblio­thèque Natio­nale de France. Le voi­ci en epub.

Que dit l’é­tude ? J’en tra­duis ici le résu­mé :

Les pen­dules tenus à la main peuvent appa­rem­ment oscil­ler d’eux-mêmes, sans contrôle conscient per­çu. Cette illu­sion, qui porte le nom de Che­vreul, est vrai­sem­bla­ble­ment le résul­tat de mou­ve­ments idéo­mo­teurs. Alors que ce phé­no­mène était à l’o­ri­gine sup­po­sé avoir une base sur­na­tu­relle, il est admis depuis plus de 150 ans que les mou­ve­ments sont auto-géné­rés. Cepen­dant, jus­qu’à pré­sent, n’a­vaient jamais été enre­gis­trés les petits mou­ve­ments qui créent ces oscil­la­tions. Dans cette étude, nous avons exa­mi­né com­ment les par­ti­ci­pants pro­duisent ces oscil­la­tions non conscientes à l’aide d’un sys­tème de cap­ture de mou­ve­ment. Comme pré­vu, l’illu­sion du pen­dule de Che­vreul s’est pro­duite lorsque les doigts tenant le pen­dule ont géné­ré une fré­quence d’os­cil­la­tion proche de la fré­quence de réso­nance du pen­dule, de très petits mou­ve­ments d’en­traî­ne­ment du bras étant suf­fi­sants pour pro­duire un mou­ve­ment de pen­dule rela­ti­ve­ment impor­tant. Nous avons consta­té que la lon­gueur du pen­dule affec­tait de manière signi­fi­ca­tive la capa­ci­té à pro­duire l’illu­sion – les par­ti­ci­pants avaient beau­coup plus de suc­cès avec un pen­dule de 40 cm qu’a­vec un pen­dule de 80 cm. De plus, nous avons consta­té que les par­ti­ci­pants qui avaient ten­dance à bou­ger davan­tage leurs doigts réus­sis­saient mieux à pro­duire l’illu­sion mais ne trou­vaient pas de lien entre la coor­di­na­tion inter-arti­cu­laire et la capa­ci­té à géné­rer l’illu­sion.

Notre cer­veau est déci­dé­ment facé­tieux.

Notez d’ailleurs que les mou­ve­ments idéo­mo­teurs, très bien décrits dans l’in­con­tour­nable ouvrage de Daniel M. Wegner « The illu­sion of Conscious Will » (aux MIT Press, nou­velle édi­tion 2017, mer­ci Domi­nique Mul­ler pour la décou­verte) se retrouvent par­tout dans mon domaine.

- Dans l’af­faire de Kluge Hans, le che­val de M. Von Osten, qui savait comp­ter, euh, par­don, qui savait quand son public était content, comme l’a remar­qua­ble­ment mon­tré Oskar Pfung­st – et pour­tant Pfung­st n’é­tait qu’un assis­tant béné­vole de l’é­quipe du psy­cho­logue Stumpf, qui lui, avec ses col­lègues avait conclu à tort que le che­val savait effec­ti­ve­ment comp­ter. Pour en savoir plus, Oskar Pfung­st, Cle­ver Hans (The horse of Mr. von Osten): A Contri­bu­tion to Expe­ri­men­tal, Ani­mal, and Human Psy­cho­lo­gy, New York, Hen­ry Holt & Com­pa­ny, .

- Dans les baguettes de sour­cier

- dans les tables tour­nantes et les planches oui-jà

- dans les tech­niques de muscle rea­ding mai­tri­sées par les men­ta­listes, dans la lignée des Cum­ber­land, Hell­strom, etc.

- dans le MRP, mou­ve­ment res­pi­ra­toire pri­maire du crâne de l’os­téo­pa­thie cra­nio-sacrée

- mais aus­si dans ce que James Ran­di appe­lait la cruelle farce, la com­mu­ni­ca­tion faci­li­tée, inven­tée par Mme Rose­ma­ry Cross­ley, et impor­tée en France par l’ex-orto­pho­niste Madame Vexiau sous le nom de psy­cho­pha­nie, « théo­rie » selon laquelle en posant la main sur celle d’une per­sonne dépri­vée de parole (coma, autisme pro­fond, nour­ris­son, et même chan­ne­ling avec un défunt par le biais d’un sur­vi­vant), les incons­cients s’en­tre­mêle et le ou la faci­li­ta­trice peut par­ler ou écrire à votre place. J’ai l’im­pres­sion que la com­mu­ni­ca­tion ani­male intui­tive pro­cède du même fonc­tion­ne­ment d’ailleurs : on va essayer d’é­tu­dier ça avec un groupe d’étudiant·es.

Me revient l’un des pires exemples, l’af­faire Rom Hou­ben, en 2009, où le célèbre psy­cho­logue belge Ste­ven Lau­reys a pré­ten­du, avec gros bat­tage média­tique durant l’an­née 2010, que Rom Hou­ben, dans le coma depuis 23 ans, était res­té conscient, « preuve » par la com­mu­ni­ca­tion faci­li­tée à l’ap­pui.

Il ne fau­dra pour­tant attendre que quelques semaines pour démon­trer que c’é­tait la com­mu­ni­cante qui écri­vait, hélas, pas Rom Hou­ben. C’est une équipe emme­née par le prof de méde­cine Willem Betz, de l’as­so­cia­tion belge SKEPP, qui a fait l’ex­pé­rience mon­trant l’i­na­ni­té de la méthode, début février 2010 (article ici. Si vous ne lisez pas l’an­glais, l’A­FIS a com­mu­ni­qué sur la ques­tion ). Un joli tra­vail d’étudiant·es de mon cours, Antho­ny Mia­lon & Antoine Pin­gault (cou­cou !), avait été fait peu après sur le sujet, je vous le livre ici.

Bizar­re­ment, S. Lau­reys n’a jamais eu à vrai­ment répondre de ce coup média­tique et ma confiance en ce per­son­nage a for­te­ment chu­té. je lui aurais bien tiré l’o­reillz. En atten­dant, on ne peut que consta­ter que, des planches Oui­jà de Vic­tor Hugo au chan­ne­ling de Bru­no Char­vet en pas­sant par la psy­cho­pha­nie, faire naître des espoirs fac­tices chez des proches mal­heu­reux est un art consom­mé. Comme le disait le poète sué­dois Stig Dager­man, notre besoin de conso­la­tion est dif­fi­cile à ras­sa­sier.

PS : facé­tie tra­gique de l’his­toire. Alors que j’é­cris ces lignes, je me dis : ça fait long­temps que je n’ai pas de nou­velles de Wim, que je connais, depuis une ren­contre il y a 15 ou 16 ans. Tris­tesse ! Je découvre son décès, sur­ve­nu en 2019. Mes ami­tiés à ses proches, et aux membres du SKEPP. Si le chan­ne­ling fonc­tion­nait, je te pas­se­rais volon­tiers un coup de fil, et on boi­rait une chan­nel­bier trap­piste.

À bien­tôt, cama­rade « Wim » Betz.

 

 

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